X
7.1
X

Anime (mangas) WOWOW (2001)

Voir la série

Le labyrinthe des miroirs brisés

À première vue, X, la série télévisée de 24 épisodes diffusée en 2001 et adaptée du manga des CLAMP, semble réunir tous les ingrédients d’une fresque mémorable. Une cité moderne promise à l’apocalypse, une multitude de personnages aux destins croisés, un conflit titanesque entre forces de destruction et de préservation. Ajoutez à cela la patte sombre et flamboyante de Yoshiaki Kawajiri, figure marquante du studio Madhouse, et l’on pourrait s’attendre à une épopée animée capable de rivaliser avec les grandes sagas de l’époque. Pourtant, au fil de ses épisodes, X se déploie comme une promesse qui se fissure, un labyrinthe où chaque miroir reflète davantage l’éclat de l’ambition que la clarté d’une construction maîtrisée.


La série se heurte d’abord à un dilemme inhérent à son matériau d’origine. Le manga des CLAMP, commencé au début des années quatre-vingt-dix et resté inachevé, repose sur une architecture complexe, où chaque protagoniste — Kamui, Fūma, Kotori et une foule d’autres guerriers — incarne non seulement un rôle narratif mais un symbole métaphysique. Cette complexité, source de fascination sur papier, exige un temps long pour se déployer, des respirations et des détours. Le format sériel aurait dû être l’espace idéal pour honorer cette densité. Mais la série, prisonnière de son désir de donner une conclusion définitive là où le manga s’était interrompu, choisit la ligne droite, l’urgence, la simplification. Le résultat est paradoxal : trop étendu pour être incisif, trop condensé pour être subtil, X se perd dans l’entre-deux.


Le récit avance comme à contretemps, oscillant entre des épisodes entiers consacrés à des duels spectaculaires et des moments de dialogues emphatiques qui peinent à faire respirer les personnages. La volonté de donner à chacun son quart d’heure de gloire se traduit par une mécanique répétitive : introduction d’un destin, révélation d’un pouvoir, affrontement, chute. Cette structure, si elle offre des instants d’intensité, finit par épuiser la dramaturgie. L’émotion, au lieu de croître, se dilue. Chaque sacrifice, chaque mort annoncée, se ressemble, comme si le tragique était devenu un procédé. Ce n’est plus la fatalité qui serre la gorge, mais la routine qui engourdit.


Kawajiri et son équipe ne manquent pourtant pas d’audace visuelle. Certaines séquences témoignent de la virtuosité graphique du studio Madhouse : les paysages urbains de Tokyo stylisés jusqu’à l’abstraction, les corps projetés dans des affrontements aériens, les visions prophétiques striées de sang et de lumière. Mais cette virtuosité s’accompagne d’une uniformité qui finit par éroder l’effet recherché. Les combats, censés incarner la singularité de chaque guerrier, se ressemblent dans leur mise en scène, prisonniers d’un même vocabulaire de ralentis emphatiques, de contre-plongées dramatiques et de gestes théâtraux figés. Là où la diversité aurait pu faire éclater la richesse des personnages, la série impose un ton monocorde, sombre à l’excès, qui transforme l’apocalypse en rituel lassant.


Cette monotonie visuelle est accentuée par la rigidité des personnages eux-mêmes. Le design issu des CLAMP, avec ses silhouettes filiformes et ses regards de cristal, possède une puissance iconographique indéniable. Mais l’animation ne parvient pas toujours à donner chair à ces figures. Elles évoluent comme des statues mouvantes, magnifiques à contempler mais distantes, presque inaccessibles. Le spectateur assiste à une tragédie hiératique, où la beauté glacée des corps et des visages finit par dissoudre l’empathie. La série veut être bouleversante ; elle devient fascinante mais froide, éblouissante mais impénétrable.


Là où le manga cultivait un équilibre fragile entre l’intime et le cosmique, la série privilégie le grandiose au détriment de la nuance. Les dialogues, saturés de prophéties et de métaphores apocalyptiques, laissent peu de place aux respirations quotidiennes qui faisaient le charme des CLAMP. L’univers devient un théâtre de marbre où tout est solennel, où chaque phrase prétend être une révélation. Cette inflation verbale pèse sur la narration : on se perd dans les discours sans que l’action en soit réellement nourrie. L’impression est celle d’un opéra où l’on chanterait sans cesse la fin du monde mais où l’on oublierait de raconter la vie qui s’apprête à disparaître.


La musique de Naoki Satō, ample et mélodramatique, renforce cette impression. Parfois, elle épouse la noirceur des images avec un souffle indéniable ; le plus souvent, elle accentue la grandiloquence déjà omniprésente. Les chœurs et les orchestrations symphoniques semblent conçus pour porter un récit monumental, mais finissent par souligner le décalage entre la promesse d’une apocalypse absolue et la répétition d’affrontements trop semblables. Le spectateur, au lieu d’être emporté, se sent surplombé, comme accablé par un excès sonore.


