Severance
8.1
Severance

Série Apple TV+ (2022)

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J’ai découvert Severance il y a quelques semaines seulement et j’ai rarement eu cette sensation si particulière de tomber dans une série qui me dérange autant qu’elle me fascine.

Je me demanderai toujours comment une histoire fait pour nous accrocher autant... Concernant les séries, de manière générale, elles peuvent nous attraper par leur concept, d’autres par leur ambiance et d’autres encore par la manière dont elles parlent de nous sans qu'on s'y attendes... Severance fait les trois à la fois.


On commence devant un simple écran, on termine devant un miroir imparfait, déformé, un peu douloureux, et on n’est jamais tout à fait prêt pour ça.


Dans un premier temps, la première saison m’a véritablement happé. Le concept m’a paru brillant dès les premières minutes. Pas seulement malin ou original, vraiment brillant. L’idée de séparer volontairement ta mémoire pour créer deux versions de toi, l’une qui vit sa vie, l’autre coincée au travail sans jamais pouvoir en sortir, ça m’a touché d’une manière très étrange. Ça parle des masques sociaux, de l’automatisme du boulot, de toutes ces identités qu’on empile pour tenir debout. Et dans Severance, ce mécanisme devient concret, presque surnaturel, et le contraste avec le quotidien banal du bureau est tellement fort que ça secoue immédiatement.

C’est une métaphore violente rendue encore plus violente parce qu’elle est immobile et polie, emballée dans du blanc clinique et du silence glacé.


Le tout enrobé par de la maîtrise esthétique de haute voltige.

Les couloirs interminables, les bureaux vides, les couleurs froides.

Les cadres hyper composés. Chaque plan donne l’impression d’avoir été poli à la main par quelqu’un d’obsédé. Tout respire l’étrangeté et la précision. C’est presque trop propre, trop organisé, trop parfait. Un décor qui ressemble à une cage et pourtant une cage qui sourit. Il y a quelque chose d’hypnotisant là dedans. J’ai ressenti le même vertige qu’en visitant un endroit trop aseptisé pour être sain. Et plus les épisodes passaient, plus je sentais ce poids silencieux, ce malaise tellement bien installé qu’il finit par devenir confortable.


Cette atmosphère est un piège délicieux. Le meilleur du Liminal pour l'heure!


Les acteurs sont impeccables. Le trio principal porte l’histoire avec une douceur qui n’enlève rien à la tension. Les seconds rôles ajoutent des nuances incroyables. Tout le monde joue sur la retenue, sur des micro expressions, sur des ruptures infimes qui disent beaucoup plus que des dialogues. Et au fur et à mesure, la mise en scène se resserre. Il y a une montée, un crescendo presque invisible au début puis implacable. À un moment, j’ai réalisé que je ne pouvais plus arrêter. J’ai binge watché la première saison à une vitesse ridicule. Je cherchais à comprendre et surtout je voulais juste rester dans cette ambiance, dans cette étrangeté, dans cette idée magnifique.


Mais la saison un a aussi ses limites. Les enjeux réels ne deviennent tangibles qu’au milieu de la saison. On avance longtemps dans quelque chose de très contemplatif. La série aime faire durer et parfois trop. Moi ça ne m’a pas dérangé, j’aime les rythmes lents quand ils sont tenus, mais ça peut devenir pesant pour ceux qui ont besoin d’avancer. Ma copine a décroché pile à cause de ça.

Quand une œuvre joue autant sur le mystère, il y a ce moment où tu attends que quelque chose se révèle. Et plus l’attente grandit, plus les spectateurs impatients peuvent se perdre. C’est d’ailleurs une frustration qui va revenir plus fort dans la deuxième saison.


Quand j’ai attaqué la saison deux, j’étais excité, curieux, un peu inquiet même. Et j’ai ressenti très vite que cette nouvelle vague allait dans une direction plus vaste, plus audacieuse. Il y a un vrai plaisir à voir l’univers s’ouvrir. Les enjeux deviennent plus larges, les questions plus nombreuses, les personnages plus denses. On quitte les couloirs qui rassurent autant qu’ils oppressent, on s’aventure dans des zones moins familières. J’ai aimé voir les personnages se complexifier. J’ai aimé sentir leurs identités bouger, se fissurer, se mélanger. On ressent leurs contradictions plus fortement. On s’attache d’une autre manière.


On a presque envie de les protéger contre leur propre double.


La série reste d’un niveau technique remarquable. La photographie garde cette identité froide mais plus éclatée. Les décors deviennent plus ambitieux. Les idées visuelles sont nombreuses et souvent excellentes. Il y a un vrai travail de world building qui surprend. Certaines révélations m’ont laissé bouche bée. Et le final de la saison deux, avec ses idées fortes et son traitement soigné, m’a véritablement secoué. On sent qu’ils ont voulu frapper et qu’ils frappent.


