Cette série commence à réellement me poser des questions quant au regard que porte son créateur Ryan Murphy sur la nature d’un crime, en prenant quelques figures ayant défrayé la chronique aux États-Unis pour établir un diagnostic, où tout remonterait inéluctablement à la cellule familiale, autant pour Dahmer que les frères Menendez ou Ed Gein, et d’un sens, par un travail méthodique, transformer le criminel en victime indirecte. Je ne suis pas à même d’affirmer que le Mal serait inné ou que la folie peut inexplicablement frapper à la porte, mais cette troisième saison, en l’occurrence, se détourne beaucoup trop de ses responsabilités de médiateur soucieux de dépeindre la monstruosité d’un homme, pour faire de l’horreur un divertissement aux allures de faits réels rapportés, qui en définitive n’est ici qu’une contrefaçon bien emballée.
Je connaissais l’histoire d’Ed Gein de par quelques reportages et de ses liens avec Psychose de Hitchcock, que malgré un bodycount très faible le bonhomme s’est taillé une réputation de serial-killer matriciel, davantage profanateur de cercueils que meurtrier maladif d’ailleurs, transformant des corps humains en mobilier ou accessoires, et qu’il se travestissait dans le but de « changer de peau ». Il y a un côté fascinant dans le degré hautement morbide de la psychologie du boucher de Plainfield, et j’étais assez excité de voir comment tout cela allait être traité dans une saison rapportant ces faits, et ma déception n’a pas trainée puisque dès les premiers épisodes la série prend des libertés pour romancer et extrapoler une histoire déjà assez complexe. L’un des problèmes majeurs est de rajouter des éléments fictionnels pour faire avancer l’intrigue, comme le rôle de Adeline Watkins (personnage ayant certes réellement existé mais de manière purement secondaire dans la vie de Gein) l’accompagnant dans sa folie et elle-même un peu dérangée, j’avoue qu’avant de faire des recherches je ne la connaissais pas, et que le perso est tellement étrange voire idéalisé (l’actrice est presque trop jolie) qu’on pourrait croire qu’il provient de son imagination. Et au bout d’un moment on se résout à l’intégrer dans le fil de la narration, quitte à avoir une place à part dans certains épisodes, tout comme Ilse Koch et ses parenthèses du IIIème Reich, allant jusqu’à se fondre dans l’environnement de Ed, comme lors de son premier crime dans le bar de Mary Hogan, bien que l’on sache qu’il ait été influencé par l’imagerie des camps et de ses centaines de corps entassés, la filiation avec la sorcière de Buchenwald va un peu loin.
Comme dit précédemment le nombre de victimes officielles de Ed Gein reste maigre, et pour le coup je n’en veux pas trop à la série de lui attribuer des meurtres supposés, notamment celui de son frère suite à un incendie, la police de l’époque manquant de zèle a expédié l’affaire, reste que les circonstances sont troublantes, tout comme pour la baby-sitter disparue dans le comté de La Crosse bien des années plus tard alors que Gein circulait au même moment dans le coin. D’ailleurs si je dois citer une scène qui m’a vraiment plu et perturbé c’est celle où il garde durant une soirée des enfants et qu’il les emmène chez lui pour leur montrer des objets insolites et ses talents de magicien (sic), on reste sur le fil en se demandant si la série va franchir la limite. Murphy assume son parti pris pour donner un peu plus de substance au personnage, déjà bien fournie par la relation qu’il entretien avec sa mère, qui de son vivant est plutôt fidèle, que Eddy se raccrochait à elle presque par masochisme, elle si croyante et autoritaire pour le renfermer sur lui-même, et que lorsque la mort l’emporte, après son père alcoolique et son frère, il se retrouve seul dans la grande demeure familiale. C’est là qu’il se met à déterrer des corps pour faire de la maroquinerie, et je trouve dommage que la série n’exploite pas assez le sentiment de solitude et sans doute cette volonté pour lui de trouver une sorte de passe-temps, aussi macabre soit-il, préférant lui inventer une romance, on passe à côté de quelque chose malheureusement.
Car l’autre gros soucis de cette série est son remplissage, la commande de huit épisodes parait un peu lourde quand on sait que dans les faits l’enquête n’a pas duré très longtemps, ils arrivent même à mentir pour sa résolution express après avoir romancé une relation entre Gein et Bernice Worden (pas de paquet cadeau avec son nom inscrit mais une histoire d'antigel pour voiture acheté dans le magasin de Bernice avant sa disparition), le vide est tel que Ryan Murphy opère des basculements temporels pour se retrouver auprès de Hitchcock ou Tobe Hooper. La quasi totalité du second épisode est consacrée à la production de Psychose, avec un arc dédié à Anthony Perkins et le refoulement de son homosexualité en miroir de Ed Gein, sauf que ça ne sera plus traité par la suite pour finalement relever de l’anecdote, même la re-création de la fameuse scène de douche version gore ne marche pas, où on se demande quel est le point de vue ou la volonté de parler de l’évolution de la violence graphique au cinéma. En soit l’idée n’est pas mauvaise, mais confuse dans sa manière de s’imbriquer dans la chronologie, appuyée une nouvelle fois pour le tournage de Texas Chainsaw Massacre un peu plus tard, Tobe Hooper ne s’étant que partiellement inspiré de Ed Gein pour son film, où ironiquement c’est ici davantage le film qui inspire la série censée raconter des faits, comme Ed tuant deux chasseurs à coup de tronçonneuse, encore une fois totalement inventé par Murphy, c’est précisément là que cette saison m’a perdu.
À partir de l’arrestation de Gein la série ne cesse de s’enliser, les derniers épisodes n’ont plus rien à dire, où l’on fait semblant de s’intéresser à d’autres tueurs se revendiquant de leur modèle et du profilage pompé sur Mindhunter, jusqu’à cette séquence complètement grotesque de rédemption de couloir stroboscopique, ça tape vraiment à côté. En fait le format n’arrive presque jamais à se poser pour sonder le personnage, sa schizophrénie est abordée mais d’une manière assez grossière, comme lorsqu’il parle soit-disant à Ilse Koch et Christine Jorgensen à travers la radio dans sa cellule psychiatrique, je veux dire, la série manque tellement de subtilité qu’on en arrive à y croire, et c’est le psy qui lui dit qu’en fait elle n’est pas branchée, ça voudrait dire que Ryan Murphy nous aurait en quelque sorte conditionné depuis le début à tout un tas d’âneries pour donner une dimension meta sur notre rapport aux images (?). Le traitement peut paraitre original mais à mon sens hors de propos, qui en l’état vient participer à réduire la frontière déjà ténue entre le réel et la fiction dans une époque qui a tragiquement besoin d’un distinguo, j’apprécie de moins en moins ce détachement sous prétexte d’art, surtout quand il est exécuté dans tel un élan de sophistication putassière.
Vaut mieux attendre une mini-série documentaire.