Touche pas à mon roman national, ma Jeanne d'Arc, mon saucisson

Je vois très peu de téléfilms documentaires portant sur l'histoire de France. Je préfère habituellement passer mon temps à découvrir des créations audiovisuelles ayant plus de corps et d'âme que ce genre télé, qui s'enfonce toujours dans le convenu et l'ânonnement d'anecdotes brossant dans le sens du poil la vision datée de l'Histoire nous provenant de la IIIe République. Ces émissions sont moins des produits de vulgarisation que des doudous placés dans les mains des spectateurs qui seront contents de voir leur vision de l'histoire ne pas être bousculée. Dans ce genre, tout est figé : la recherche n'existe pas, ne produit plus de nouvelles connaissances, tout a été dit il y a un siècle et rien de tout cela n'est encore débattu.

Pourtant, il y a ce plaisir coupable de voir les reconstitutions historiques, faites avec passion par les techniciens, les amateurs, et qui s'enlisent par le manque de moyens. Dehors, le temps devient maussade, c'est la saison des plaids et des pêchés mignons, donc c'est parti pour un visionnage de Notre histoire de France.


Dans la saison 1, c'est une histoire en 6 actes, qui part de Vercingétorix et qui s'étend jusqu'à Henri IV. Il y a déjà là une volonté de narrer et de reconstituer des épisodes qui, bien qu'ils soient très connus, sont moins souvent mis en scène dans notre paysage audiovisuel de docufiction (excepté Jeanne d'Arc, on n'en peut plus, c'est la caution féminine du roman national). Dès le début, plusieurs questions et remarques me viennent.

1. D'après le postulat du docu, "Notre histoire de France" serait une somme de personnages célèbres. On reste ici sur un schéma très classique de vision du roman national. Si l'émission avait évoqué vouloir le déconstruire, c'est raté. Le titre même sous-entend la filiation, le continuum romancé entre ces figures. Enfin, quid de la pertinence d'évoquer ce continuum pour des figures allant de Vercingétorix jusqu'à Charlemagne ? Une fois encore, la production doudou prend le pas sur la justesse scientifique. Pour une démarche de vulgarisation, où l'on sait qu'un spectateur ne retient pas les détails, mais que les grandes lignes, c'est un raté.

2. Le parti-pris d'avoir Tomer Sisley qui s'immisce dans les tableaux historiques tel un présentateur démiurge est à la fois pertinent et comique. Pertinent parce qu'il pourrait agir comme un commentateur qui relativise les événements, entre roman national et connaissances scientifiques ; comique parce que, dans les faits, il agit souvent comme un troll qui vient moquer les personnages historiques. Carloman, Clovis, Charlemagne, etc. ils auront tous droit, au bord de la mort, à la face narquoise de Tomer Sisley comme dernière vision. Ca pourrait être grotesque, mais c'est quand même très drôle, et je me marre depuis mon plaid.

3. Le problème, c'est que France TV avait ici une excellente recette pour reconditionner le roman national, faire exister la recherche. Dans une histoire de France que l'on peine tout le temps à représenter télévisuellement sans balayer les connaissances scientifiques, il aurait été parfaitement possible de faire supplanter l'état de la recherche, en montrant les zones d'ombre, les approximations connues dans l'historiographie, par-dessus ces reconstitutions. Dans les faits, la scène supplante la parole. Les chercheurs invités, probablement largement coupés au montage, n'ont des places que trop limités pour faire exister le conditionnel et remettre en question le visuel, ce qui est montré.


J'ai vu qu'un des postulats de la série était de remettre en question le roman national. Au mieux, il le place en perspective, au pire, il le conforte. La force du roman national est dans le tissu mémoriel qui lie les anecdotes le constituant. Les seules choses étant mollement remises en question dans cette émission étant des anecdotes, il n'y a pas de finalité dans le propos. Ce qu'il faut aussi reconditionner, mettre en perspective, c'est la création de ce tissu qui date de la IIIe République.

Alors, pour faire justice à la production, on a parfois la remarque d'un ou d'une historien.ne qui évoque que les sources connues ne sont pas objectives, ni suffisantes. Il y a même parfois des restes de phrases conjuguées au conditionnel à travers les cuts. Le problème, encore, est que dans le montage final, ces éléments sont trop peu présents. Ils passent au second plan par rapport aux reconstitutions, la parole des historiens est une annotation à la marge, alors qu'elle devrait se manifester comme une rature. Tomer Sisley pourrait agir comme un commentateur expert et avisé. Il n'est ici trop souvent qu'un spectateur goguenard qui s'immisce dans un monstratif peu remis en question.

Le documentaire permet toutefois de présenter certains faits moins connus de la connaissance historique : la réelle envergure du baptême de Clovis ou la fragilité de l'empire Carolingien. Mais il pêche par l'absence d'une meilleure contextualisation de l'historiographie.


Alors je plaide coupable, j'ai pris mon pied devant les reconstitutions faites avec envies, bon gré mal gré, par des passionnés. Mais Notre histoire de France restera habitée d'une tare qui imprègne les documentaires historiques, celle qui place le roman national comme un doudou qui ne doit pas trop être remis en question. Un produit figé, mais qui peut s'accommoder de quelques retouches par-ci par-là, pourvu que ça n'en change pas l'essence.

Astoriaz
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il y a 4 jours

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