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Too Old To Die Young, une œuvre inclassable signée NWR


Too Old to Die Young a tout d’une caricature du cinéma de Nicolas Winding Refn, et c’est parfaitement compréhensible. Il n’est pas un cinéaste renommé pour la qualité de ses scénarios (quoique ce soit un sujet à débattre), ni pour le rythme soutenu de ses films. En 2017, Amazon Studios lui propose de réaliser une saison de dix épisodes, avec une diffusion en streaming, idéal pour ce cinéaste qui n’aura à se soucier ni de la durée des épisodes (qui peuvent aller jusqu’à 1h40), ni du rythme, sans contrainte de placer des cliffhangers à chaque fin d’épisode, bref : libre de réaliser ce qu’il veut, comme il l’entend. D’ailleurs, le cinéaste lui-même semble nier le format sériel de Too Old to Die Young, l’appelant « film » ce qui en énervera plus d’un, mais qui demeure pertinent : à une heure où les deux médiums se confondent, on peut réellement se questionner sur ce qui ferait que Too Old to Die Young est plus une série qu’un film. L’écriture de Too Old to Die Young s’est effectuée de façon extrêmement linéaire, de la même façon qu’un film, le découpage des épisodes n’intervenant qu’après la rédaction complète du scénario ce qui explique la durée plus que variable des épisodes, avec notamment un final d’une demi-heure ce qui apparaît comme ridiculement court, et qui, il me semble, est irregardable en tant que stand-alone. Le découpage est donc plutôt arbitraire, et on se prendrait à rêver d’un montage de 12h30 sans interruption, qui rendrait à mon sens justice à son écriture. Too Old to Die Young, film-série à regarder d’une traite donc, si le rythme ne vous fera pas vous enfuir après une vingtaine de minutes, tant Nicolas Winding Refn se plaît à caricaturer ce qui était déjà à l’œuvre dans Drive, à savoir des répliques délivrées avec plusieurs longues secondes d’intervalle, et de surcroît toujours très artificielles : les personnages semblent toujours savoir quoi répondre et quand ne pas répondre, ce qui peut être un défaut mais renforce en réalité la confiance que l’on porte en ces personnages, et en leur capacité à évoluer dans un milieu aussi dangereux que celui des cartels. Et surtout, Too Old to Die Young explose les structures narratives sérielles classiques : l’exposition dure le temps des trois premiers épisodes, le quatrième et le cinquième sont de véritables parenthèses dans le récit, et la confrontation des deux couples antagonistes de la série, Martin-Janey et Jesus-Yaritza, n’est amorcée que lors d’une brève scène du premier épisode, et il faut attendre le sixième pour que l’on en voie une seconde et légère prémisse. Le scénario semble s’échiner à retarder sans cesse le moment attendu de la confrontation, de la réalisation ou non de la vengeance de Jesus.


Alors, voir que dès la fin du huitième épisode Martin se fait tuer par Jesus après une torture de trois jours, sans avoir pu lui opposer résistance donc sans confrontation, semble complètement anticlimactique, et surtout : que va-t-on voir durant les deux heures qui restent ? J’ai mis un peu de temps avant de m’en rendre compte, mais cette « fin » n’est qu’un long épilogue. L’arc narratif principal est résolu puisque Jesus a décapité Martin et tué Janey (la vengeance est accomplie), on sait que Viggo va mourir des suites de sa maladie, et que Jesus va accomplir son règne du mal, avec Yaritza pour seule résistance. La conclusion est logique, mais laisse tout de même un goût d’inachevé. Refn ne nous laisse qu’entrevoir le futur de ce monde et de ces personnages, mais s’il paraît difficile de trouver cette fin satisfaisante, elle participe à mon sens au grandiose de la série, et les personnages sortent du cadre du pur audiovisuel.


