Deux serviteurs trottinent dans les couloirs du palais intérieur, portant sur l'épaule, roulée dans une couverture de soie la concubine qui partagera cette nuit la couche du roi: l'une des images marquantes de la série... longue série à siroter gorgée par gorgée.
Le thème est le même que celui de Empress in Palace, j'ai d'ailleurs appris que l'histoire de Ruyi faisait suite à celle de Zhen Huan qui ici, est devenue l'impératrice douairière, métamorphosée d'une jeune fille gaie et intelligente en une femme manipulatrice et avide de conserver son pouvoir. C'est elle qui a piégé l'ancienne impératrice Ulanara, tante de Ruyi(alors Qing Ying) et l'a destitué de son titre, faisant déchoir tout son clan. Le jeune prince, ami d'enfance de Ruyi ne peut donc la prendre comme épouse principale mais fait d'elle l'une de ses concubines. Ruyi ayant grandi dans le palais intérieur en connait tous les usages et les dangers et contrairement aux épouses amenées de l'extérieur elle partage une relation privilégiée avec l'héritier(puis l'empereur), amitié, complicité et confiance qui suscitera la jalousie des autres épouses et la conduira à plusieurs reprises à sa perte.


Ce qui frappe dès le premier épisode ce sont les décors somptueux et les costumes débordant de richesse, d'une incroyable gamme de couleurs, de broderies, de ciselures, de peintures, d'or et de soie rutilante, aveuglant de pierreries... trop, beaucoup trop pour l’œil rassasié, gorgé, ébloui, incapable de tout ingurgiter. Quand je pense à toutes les petites mains patientes et laborieuses qui se blessaient à l'ouvrage, jour et nuit, enfermées dans la cité intérieure.
Tout est dans le paraitre, le prestige de l'empereur dépend aussi de la bonne marche du palais intérieur. C'est tout un monde, un univers clos dans lequel la série nous fait pénétrer, où les jours succèdent aux nuits et à de nouveaux jours, avec lenteur et prudence, on observe. A la façon de Gosford Park ou Downton Abbey(sans la romance car l'amour, l'amitié la loyauté, les sentiments sont un rêve extravagant dans la cité intérieure), on épie la vie quotidienne et le fonctionnement complexe du Harem. Des centaines d’eunuques, de servantes, des couturières, des jardiniers, des gardes, des lingères, des médecins, toute une ville s'affaire pour contenter le maitre, l'unique homme à pouvoir pénétrer le palais, ses épouses et concubines étant ses servantes les plus haut placées dans la hiérarchie. Dans ce lieu où n'existe plus l'espoir de fonder une famille, tomber amoureux, il reste l'ambition pour soi, mais surtout pour sa famille et son clan à l'extérieur sur lesquels rejaillira le prestige acquis au palais. La petite servante des cuisines souhaite un poste de suivante, le garde du palais froid aspire à de l'avancement comme garde du corps et la concubine avale ses amères potions pour concevoir(un fils de préférence) qui augmentera son statut et celui de sa famille.
La vie quotidienne est restituée en détail, recettes de cuisine ou de médecine, vêtement et coiffure, changement des saisons dans les jardins, les rites et les fêtes, l'étiquette et les punitions souvent très cruelles(pour une concubine, ce sera l'enfermement au palais froid, palais en ruine aux jardins stériles, peuplé des fantômes d'anciennes épouses mortes ou folles, prison dans la prison où l'on fait disparaitre celles qui n'ont plus leur place).
Cela pourrait être ennuyeux, un long fleuve tranquille, une existence monotone et désœuvrée, perpétuellement soumise à la contrainte du paraitre, la politesse et le faste, c'est pourtant passionnant par le soin accordé au détail autant que par les rebondissements feutrés, meurtres et complots souterrains et par l'écriture des nombreux personnages loin d'être manichéens.
Sous cette apparence de splendeur rayonnante et paisible, cet affairement impeccable où chacun est sa place, rampent des pensées très sombres, on s'épie, on s'espionne, on se trahit, on saisit la moindre occasion de faire chuter celle(ou celui) qui nous fait de l'ombre, on cache sa souffrance, sa solitude, sa peur puis on torture, on tue.
Ruyi semble la seule à aimer(une amie et un époux) et veut préserver cet amour et cette confiance si rare. Le pourra-t-elle? A mesure que passent les années, que les étoiles qui brillaient au firmament du pouvoir sont précipitées dans l'obscurité, ne gravit-elle pas elle aussi la pente sinueuse et sournoise qui lui fera prendre sa revanche et la changera comme celles qui l'ont précédée?
Y-a-t-il le moindre espoir dans la cité intérieure?

boomba
9
Écrit par

Créée

le 20 janv. 2019

Critique lue 4.9K fois

4 j'aime

boomba

Écrit par

Critique lue 4.9K fois

4

Du même critique

Altered Carbon
boomba
7

Thriller intemporel sur décor de SF

Je suis allée au bout de la saison 1: si j' m'étais arrêtée aux 3 ou 4 premiers épisodes, ma critique et ma note auraient été bien plus amères. Mais il faut lui reconnaitre ses qualités, c'est une...

le 6 févr. 2018

44 j'aime

14

American Gods
boomba
7

Orgie antique déjantée

Eh bien voilà: je suis arrivée à la fin de cette saison, affamée de dévorer la suite. Pourtant, au long des épisodes, mes sentiments ont été mitigés(et le restent, un enthousiasme brillantissime, une...

le 23 sept. 2017

27 j'aime

4

Blade Runner 2049
boomba
9

Ici, le cimetière des éléphants

Est-ce un hommage, un dernier hommage à tous les dieux et les géants engloutis par le nouveau millénaire et dont il ne subsiste que des fragments de mémoire vacillante sous des cloches de verre? 2049...

le 5 mars 2018

26 j'aime

4