Il y a deux choses qui poussent à suivre les cinq saisons de Yellowstone.
La première, ce sont les paysages hallucinants de beauté du Montana. Des paysages qui se suffisent à eux-mêmes puisque que, question mise-en-scène, la série n'arrive jamais à restituer un début de logique temporelle ou spatiale. On peut enchaîner les séquences de dialogues en plein air sous un soleil estival avec des plans de très grand ensemble où la neige recouvre les sommets. D'un épisode à l'autre, alors qu'ils sont censé s'enchaîner sans plus de quelques jours ou heures d'écart, on peut avoir la sensation de changer complètement de saison, parfois selon les besoins de l'intrigue, parfois sans raison. Une incapacité à restituer, ou à rendre lisible, le cycle de la nature qui pose un vrai souci dans une série qui se rêve en porte-parole de cette même nature. Mais, les décors naturels tabassent, la lumière naturelle tabasse alors on en profite car les Etats-Unis reste un pays superbe du point de vue géographique.
La deuxième est cette fenêtre ouverte sur une Amérique qu'on ne voit que très peu dans les productions audiovisuelles américaines. Une Amérique désenchantée et nostalgique qui se sent exclue, qui est ici restituée avec une certaine authenticité... bien sûr beaucoup de problèmes de l'Amérique moderne sont gommés (étonnamment, personne n'est raciste par exemple et les violences policières n'existent pas où alors sont traitées avec une grande bienveillance, voir sont glorifiées car, apparemment, voler du bétail ça mérite bien de mourir le crâne défoncé dans une remorque à chevaux) mais il subsiste cette authenticité matinée de romanesque. Ainsi, les meilleurs moments de Yellowstone sont ceux que l'on passe avec les forçats de la terre, dans le dortoir ou dans les champs, avec ces cowboys sous éduqués, aux rêves simples. La série leur offre un vrai espace pour exister et pour mettre en valeur leur savoir-faire et leur culture propre. Les cowboys du bas de l'échelle sont aussi les meilleurs personnages de Yellowstone : Teeter, Colby, Ryan, Lloyd et bien sûr Jimmy et Rip. Ils vivent dans un monde complètement différent du nôtre (et pourtant je ne suis pas un urbain), un monde qui a ses aspects ringards, gênants voire parfois problématiques mais on peut comprendre leur attachement à ce monde. C'est d'ailleurs une des raisons du succès de la série aux USA : elle parle sans condescendance de ces gens simples et anonymes. Toute la question de la préservation d'un mode de vie, d'un milieu naturel des griffes d'un capitalisme carnassier est intéressante et on ne peut, à travers ces personnages, qu'y être, à minima, sensible.
Le problème de Yellowstone, c'est tout le reste. Bien sûr il y a l'aspect politique d'un show qui penche très clairement du côté du parti républicain avec une détestation systématique de la Californie et de New-York et une célébration quasi constante du repli sur soi et de la haine de l'autre. Un aspect qui ne fait que s'accentuer au fil du show pour culminer dans la saison 5, d'une connerie assez abyssale, où ce mantra est répété ad nauseam. Les écologistes sont des idéologues ignares qu'il faut convertir et le Parc National du Yellowstone, dont l'objectif est la préservation des milieux naturel, est étrangement traité comme une source de problèmes et d'emmerde. Pour une série qui plaide le respect des traditions de l'Amérique profonde, ils ne respecte jamais ce qui est différent, il n'y a même pas l'amorce d'un seul personnage "étranger" qui soit un minimum positif ou même nuancé. Non, ce sont tous des destructeurs de tradition nuisibles et méchants comme des hyènes. Il est d'ailleurs étrange qu'une série sur les difficultés des éleveurs de bétail tienne plus les écologistes et les végétariens pour responsables que l'industrie agro-alimentaire américaine dont les méthodes et habitudes ne sont jamais questionnées. Au "mieux", c'est la faute des brésiliens.
