Squid Game
6.7
Squid Game

Drama Netflix (2021)

Voir la série

2021 année du poulpe ? Ou était-ce du calamar ? Le Corée (du Sud) est désormais une nation de soft power affolante : non contente d'avoir envahi les ondes mondiales avec sa k-pop dégueulasse, là voici envahir les plateformes de streaming avec une série hypée comme rarement. Au vu des premiers échos, d'une série choc et peut-être pas exempt de sadisme, on s'aventurait avec curiosité matinée d'un soupçon de crainte.


Première surprise, plutôt sympathique : le premier épisode prend son temps pour poser son personnage, dans un équilibre bien senti entre écriture cliché (la figure de l'endetté poursuivi par ses créanciers de la pègre) et relecture amusé (le don d'organe déjà comme échappatoire). Avec en prime cet humour coréen macabre qui fit déjà le succès de son cinéma au tournant des années 2000 (lequel aboutira logiquement à Parasite, film-somme et définitif, que Squid n'est pas sans rappeler via certaines thématiques...); humour qui se manifeste avec des scènes aussi drôlatiques que celle du distributeur et de l'amnésie du code ou de l'anniversaire passé par notre loser en chef avec sa fille (le cadeau briquet-flingue!). A postériori, on songe d'autant plus au brio qui préside à l'écriture : naviguant en figures connues, Squid Game nous prépare sans nous déboussoler foncièrement à ce qui va suivre, et glisse de multiple indices thématiques tout en sachant rester discrètement goguenard, le tout porté par une mise en scène habile et efficace mais qui ne ressemble pas à une grosse bande-annonce permanent comme tant de séries à succès Netflix...


Le vif du sujet, c'est cette fameuse épreuve de 1,2,3 soleil mortifère, sorte de Battle Royale de cour de récréation. Séquence célèbre au point que mon collègue ne voyant qu'un film par an me la spoila sans crainte avant même que je me penche sur la série - et ayant inspiré en France déjà d'imbéciles faits divers écoliers... Pour ceux qui ne sachent pas, arrêtez ici la lecture, car je vois mal comment causer de Squid Game sans décortiquer ses nombreux tournants scénaristiques.


Pour l'essentiel : quelques centaines de miséreux endettés jusqu'à la moelle sont sélectionnés pour jouer à un jeu. Ce jeu consiste en 6 épreuves, potentiellement mortelles pour ses participants. Au fur et à mesure que leur nombre décline, la cagnotte augmente, jusqu'à se compter en dizaines de milliards de won (33 millions d'euros si je ne me suis pas gouré sur le convertisseur boursorama). Peu de règles pour protéger les joueurs, mais un garde-fou : si la majorité des joueurs décide d'arrêter le jeu, celui-ci peut stopper. Sinon, la boucherie continue. Premier coup de théâtre, assez surprenant, à une majorité de une voix (votée par l'illustre vieillard joueur 001), le jeu s'arrête après la première épreuve.


Le temps de se plonger dans le quotidien dans la vie réelle des autres personnages principaux, traités avec une symétrie égalitaire elle-même revendiquée par les concepteurs du jeu, aussi sadiques soient-ils. En prime du père-parieur minable, on suit donc le yakuza vénère acculé, une nord-coréenne quasi-orpheline et arnaquée par ses passeurs, un immigré pakistanais (pas loin, malheureusement, du cliché de l'Oncle Tom...) ou le meilleur ami du héros, ayant fait de hautes études pour mieux plonger dans les vicissitudes d'une vie d'arnaques et de banqueroutes. Ce deuxième épisode, peut-être un peu plus faible, car assez vite prévisible et déroulant sa mécanique s'avère néanmoins nécessaire pour comprendre la mécanique d'un monde qui essore les pauvres pour les rendre corvéables (on est potentiellement pas loin du discours marxiste sur l'armée de réserve, consciemment ou pas), d'autant plus qu'il prend la peine, même maladroitement, d'ébaucher quelques thématiques locales (le racisme et les conditions des rares migrants, les rapports aux cousins du nord, l'hyper-capitalisme et ses dérives...). Soit un bref souffle finalement tout aussi anxiogène, avant de replonger dans l'enfer des jeux du cirque...


