The Heike Story
7.5
The Heike Story

Anime (mangas) FOD (2021)

Une adaptation du Heiki monogatari - Le tragique non trahi

« Du monastère de Gion le son de la cloche, de l’impermanence de toutes choses est la résonance. Des arbres “shara” la couleur des fleurs démontre que tout ce qui prospère nécessairement déchoit. L’orgueilleux certes ne dure, tout juste pareil au songe d’une nuit de printemps. L’homme valeureux de même finit par s’écrouler, ni plus ni moins que poussière au vent » (平家物語– trad. René Sieffer).

Parlons aujourd’hui de l’adaptation de Heike Monogatari, une épopée médiévale japonaise, réalisée par la talentueuse Naoko Yamada (Silence Voice,Liz & l’oiseau bleu).

Biwa, une jeune vagabonde, tient son nom de l’instrument de musique qu’elle pratique. Un jour, son père est exécuté sous ses yeux par un guerrier des Heike (aussi appelés Taira). Douée de voyance elle perçoit immédiatement la déchéance future de ce clan issu d’une lignée de guerriers. Par la force des choses, elle est pourtant amenée à vivre parmi eux. Au moment où Biwa est recueillie par Shigemori, fils de Kiyomori (patriarche des Heike), le clan est dans une position des plus favorables, présent au sein même de la cour impériale. C’est, donc, d’abord avec l’aimable Shigemori que Biwa se lie d’amitié. Elle, Cassandre incomprise, voit l’avenir sombre de son œil clair. Lui est également doué de voyance, mais il n’aperçoit que les défunts du passé. Le récit se poursuit, et cette amitié en engendre d’autres. Biwa s’attache très vite à toute la fratrie : le doux Koremori, Kyotsune, Sukemori, la digne Tokuko…. Le « Dit » des Heike nous est présenté par le prisme de l’affection douloureuse de cette jeune joueuse de biwa pour les membre d’une famille qu’elle sait perdue d’avance. Sans surprise, par l’implacable loi des causalités, les velléités hégémoniques de Kiyomori engendre des ennuis, qui en engendreront d’autres, de plus en plus sévères, jusqu’à la ruine totale du Clan des Heike, et à la mort de la plupart de ses membres. Kyô, puis Fukuhara, Dazaifu, Yashima, les lieux défilent… La déchéance des Heike se manifeste d’abord par leur fuite incessante, une fuite qui ne peut que s’achever dans le sang puisque que c’est la folie de la guerre qui les pourchasse. A la baguette, l’empereur retiré. Pourquoi ? Parce que les Heike représentent un dangereux pouvoir, à la fois incarné (Tokuko ayant enfanté un empereur légitime) et symbolique (par la possession des Trois Reliques Sacrées).

De fait, la guerre est, dans ce Japon-là, une dimension essentielle de l’expérience humaine. Pourtant, Naoko Yamada dessine, avec une grâce remarquable, une expérience contrastée. Ses dimensions antithétiques sont séparées par une imperceptible limite, susceptible de se déchirer à tout instant. Envoûtantes, les notes de Biwa rythment alors une alternance paradoxale de scènes de violence, et d’instants de rire, de douceur, de finesse. L’expérience humaine dans ce Japon-là ne se résume pas à la guerre : elle est aussi riche que contradictoire. Hommes et femmes sont à la fois semblablement et diversement saisis par la fatalité de l’existence. Dans la paix, les hommes s’amusent, boivent, certains chantent ou jouent de la musique, mais les nécessités du pouvoir et de la guerre ne sont jamais loin. Koremori doit s’arracher à sa sensibilité pour combattre. Quant au délicat Atsumori, le son de sa flûte précède le sifflement du sabre. Mais, malgré son apparence garçonne, Biwa reste une jeune fille, et c’est avant tout de ses semblable qu’elle attend une réponse à l’absurdité de sa vie. Mais où chercher ? Auprès des épouses de guerriers ? Ou des mystérieuses danseuses de cour, dont la vie oscille entre contrainte et liberté ? Et, parmi elles, auprès de sa mère qu’elle désire retrouver ?

Naoko Yamada s’est parfaitement réapproprié les méthodes du studio SARU, pour nous offrir une œuvre dont chaque image, sans exception, m’a parue sacrée. Au-delà de son harmonie graphique, la série est portée par ce symbolisme discret qui caractérise, par exemple, les estampes ukyo-e. Les scènes humaines, qu’elles soient violentes, tristes, ou joyeuses, sont liées entre elles par des éléments naturels : des fleurs surtout, parfois de la neige ou de l’eau. Cela peut nous paraître étrange, car nos anciens à nous représentaient la « vanité » comme effrayante et morbide. Mais la réalisatrice reste dans la tradition japonaise (celle de l’épopée dont il est question) en esquissant, à travers la beauté de l’éphémère, le reflet de la vacuité. De ce fait, si l’esthétique de l’œuvre n’est pas sans rappeler Kaguya-Hime de Takahata, elle traduit une signification presque opposée. Yamada n’a pas cherché, et c’est merveilleux, à nous rendre les personnages accessibles en banalisant leurs états d’âme. Face à leur destin tragique, elle ne place pas le mirage hédonique d’un bonheur terrestre qu’il faudrait regretter. C’est, d’ailleurs, le personnage le plus absolu de cette histoire qui en a le fin mot. Lorsque l’empereur retiré, l’ambigu Go-Shirakawa, lui demande comment elle fait pour survivre à tant de souffrances (dont il est grandement responsable), Tokuko lui délivre, sans haine aucune, la réponse de Biwa, elle-même la tenant de sa mère : “祈り を” (“inori wo”). En priant. Et une manière de prier, c’est de conter le récit des Heike…

Ray_Moval
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le 12 mars 2023

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