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Néro
5.8
Néro

Série Netflix (2025)

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On nous présente ici une épopée qui feint de nous conduire dans les entrailles fuligineuses d'un Moyen Age austère, mais qui n'en effleure jamais véritablement le sol. C'est une plongée où l'on ne mouille que la semelle, une incursion dans un passé qui a été non pas restitué, mais soigneusement lessivé. Tout y brille d'une propreté suspecte, tout y sent le cuir neuf et le savon, comme si l'on avait passé l'époque au karcher, expurgeant la boue, la sueur et la violence sociale qui en étaient la sève obscure. On voudrait respirer l'âcreté du vin aigre, la poussière des chemins, la fauve senteur de l'écurie et de l'étable ; mais tout est filtré au tamis d'une esthétique aseptisante, de peur que la crasse ne vienne tacher la soie. La beauté est là, indéniable, mais c'est une beauté trop parfaite, presque clinique. Les gueux semblent sortis du spa, les hommes d'armes sentent la lavande, et les pendus ont l'air d'avoir été coiffés.

Je ne doute pas que l'intention soit délibérée, cette série semble vouloir marier l'épopée et le glamour avec une constance déroutante, et superpose l'ombre des cathédrales à l'éclat froid des projecteurs, créant un monde où tout est beau, mais par conséquent, où personne ne semble vrai. Car saisir cette époque dans sa vérité rugueuse exige une écriture de haute voltige, capable d'ordonner le chaos sans lui ôter son âpre saveur. On devine que c'est pour esquiver cette difficulté fondamentale que les artisans de ce monde ont préféré polir les aspérités plutôt que de les affronter.

La mise en scène, peut-être consciente des défaillances d'un texte qui parfois hésite, s'appuie dès lors sur cette splendeur visuelle pour soutenir l'édifice. La beauté devient un subterfuge narratif, un leurre pour les yeux qui compense les silences du récit. Il faut reconnaître à cette œuvre un certain équilibre, un sens de la mesure dans le mouvement qui témoigne d'un savoir-faire indéniable. En outre, la façade est magnifiquement ouvragée : les costumes sont somptueux, les décors crédibles, et la lumière s'efforce, non sans succès, de prêter une forme de noblesse à l'ensemble. La composition des plans, souvent remarquable, parvient parfois à exprimer ce que les mots ne disent pas. C'est propre, maîtrisé, presque trop, mais cette cohérence est en soi une forme de vertu.

La direction photographique, à elle seule, mériterait des éloges. Certains plans sont maîtrisés et pourraient faire oublier les faiblesses du fond ; le regard se noie dans cette lumière comme un croyant devant un vitrail, captif d'une beauté purement formelle. On y décèle même, par instants, une sensualité visuelle presque italienne, avec ses contrastes chaleureux et ses visages semblant échappés d'une fresque toscane, évoquant davantage la Renaissance italienne que les réalités plus rudes de notre XVIᵉ siècle français. L'image, elle, sait chanter, même lorsque le texte peine à psalmodier.

Pourtant, une fois évaporé le verni de cette beauté de surface, il reste le sentiment d'avoir assisté à un exercice de style plutôt qu'à une œuvre animée d'un souffle vital. Sous l'apparat fastueux bat un cœur bien pâle, un produit qui ne palpite pas mais ronronne doucement, conçu pour séduire un public universel : c'est le standard Netflix élevé au rang de principe esthétique. Les personnages, dessinés à la règle, s'agitent avec conviction mais manquent cruellement de relief, et leurs relations, trop peu approfondies, confèrent à l'ensemble la froideur d'une vitrine de musée : tout est exposé, mais rien ne vit. Le héros principal n'est que la pâle esquisse de l'anti-héros complexe qu'il aurait dû incarner.

L'intrigue, conventionnelle dans son essence, se déroule avec une rectitude prévisible, suivant le catéchisme moderne du divertissement : un assassin tourmenté par son passé, une trahison annoncée, une demoiselle à sauver, des forces obscures brandies comme des talismans pour injecter du mystère dans un récit qui en est dépourvu... C'est l'éternel théâtre moral, simplement repeint aux couleurs de la fantasy chic : la faute, la rédemption, les jeux de pouvoir, le bien et le mal, le tout soigneusement emballé pour que le spectateur n'ait pas à se salir les mains. L'ensemble fonctionne, certes, avec la régularité d'une horloge dont on devine chaque tic et chaque tac à l'avance. On avance, non poussé par la curiosité, mais par une inertie paresseuse, comme on tourne les pages d'un livre dont on connaît déjà chaque rebondissement. Ce qui achève de rompre le fragile sortilège, c'est cette langue trop moderne, ce vocabulaire anachronique qui résonne comme une discussion de bureau dans un château fort ; et cette ironie contemporaine qui heurte la pierre ancienne avec la dissonance criarde d'un chewing-gum collé sur un parvis sacré.

Genifair
5
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le 11 oct. 2025

Critique lue 770 fois

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6

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