Et dire qu’on pensait que ça ne pouvait pas être pire…

Ça y est, c’est fini.

Un véritable binge-watching en règle, commencé pile au moment où la série s’apprêtait à tirer sa révérence : parfait pour enchaîner sans attendre des années entre chaque saison. Et autant le dire tout de suite : La Servante écarlate est une excellente série, à n’en pas douter. Mais une série qui aura connu, chemin faisant, des hauts et des bas… et plus on approche de la fin, plus les bas se font sentir.


Un problème récurrent : le rythme

La série souffre d’un rythme inégal, parfois même handicapant. Des épisodes où tout stagne, suivis d’accélérations brutales dont on ne comprend pas toujours la logique. Les trois premières saisons sont magistrales : une montée crescendo dans l’horreur et la tension, où l’on pense à chaque fois qu’ils ne pourront pas aller plus loin… avant de constater que si, ils y arrivent.


Les trois dernières, en revanche, perdent en densité, surtout après la sortie de June de Gilead. Les scénaristes parviennent à conserver le traumatisme, à continuer de la malmener (qui ne le serait pas, honnêtement ?), mais les oscillations entre volonté de diplomatie et pulsion de vengeance rendent parfois le personnage illisible. On ne sait plus très bien ce qu’elle veut : tenter de se reconstruire ou entretenir son passé douloureux. Sa seule ligne claire reste sa quête de retrouver sa fille et de protéger sa famille.


Certaines intrigues tombent à plat, faute d’enjeu ou d’impact réel

Par exemple : la pseudo-tension entre Luke et Nick, trop téléphonée pour vraiment fonctionner ou bien encore les arcs politiques canadiens, parfois survolés alors qu’ils pourraient offrir un contrepoint plus fort au système de Gilead.


Une force majeure : l’écriture et les personnages

Si un point fait l’unanimité, c’est bien la qualité d’écriture globale. Les rôles sont tous finement dosés, subtilement interprétés, sans exception. La série brille par son refus absolu du manichéisme : ici, pas de gentils ou de méchants clairement identifiés, juste des humains, chacun coincé dans une zone grise permanente. La menace peut venir de partout, et chaque personnage se débat comme il peut pour survivre dans une société violente, oppressive, imprévisible.


On peut détester un personnage à un instant T pour mieux l’apprécier quelques épisodes plus tard. Rien n’est jamais figé, ce qui constitue l’un des plus beaux atouts de la série.


Quelques exemples particulièrement marquants :

  • Joseph Lawrence, peut-être l’arc le plus abouti de toute la série : un personnage subtil, insaisissable, parfois odieux, parfois bouleversant. L’acteur est exceptionnel. La fin de son parcours narratif est l’un des véritables points d’orgue du final.
  • Janine, qui finit par dépasser Moira comme figure émotionnelle centrale, tant ses fractures et ses résiliences sont écrites avec justesse.
  • Lydia, dont les certitudes s’effondrent saison après saison : incarnation parfaite de la porosité entre croyance, devoir, aveuglement et rédemption impossible.
  • Nick, au contraire, voit son arc se précipiter dans les derniers épisodes, comme si les scénaristes manquaient de temps pour lui offrir une véritable conclusion.

Une série sans manichéisme, mais pleine de zones d’ombre

La religion irrigue chaque recoin du récit, mais la série ne critique jamais la foi elle-même : elle critique ce que chacun fait de ses croyances. C’est même très perturbant de voir les personnages jongler avec des principes séculaires, les tordre pour justifier leur conception du "bien".


Le parallèle avec les heures les plus sombres de l’Histoire est évident, et volontaire. On y voit le danger permanent de la radicalisation, de la perte de repères, du totalitarisme rampant.


Une frustration persistante : les origines de Gilead

Elles manquent. Elles existent, certes — quelques flashbacks en saison 1, quelques épisodes clés par la suite — mais insuffisamment pour comprendre réellement comment la plus grande démocratie du monde a pu sombrer si rapidement. On devine un glissement progressif, une lente corrosion de la société, mais cela reste flou, toujours raconté depuis le point de vue fragmentaire des protagonistes.


Une plongée plus profonde dans l’idéologie, dans le parcours de certains commandants (Joseph, ou d’autres) aurait permis de comprendre si chacun s’est construit sa nouvelle identité par conviction, par opportunisme, ou par instinct de survie.


Une réalisation souvent brillante

Techniquement, la série est superbe : direction artistique soignée, photographie magistrale, ambiance sonore toujours juste.


Les épisodes réalisés par Elisabeth Moss ont une tonalité singulière : plans serrés suffocants, usage du silence comme arme dramatique, ruptures visuelles pour matérialiser l’état mental de June, focales très courtes qui déforment légèrement l’espace, renforçant la sensation d’enfermement.


Un univers dystopique parfois trop à charge

La série aurait peut-être gagné à offrir un peu plus souvent un contrepoint, un point de vue “normalisé” sur Gilead, pas pour excuser, mais pour comprendre. Quelques éléments sont bien distillés (fertilité en chute libre, environnement dévasté…), mais souvent de manière trop superficielle, évoqués en deux répliques sans réelle exploration. On aurait aimé davantage de profondeur sur les raisons de ce monde effondré.


Verdict

Malgré ses défauts — un rythme inégal, des arcs parfois précipités ou sous-exploités, un manque de clés de compréhension sociétales — La Servante écarlate reste une œuvre majeure.


Une série dense, sombre, techniquement brillante, portée par une écriture tout en nuance et par des acteurs exceptionnels.Un voyage éprouvant, dérangeant, souvent magistral, qui ne laisse jamais indifférent.

ArnaudCDrmnt
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le 19 nov. 2025

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