Esthétique de l'ultraviolence


Autre élément quasi-caricaturé, les aspects formels de Too Old to Die Young, que ce soit dans la photographie, les cadres ou même la musique. Nicolas Winding Refn est l’unique réalisateur de la série, ce lui assure une véritable continuité stylistique malgré la présence de deux directeurs de la photographie : Darius Khondji et Diego Garcia, deux premières collaborations avec le réalisateur danois. Le style est proche de The Neon Demon, extérieurs diurnes excessivement ensoleillés et clairs, tandis que les nuits sont excessivement sombres et colorées, parfois assez artificiellement (les nuits sont giallesques tant elles sont bariolées, et les couleurs ne se justifient que très rarement par un élément diégétique). Mais au contraire de cette photographie très léchée, Refn adopte un style de réalisation très sobre, comme toujours, avec une grande majorité de plans fixes ou de panoramiques : la beauté dans l’image est uniquement interne au cadre : lumières, miroirs, compositions minimales, couleurs. La caméra se fait discrète, et permet, à mon sens, une plus grande immersion dans cet univers fantasmatique. Refn se permet même quelques plans séquences, simplistes : celui du deuxième épisode dans un commissariat mexicain se compose uniquement de panoramiques, et est ainsi rendu presque invisible malgré sa durée d’une dizaine de minutes. Évoquons la musique, toujours composée par Cliff Martinez, dont c’est ici la quatrième collaboration avec Nicolas Winding Refn. Dans Too Old to Die Young et toutes les réalisations récentes de Refn, on pourrait presque parler d’un triumvirat d’auteurs : le réalisateur, le chef-opérateur, et le compositeur. Le rôle du compositeur est renforcé par la confiance qu’entretient Nicolas Winding Refn envers Cliff Martinez, et la liberté qu’il lui accorde. Cliff Martinez signe ici une bande-originale bien plus sombre que la précédente, qui retranscrivait au début du film l’innocence de Jesse et le style presque de conte du film, ici on retrouve une atmosphère inquiétante, violente (avec notamment plus de cordes aiguës). On retrouve enfin quelques morceaux de Julian Winding (l’auteur de la formidable Demon Dance de The Neon Demon), dans le sixième épisode mais également, je le soupçonne, dans le deuxième épisode, même si le morceau en question n’apparaît pas dans la tracklist officielle de la bande-originale. Ces morceaux sont utilisés dans la diégèse du film pour leur qualité dansante (idéale donc pour les fêtes, discothèques etc.) tout en conservant l’aspect sombre et anxiogène de la musique électronique, ce que l’on pouvait voir à l’œuvre dans Climax, réalisé par Gaspar Noé. Enfin, il reprend de son précédent film un certain attachement pour des séquences plus abstraites, notamment celle dans le neuvième épisode qui, sans en dévoiler trop, s’accompagne du prologue du Tannhäuser de Richard Wagner, et plus généralement un amour pour les effusions de sang, très graphiques. Les meurtres sont d’ailleurs généralement très simples et rarement stylisés, ce qui peut paraître étonnant au vu du formalisme dont fait preuve le réalisateur et de l’influence de Dario Argento qu’on lui prête souvent.