Il faut pourtant reconnaître que X, malgré ses errements, conserve une certaine aura. Son atmosphère crépusculaire, son obsession de la fatalité, sa volonté de plonger Tokyo dans un cauchemar de verre et de sang en font une œuvre singulière dans le paysage de l’animation japonaise du début des années 2000. À une époque où la télévision multipliait les récits scolaires et les comédies romantiques, X osait l’apocalypse métaphysique, l’emphase shakespearienne, la noirceur ininterrompue. Ce choix radical, même mal maîtrisé, confère à la série une identité propre, qui explique pourquoi elle reste encore évoquée aujourd’hui. Mais cette singularité est aussi sa prison : en refusant tout contrepoint, toute légèreté, elle s’épuise dans l’uniformité.


Comparée au manga, la série révèle sa fragilité. Les CLAMP, en multipliant les personnages et les intrigues secondaires, construisaient une toile mouvante où l’incertitude faisait partie du charme. Les silences, les ambiguïtés, les lenteurs participaient d’une esthétique du non-dit. La série, elle, craint le vide et cherche à combler chaque interstice par des prophéties ou des combats. Le mystère se transforme en opacité, la subtilité en emphase. Là où le manga séduisait par l’inachevé, la série prétend donner une conclusion définitive. Mais cette conclusion, artificiellement imposée, trahit l’esprit même de l’œuvre originale.


X occupe ainsi une place ambiguë dans l’histoire de l’animation japonaise. Elle ne peut rivaliser avec les grandes fresques de son temps, telles que RahXephon ou même l’ombre encore vive d’Evangelion, qui savaient allier ambition métaphysique et complexité psychologique. Mais elle témoigne d’une tentative rare : celle de porter à l’écran, avec un sérieux implacable, un manga encore inachevé, et d’y inscrire une fin. En cela, elle fascine autant qu’elle déçoit. Elle nous rappelle que l’animation peut oser l’absolu, mais aussi que l’absolu exige un équilibre que Kawajiri et son équipe n’ont pas su trouver.


En définitive, X est moins une réussite qu’un avertissement. Elle montre ce qui se produit lorsqu’une vision trop grandiose se heurte aux limites du médium et du format. Elle échoue à émouvoir, elle échoue à convaincre, mais elle demeure mémorable par ses éclats, par sa noirceur obstinée, par sa volonté de croire encore à la grandeur tragique à une époque où la télévision animée se tournait vers des récits plus modestes. On la revoit aujourd’hui non pour ce qu’elle accomplit, mais pour ce qu’elle échoue à accomplir, et parce que ses ruines, brillantes et glacées, continuent de refléter nos propres désirs de légende.

Kelemvor
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs animes japonais

Créée

le 16 août 2025

Critique lue 12 fois

1 j'aime

Kelemvor

Écrit par

Critique lue 12 fois

1

D'autres avis sur X

X
Clampy
7

Critique de X par Clampy

Une bonne surprise. Découvert par hasard dans les années collèges, dans des bundles de DVD d'anime qui sortait chaque mois réunissant un DVD de X, Fruits Basket, Love Hina et Last Exile (je suis sur...

le 23 juin 2017

1 j'aime

X
Kelemvor
5

Le labyrinthe des miroirs brisés

À première vue, X, la série télévisée de 24 épisodes diffusée en 2001 et adaptée du manga des CLAMP, semble réunir tous les ingrédients d’une fresque mémorable. Une cité moderne promise à...

le 16 août 2025

1 j'aime

X
Ninesisters
5

Critique de X par Ninesisters

La première fois que j'ai vu cet anime, je l'ai beaucoup aimé. Depuis, j'ai lu le manga, et en re-voyant X, j'ai remarqué tous ses défauts, et ils sont nombreux. Ils viennent surtout des nombreuses...

le 15 mai 2012

1 j'aime

Du même critique

Une bataille après l'autre
Kelemvor
8

Front contre front

Il y a des films qui ne se contentent pas de dérouler une intrigue ; ils font entendre un pouls, ils politisent le rythme. Une bataille après l’autre procède ainsi : il impose une cadence qui n’est...

le 24 sept. 2025

71 j'aime

33

Frankenstein
Kelemvor
7

L'éclat des chairs et des ombres

On pénètre dans cette nouvelle adaptation de Frankenstein comme on franchit un seuil ancien, nu et tremblant, attendu par des odeurs de métal et par le souffle d’un monde en réparation. Guillermo del...

le 8 nov. 2025

57 j'aime

15