Alors, oui il y a le cas à part des indiens. Au début de la série, ils sont montré comme pernicieux et responsable de tous les dérapages (notez qu'à aucun moment la pertinence d'avoir des agents chargés de la surveillance du bétail armés d'AR-15 n'est questionnée), puis ça s'améliore jusqu'à poser explicitement la problématique de la spoliation des terres et de la création des réserves où les indiens vivent comme des citoyens de secondes zones. Le problème, c'est que ces sujets sont évoqués mais jamais suffisamment explorés ou développés, les intrigues concernant les indiens reposent vite sur trois ou quatre scènes de deux minutes éparpillées n'importe comment au montage sur cinq épisodes. Par exemple l'expropriation des indiens de leurs terres est traité en mode "c'est comme ça, c'est la vie". Pourtant il y a moyen de remettre en question l'argument absurde des protagonistes blancs "ma famille est ici depuis 130 ans donc c'est chez moi" puisque les indiens sont là depuis des millénaires. C'est évoqué mais jamais exploité, le paradigme des protagonistes n'est jamais interrogé. La moitié du temps, on ne revoit les indiens que parce qu'ils vont jouer un rôle pour aider les héros blancs de la série. Ils n'arrivent pas avoir une véritable existence propre même s'ils bénéficient ponctuellement de moments vraiment intéressants. On sent très clairement un désintérêt total pour parler des particularités de cette communauté, au mieux la faute est systématiquement renvoyée sur les bureaucrates de Washington, les colons venus d'Europe les indiens à coup de winchester étaient apparemment dans leur bon droit. C'est un véritable loupé.
Et on touche là le vrai problème de la série, au-delà des divergences politiques : Yellowstone est une série à l'écriture globalement effroyable. Si on en restait au niveau de la chronique rurale et péquenaude, il y aurait eu quelque chose qui fonctionne mais la véritable colonne narrative de la série repose sur un mélange malheureux entre Dallas et les séries criminelles produites à la chaîne pour combler la case 23h-4h des chaînes de télé de seconde zone.
Ainsi la Famille Dutton occupe l'immense majorité du temps d'antenne avec au centre John le patriarche campé par Kevin Costner, propriétaire de ranch qui justifie tout, y compris le meurtre, le chantage, l'abus de pouvoir, le détournement des moyens publics à des fins personnelles, parce que le ranch, c'est chez lui et qu'il peut y faire ce qu'il veut. Au début, la série entretien des dilemmes et offre aussi à John des moments humains, notamment avec son petit fils ou ses cowboys, qui donnent de l'épaisseur au personnage et le rendent intéressant. Puis, les deux dernières saison foncent tout droit sur l'autoroute de l'eulogie sans nuance où John est présenté comme un idéal que l'Amérique devrait prendre en exemple.
Et il y a le reste de la famille :
- Kayce, personnage proche des indiens et qui voit le ranch comme une malédiction mais qui a le syndrome "good guy with a gun". Le show pardonne tout, y compris exécuter des gens neutralisé ou incapable de se défendre et braquer un flingue sur la tempe d'une adolescente de 11 ans. Dans la première saison il tue minimum une personne par épisode mais ça n'inquiète personne, tout semble normal pour tout le monde. L'arc narratif de sa femme, la belle Monica, de sang indien, est assez hallucinant. En effet, on passe d'une femme se questionnant sur son identité et son appartenance, une enseignante passionnée par la transmission de l'histoire de son peuple à une femme au foyer docile qui passe l'intégralité de la saison 5 à cuisiner, à attendre le retour de son homme à la maison et à pleurer parce que c'est beau un mâle qui fait des choix pour sa famille. Ce n'est qu'une des formes du sexisme inhérent à la série.
- Jaime, le fil détesté par son père parce qu'il est devenu avocat... non, parce qu'il a été obligé de devenir avocat à cause de ce même père. Une situation hyper intéressante qui ne donnera rien puisque le show va donner raison à John, utiliser ses enfants en broyant leurs rêves c'est bien tant que ça permet de servir ses intérêts. Jaime aurait alors pu devenir un méchant vindicatif, surtout qu'il sort d'Harvard et qu'on nous le présente comme brillant avocat. Mais à la place, il se couche au moindre obstacle et est une victime permanente qui na jamais de répondant. Son intellect il le range au placard et se retrouve piégé dans des situations qui n'ont aucun sens vis à vis de son statut social.
