True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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On aurait avec plaisir retrouvé HBO pour une grande série dramatique, audacieuse et novatrice, comme au temps de sa splendeur. Force est de constater que ce n’est pas tout à fait le cas. En effet, True Detective souffre de plusieurs défauts, en partie seulement contrebalancés par des atouts indéniables.

Le premier problème apparaît très vite : c’est le manque d’invention de l’intrigue. Si l’ambiance poisseuse de la Louisiane profonde est très bien rendue, et si le climat de cette enquête aux relents de satanisme dégage un fort potentiel, l’ensemble a déjà été vu de nombreuses fois au cinéma ces dernières années et ne brille pas par son originalité. Plus grave, à mesure que l’enquête avance, les éléments folkloriques (Mardi-Gras et Vaudou, société secrète et notables locaux impliqués, rednecks mentalement perturbés) ressemblent de plus en plus à des gimmicks mal exploités et sans véritable fondements.

Heureusement, cette progression de l’enquête ne constitue que la partie immergée de l’iceberg. Les personnages sont, eux, brillamment écrits, et l’aspect fortement littéraire des dialogues n’est pas pour déplaire. Ce qui se détache véritablement de la série, et ce qui fait, malgré tout, son intérêt, c’est la relation entre ces deux personnages de flics très différents, qui ne partagent aucune amitié ni vision du monde, qui peuvent à peine communiquer l’un avec l’autre, mais qui sont malgré tout liés par leur professionnalisme et par le sentiment diffus que le métier de flic les détruit. C’est d’ailleurs lorsqu’ils auront l’un et l’autre quitté la police qu’ils pourront enfin se rapprocher : cette proposition narrative est sans doute légèrement tirée par les cheveux, elle n’en est pas moins symbolique de la vision des auteurs de la série, qui voient le métier de policier comme un sacerdoce empêchant celui qui le pratique correctement de mener par ailleurs une vie normale. Si cette idée était présente dans des séries antérieures (cf. Bunk et McNulty dans The Wire), elle est ici illustrée avec talent, et servie par un duo de comédiens remarquables.

Autre problème : la gestion de la temporalité. Si, pendant toute sa première moitié, la série organise assez bien les allers-retours entre les époques (1995 et 2012), cela se gâte dès que les lignes narratives se rejoignent sur la période du présent : le personnage de Rust Cohle, qui était présenté sur les deux époques comme une sorte de maniaque nihiliste, sombre et inquiétant, et sur la seconde époque, comme un alcoolo dépressif, se transforme soudain en justicier parfaitement lucide, qui n’a cessé de travailler en secret toutes ces années hors-service. Ce basculement ne fonctionne pas, et entache en partie la fin de la série par un repositionnement trop conventionnel des personnages les uns par rapport aux autres, d’autant plus que la disparition des autres lignes temporelles (1995, mais aussi 2002) enlève une grande part d’ambiguïté et de complexité à l’intrigue. Par ailleurs, si le bluffant plan-séquence du quatrième épisode a été justement salué de toute part pour sa virtuosité, on ne peut s’empêcher de remarquer que son principe même (concentration temporelle sur 6 minutes de temps « réel ») est en opposition totale avec le principe narratif de l’ensemble de la série (étalement d’une enquête sur presque vingt années) : qu’elle soit volontaire ou non, cette gestion du temps est de toute façon maladroite. Quant à la thématique de l’obsession lors d’une enquête au long cours, Zodiac avait étudié le sujet avec plus de finesse en montrant précisément, et de manière originale, comment se construit une enquête : ici, ce qui est vu du travail de police se résume à des interrogatoires très classiques, des recherches dans les archives et des intuitions subites : toutes choses déjà vues ailleurs.

La réalisation est l’autre point fort de la série. Entièrement confiée au jeune cinéaste Cary Fukunaga (réalisateur de Sin Nombre et de Jane Eyre), elle ne manque pas de panache et met en valeur aussi bien les somptueux décors naturels que les face-à-face dialogués. Cette méthode (une saison = un réalisateur) est sans doute la meilleure pour garantir sans artifices une cohérence de style dans la mise en scène d’une série. Mais elle est également, avec l’emploi d’acteurs de cinéma, le signe qu’ Hollywood investit de plus en plus, sans honte et même avec un certain enthousiasme, le champ télévisuel. Si l’on a pu remarquer, au début des années 2000, que les séries HBO étaient le lieu ou découvrir des techniques narratives nouvelles, des sujets audacieux, et des comédiens négligés par l’industrie hollywoodienne (James Gandolfini dans The Sopranos, le sexe sans tabous dans Six Feet Under, la disparition du héros dans The Wire), que signifie aujourd’hui cette mixité de plus en plus grande entre le monde hollywoodien et le monde des séries télévisées ? N’y-a-t-il pas un risque de récupération par les stars, et donc d’affadissement de la production ?

Bref, contrairement à ce qu’on peut lire un peu partout, True Detective n’est pas le génial et attendu renouveau de HBO. Sa mise en scène sophistiquée, ses comédiens principaux – et sa fabuleuse bande originale – emportent le morceau, mais on regrette malgré tout un manque d’originalité global qui témoigne d’une relative paresse dans l’écriture, et qui, espérons-le, sera oubliée dans la prochaine saison.
cinematraque
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le 18 mars 2014

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