L’Amérique vue par NWR


Too Old to Die Young, vide de propos ? C’est ce que l’on pouvait entendre à l’issue de la projection cannoise des quatrième et cinquième épisodes (choix loin d’être logique si l’on a pas vu la série mais qui se justifie, étant les deux épisodes les plus éloignés de l’intrigue principale), ce avec quoi je suis en complet désaccord. Il paraissait étrange que Refn dise avoir eu l’idée de l’intrigue après l’élection de Donald Trump en 2016 lorsque le synopsis évoquait des tueurs à Los Angeles souhaitant devenir des samouraïs. L’intégration d’extraits de discours fascistes et nationalistes à tendance complotiste à la radio lors de scènes en voiture n’est qu’un exemple de la démonstrativité dont fait preuve Nicolas Winding Refn quant au propos politique injecté dans la série : si les personnages réagissent peu aux propos énoncés, ce n’est pas pour autant que Refn souhaite banaliser le discours, bien au contraire. Ces discours vantant l’Amérique comme une terre dont la pureté à protéger est très fortement contrasté par ce que montre Refn de l’Amérique, et la dissonance est telle que l’on ne peut qu’être frappé par leur inconsistance. Dans les USA version NWR, la perversité et la violence règnent en maître : rappelons que Martin, trentenaire, couche avec une jeune fille de seize ans, que l’inceste est plus explicite encore que dans Only God Forgives et que les villes semblent pulluler de violeurs et pédophiles en tous genres. De plus, les scènes au sein de l’équipe de policiers que rejoint Martin sont complètement absurdes, en plus de dépeindre lesdits policiers en êtres grossiers, comme dépourvus d’intelligence, d’individualité et de sensibilité personnelle, réagissant d’une seule voix et par mimétisme aux slogans scandés par leur chef (on trouvera par exemple « Democracy is my bitch », et « Fascism is goodism »), en plus de n’être jamais utile dans l’intrigue puisque tous les meurtres sur lesquels la police enquête restent non résolus, prouvant par là leur absolue incompétence. Une scène de l’épisode neuf se veut le résumé du propos que développe Refn au cours de la saison, lorsque Viggo doit éliminer tout un lotissement de mobile-homes. La scène, extrêmement stylisée, ne montre que des caricatures de ce que l’Amérique produit de pire selon le réalisateur, qui n’hésite pas à faire figurer le drapeau néo-nazi américain (très spécifiquement), prouvant par là une attention particulière à la renaissance de mouvements suprémacistes ces dernières années, et en soulignant de façon on ne peut plus explicite son propos. Enfin, le monologue de Diana dans le dernier épisode fait figure de parole d’oracle, prédisant une apocalypse en Amérique, la fin de l’humanité et une plongée vers le fascisme, la violence institutionnalisée, une ère de bêtise et de perversités exaltées sans retenue. Ce discours rejoint celui de Jesus dans l’épisode précédent, qui annonce la teneur de son règne à venir, en dressant de très clairs parallèles entre les deux : Diana évoque notamment le viol récompensé, l’inceste banalisé, des violences racistes, un pouvoir oligarchique etc. Refn ne pourrait pas faire plus fataliste et sombre s’il le voulait …


Masculin, Féminin


Il est intéressant de constater à quel point le genre chez Nicolas Winding Refn est à géométrie variable, en particulier en ce qui concerne le masculin. Ryan Gosling servait de point de repère jusqu’ici, son jeu mutique servait à la fois une figure virile, de cow-boy au grand cœur dans Drive, et une figure d’une masculinité boiteuse dans Only God Forgives, son personnage traversait le film sans pouvoir jamais agir : l’impuissance était au cœur de l’œuvre. Dans Too Old to Die Young, ce n’est plus l’interprétation de Miles Teller qui sert de repère malgré ce même jeu mutique (qui reste constamment à mi-chemin entre les deux figures masculines interprétées par Gosling), mais Jesus, interprété par Augusto Aguilera. Ce personnage est à mon sens assez singulier, j’ai l’impression que ce personnage a été écrit comme un personnage féminin, coquet et parfaitement apprêté, tout en se montrant capable d’une grande violence. Yaritza, quant à elle, s’impose comme la digne héritière du Driver, dont le mutisme et la discrétion au début de la série laisse place à un personnage capable, vengeur et efficace (la blouse aux motifs tissés rappelle celle du personnage de Drive et son scorpion doré) et elle se révèle être le point central de la série. C’est d’ailleurs elle qui sert de contrepoint en ce qui concerne la misogynie qui règne au sein du cartel en incarnant la Grande Prêtresse de la Mort, figure féministe qui venge et protège les femmes.


Too Old to Die Young synthétise les gimmicks de son auteur en plus de douze heures, développe un véritable propos anti-fasciste et nihiliste dans ce qui peut paraître une avalanche de scènes de violence gratuite, à la lenteur dite assommante mais qui crée une véritable atmosphère qui vous reste. NWR au sommet.

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le 9 juil. 2019

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