Dès lors, non sans malice et sans petites révélations successives venant toujours relancer l'intérêt d'un récit hautement captivant, le programme de se dérouler à peu près comme prévu. On comprend d'abord que le jeu peut aussi se dérouler en dehors des épreuves : la nuit tombée, les plus violents n'hésitant pas à tuer des rivaux, pour la prime. Ce qui incite fortement, sur le modèle de l'équilibre entre coopération et compétition, des équipes à se former. Et après une deuxième épreuve encore (très relativement) bon enfant consistant à démouler dans un temps imparti une forme géométrique plus ou moins complexe d'une pâtisserie sans la briser, la logique inhérente des épreuves finit par changer : après avoir joué contre le jeu (tous les joueurs pouvaient potentiellement survivre aux deux premières épreuves), les joueurs sont sommés de s'éliminer entre eux. Ainsi le tir à la corde comme le jeu de billes (saupoudré d'un élément sadique qui en fait l'épisode le plus poignant : l'idée que les équipes de deux, soient en fait des binômes voués à s'entretuer, alors même que les joueurs ont spontanément choisi les personnes les plus proches affectivement...) élimine de fait plus de la moitié des joueurs. Logique mathématique reprise pour un dernier jeu probabiliste (j'ai calculé) qui devrait normalement ne laisser personne en vie (il s'agit de sauteur sur 16 dalles de verre, avec une chance sur deux à chaque palier de sombrer dans le vide en fonction du type de verre...). Dans un final éreintant, qui a éliminé peu à peu la quasi-totalité des candidats (l'épreuve des billes est une boucherie lacrymale, mais l'épreuve des plaques de verre contient son lots de morts survenant plus vite qu'on n'aurait cru aussi...), le jeu de se conclure sur un Squid Game (présenté dès le prologue), en fait une lutte fratricide sous une pluie battante explicitement sortie des manivelles de la Deus Ex Machina. Victoire amère, qu'un long épilogue vient priver de tout penchant positif, avant, peut-être, un dernier rebondissement laissant, je crois, la porte ouverte à une saison 2 (à priori superflue, mais bon).


Quid de Squid Game, donc ? Au delà du caractère addictif d'une série à faire pâlir la Casa Del Papel ou Prison Break, avec qui elle partage quelques gimmicks (les tenues masquées, un certain mode d'écriture des rebondissements et des personnages), la série Coréenne se révèle un laboratoire social à grandeur humaine où se brassent de nombreuses thématiques, et donc de nombreux axes de lecture. Critique politique d'une classe dominante blasée se servant des pauvres comme de vulgaire canassons ? Oui. Expérience de psychologie sociale où l'on décortique comment rendre possible coopération, compétition, trahison... dans une variante perverse du dilemme du prisonnier ? Oui, également. Imbrications de logiques purement rationnelles, mathématiques (un des joueurs, peu exploité certes, est prof de maths), et de sentiments plus socialisés (le sacrifice de la joueuse au bagout prête à tout par honneur) ? Aussi. Critique non sans paradoxe de la société du Spectacle, avec cette variante par écran interposé des antiques jeux de gladiateurs? Encore, oui.


Comme on le constate, le cerveau a de quoi turbiner, pris entre emballement narratif bien ciselé et niveaux de lectures friables. D'autant plus que, je répète, en maniant avec soin différents sous-récits (le médecin-traître, l'impératif de chopper des indices entre les jeux, les règles des jeux eux-même et de leurs failles, le flic infiltré permettant de comprendre mieux le fonctionnement hiérarchique de l'envers du décors) et les rebondissements haletants (les sacrifices de personnages-clés, comme dans Game of Thrones, mais aussi la révélation finale de la nature de l'organisateur - et de son bras droit) cette course contre la mort et la montre, ciselée à la coréenne, avec gore maîtrisé et un sens du pitch comme les asiatiques savent faire ( j'ai songé à pas mal de reprises aux épreuves de Hunter X Hunter ou au plus récent Alice in Borderland), est assez follement palpitante, quitte à jouer avec complaisance avec notre propre voyeurisme. Au final, avec cet emboîtement sordide de jeux d'échelle et cette chasse à l'homme où, autre sous-texte, l'homme blanc vient se repaître du sang des "sauvages", Squid Game rappelle dans une version adaptée à son support un des plus gros films coup de poing de ces dernières années : Bacurau (au passage).

fan_2_mart1
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures séries de 2021

Créée

le 5 nov. 2021

Critique lue 85 fois

fan_2_mart1

Écrit par

Critique lue 85 fois

D'autres avis sur Squid Game

Squid Game
CamLavs
4

Incompréhension totale

(attention spoil de partout dans cette critique) Non je ne comprends pas. Je ne comprends toujours pas, malgré de nombreuses réflexions, cette note sur SensCritique de 7,4. La série commençait bien...

le 30 sept. 2021

82 j'aime

6

Squid Game
Samu-L
7

Jeux de dupes

Seong Gi-hun est un loser: loser aux jeux dont il est accro et à cause desquels il a accumulé les dettes auprès d'usuriers; loser dans sa vie personnelle, puisqu'il a manifestement perdu sa famille...

le 3 oct. 2021

64 j'aime

23

Squid Game
Shuraya
7

Money drop 2.0

N'ayant pas une assez bonne connexion pour jouer à league of legend, je décide d'aller sur netflix, histoire de consoler ma peine. Première image apparue sur le catalogue est cette nouvelle série: "...

le 18 sept. 2021

63 j'aime

5

Du même critique

Delirius - Lone Sloane, tome 3
fan_2_mart1
6

Critique de Delirius - Lone Sloane, tome 3 par fan_2_mart1

Escapade sur la planète Delirius, planète de casinos et de bordels, de secte religieuse purgatrice et de palais impériaux en décrépitudes. Pour une fois, l'histoire est à peu près soignée et...

le 24 sept. 2016

2 j'aime

La Demeure de la Chair
fan_2_mart1
4

Putréfaction du palais immédiat

Très honnêtement, je peine parfois un peu, à titre personnel, à comprendre la fascination d'un certain public pour l'horreur crue : incestueuse, morbide, scatophile... Tout y passe, souvent malaxée,...

le 30 juil. 2021

1 j'aime