Mais tout n’est pas parfait, comme prévu juste haut dessus... La saison deux souffre d’un rythme irrégulier. On sent qu’elle veut créer plus de mystère, plus de tension, plus de complexité. Et à force de rajouter, parfois, elle surcharge. L’équilibre délicat de la saison un, qui tenait sur une ligne très fine, se dérègle un peu. Les couches s’accumulent, et même si tout reste compréhensible, on ressent une certaine lourdeur. Ajouter du mystère à un mystère déjà complexe peut devenir gonflant.

Ça ne gâche pas l’ensemble, mais ça grignote un peu l’élan. Et surtout, le charme de la découverte disparaît. Cette sensation bouleversante du début, cette surprise totale face à l’univers, ne peut plus exister une deuxième fois. La série doit donc inventer une nouvelle forme de surprise, une nouvelle nécessité.


Je n'ai pas été déçu, mais je peux comprendre que... Parfois, on attend plus qu’elle ne donne.

Il y a un ratio, découverte, mystère qui est peut un poil déséquilibré et c'est peut être la seule ombre au tableau. (mais c'est aussi inhérent à ce genre d'histoire)

Ce n'est rien face aux pics d'émotions qu'arrivent à atteindre cette saison.

Le "oui mais moi je veux vivre avec toi" m'a tétanisé comme je l'ai rarement vécu. C'est du très bon travail et c'est une suite qui me fait me dire que toutes cette mise en place n'a pas servi à rien.


En sortant de cette saison deux, j’ai ressenti un mélange d’admiration, de frustration et d’espoir. Admiration pour tout ce qu’elle ose, pour la densité émotionnelle des personnages, pour la beauté de sa mise en scène. Frustration pour certaines tendances à l’accumulation qui alourdissent un récit qui n’avait pas besoin de l’être. Et espoir pour la suite, parce qu’il y a encore tellement de choses à explorer, tellement de pistes lancées, tellement de possibilités pour faire grandir cette histoire.


___

J'aimerai proposer mon interprétation, car j'ai été très touché par son thème.


Car Severance m’a fait réfléchir sur moi...

Sur ces deux versions de soi que l’on transporte chaque jour sans opération chirurgicale. Vous voyez très bien de quoi je parle...


Sur ce moment où on quitte le travail et pourtant on continue d’y penser. Sur la place que prennent nos obligations et sur la façon dont on s’effrite doucement pour tenir debout. Ça m’a marqué profondément. J’ai senti un décalage entre mon moi d’écran et mon moi du dehors, et je crois que c’est exactement ce que la série veut réveiller.


On peut dire qu'au fond, c’est la manière dont la série parle du travail comme d’un lieu où l’on apprend à mourir un peu.

Pas de manière tragique, mais dans ce sens discret où l’on se détache de soi pour répondre à ce que le monde attend. Philosophes et sociologues l’ont souvent décrit comme un espace où l’identité s’amenuise pour devenir fonction, rôle, silhouette interchangeable. La série transforme cette intuition en acte brutal et limpide. Elle matérialise cette dissociation que beaucoup ressentent chaque jour sans la formuler. Severance raconte ce moment où le travail devient un théâtre où l’on joue sans savoir qui écrit la pièce.


Ce qui est fascinant, c’est que l’opération de séparation n’est qu’une amplification d’un mécanisme déjà présent en nous.


On coupe son moi intérieur pour donner aux autres la version socialement acceptable, la version efficace, la version qui ne se plaint pas. En voyant les personnages vivre enfermés dans une boucle sans mémoire, j’ai eu l’impression de découvrir la version extrême de ce que chacun traverse. La série pose alors une question qui reste dans un coin du crâne très longtemps.


Et si le travail n’était pas seulement une obligation extérieure, mais aussi un rituel où l’on sacrifie quelque chose sans jamais vérifier ce que l’on perd exactement? Ce qui reste ensuite, c’est ce vertige. Le travail devient un territoire étrangement sacré et monstrueux à la fois. Un endroit où l’on se dépouille pour gagner le droit d’exister ailleurs? Et plus la série avance, plus elle laisse entendre que le véritable enjeu n’est peut être pas de sortir des couloirs de Lumon, mais de récupérer les morceaux de soi que l’on a abandonnés en chemin.


En tous cas, je suis chanceux d'être très heureux et libre au travail, quand cette oeuvre me fait comprendre ce que ça peut faire au cerveau de beaucoup.

___


Alors oui, Severance n’est pas parfaite. Elle trébuche parfois, elle se perd un peu, elle abuse de ses mystères. Mais elle reste une œuvre rare, qui mélange beauté, vertige et malaise. Une œuvre qui m’a suivi bien après le générique. Et si une fiction est encore dans ma tête alors que l’écran est noir depuis longtemps, c’est qu’elle a réussi quelque chose d’important.

J’attends la suite avec un mélange de curiosité, de crainte et d’impatience...


Quelque part, je crois que cette série a déjà saisi une part de moi que je ne récupèrerai pas et c'est un sacré tour de force. Regardez là, ou vous allez rater quelque chose!

KumaCreep
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