Que le début de ce texte était pénible. Dostoïevski nous plonge dans les limbes de l'esprit d'un homme qui, depuis son sous-sol, griffonne ses pensées sur l'existence humaine. L'entrée est abrupte, sans préparation. Nous sommes pris entre de grandes affirmations philosophiques et la torture interne d'un homme qui expose le complexe de supériorité qu'il s'est construit au fur et à mesure de sa vie. La lecture est très difficile, de grands poncifs sont étalés, sans fondement, sans argumentation solide qui sortirait du sophisme. L'homme se pense exceller dans chaque démonstration et pourtant sa médiocrité viscérale nous balaye l'esprit à chaque phrase. Pour être honnête, j'étais à deux doigts de laisser le livre me tomber des mains tant l'exercice de lecture était pénible. L'homme est creux, méprisable et se pense sans cesse au-dessus de la mêlée, toisant ses contemporains avec l'orgueil de celui-ci qui ne comprend pas la moitié de ce qu'il expose. Pourtant, quelque chose de plus interpelle : une sourde détestation, un mal-être latent qui sous-tend cette assurance.
Et puis, après la tempête, Dostoïevski nous délivre les graines qui ont façonnées cet esprit. La description faite est celle d'un homme déchu de la classe bourgeoise et qui s'est perdu dans les prémisses de la société moderne. Il est lettré, mais n'a de connaissance du monde que les bribes des livres qu'il a lu, desquels il s'est forgé une assurance factice et maladive. Il fait partie de la classe des médiocres : ceux qui ne dominent ni par la culture, ni par le travail, ni par leurs fréquentations ou leurs amitiés. Pourtant, par son statut social et l'image mentale qu'il se fait de la société, il se pense supérieur et déprécie constamment ses pairs. C'est un type de médiocre particulier, car malgré tous ses défauts, il pense. Le monde l'interroge, il tente de rationaliser ses échecs, de comprendre comment exister.
Partant d'une personnalité que nous aurions tous les droits et devoirs de détester, Dostoïevski nous fait apprendre à l'aimer. À travers des situations sociales qui tournent au ridicule le protagoniste et ses pensées, Dostoïevski nous fait entrevoir la flamme chancelante de cette âme qui crie à l'incompréhension de son monde. Cet homme est perdu, il déteste ce qu'il est, il déteste son image, il déteste ce que les autres renvoient de lui. Face à cela, il se mure dans l'exclusion volontaire et drape sa médiocrité sous sa fragile assurance.
Cet homme n'est rien, et le peu qu'il est nous apparaît détestable. Mais cet homme est beau parce qu'il tente de vivre, et sa vie a une importance.