- Et puis il a Beth, probablement le personnage le plus insupportable de toute l'histoire de la télévision. Une meuf méchante parce que c'est cool d'être méchante, qui ne cesse de tout ramener à elle, qui en veut au monde entier parce qu'elle a vécu des choses tristes quand elle était petite et qui n'assume jamais ses propres connerie à part pour pleurnicher en manipulant les sentiments de Rip. Au casting, c'est Kelly Reilly qui n'a jamais joué aussi mal de toute sa vie, chaque geste, chaque phrase est appuyée par une série de mimiques pour bien montré "ouais moi je suis torturée, tu vois ?". Le personnage a un ascendant sur tout son entourage parce que chaque interaction qu'elle a se fait systématiquement avec des gens qui sont complètement cons ou qui, à ce moment-là, ne savent pas quoi répondre. Elle n'est pas plus intelligente que les autres, c'est l'écriture des autres personnages qui les rends suffisamment cons pour la faire briller. C'est artificiel et incroyablement répétitif.
Tout ce beau monde évolue au gré d'intrigues qui n'ont souvent aucun sens car elles sont le plus souvent abandonnées, purement et simplement, en cours de route. Un nouveau shérif qui convoque John Dutton pour lui dire que les choses vont changer ? On va le revoir une fois et ça n'aboutira sur rien. Des dizaines de cadavres empilés dans un canyon ? bah... voilà, c'est tout, c'est comme ça. Un rebondissement majeur via un nouveau personnage inconnu ? Trois épisodes plus tard on se rend compte que le personnage n'est plus là et on ne sait ni comment ni pourquoi et d'ailleurs tout le monde semble avoir oublié le rebondissement majeur sus-cité. Globalement, Yellowstone est une série où pratiquement rien n'a jamais de conséquence, surtout pour les protagonistes. Les vilains sont punis mais pour tout ce que font les protagonistes, c'est open bar. Même d'un point de vue psychologique, leurs actions n'ont aucun impact sur eux. Un gloubiboulga indigeste où le créateur/scénariste Taylor Sheridan s'octroie un rôle de connard prétentieux mais qui vire au grotesque alors qu'on est supposé l'aimer parce qu'il est trop balèze sur un cheval et qu'il fait des vannes. On sent bien l'esprit revanchard suite à l'échec de sa carrière d'acteur à Hollywood, c'est, là aussi, un poil lassant à la longue surtout que ça a tendance à s'accentuer de plus en plus au fil des saisons.
La revanche est d'ailleurs vraiment le feu qui anime Yellowstone et qui annihile ses meilleurs aspects. Plutôt que de nous inviter dans ce Montana, ce Texas, cette Amérique oubliée, mal connue et souvent caricaturée, Taylor Sheridan décide d'en faire un pamphlet qui nous dit que nous ne sommes pas les bienvenus et que la violence et la loi du plus fort, c'est ce qui fait marcher le monde droit. Le message est qu'il faut tout accepter, en bloc, sans remise en question et fermer sa gueule sinon ils vont nous la faire fermer pour nous. Exiger le respect par la force au lieu de le provoquer. Le propos de la série se résume à cette scène où Beth casse la gueule à une écologiste pour lui dire que c'est comme ça qu'elle la respecte dorénavant pour, ensuite, continuer à la traiter comme de la merde. Et s'il y a bien une chose dont je reste convaincu c'est qu'au Montana, comme ailleurs, le respect n'a de valeur que s'il est réciproque, ce qui n'est jamais le cas dans Yellowstone. C'est aussi ce qui fait, à son corps défendant, l'un des intérêt de la série : elle offre une photographie inédite de cette Amérique conservatrice qui se victimise et ne trouve de réponse que dans la violence. La cinquième saison se termine au même moment que le retour de Trump à la Maison Blanche et la coïncidence ressemble alors à une prophétie. Les rednecks et les paumés veulent leur revanche et même s'ils ne sont pas initialement pour Trump, ils l'acceptent volontiers car il les flatte et fait semblant de les écouter. C'est d'ailleurs la trajectoire personnelle de Taylor Sheridan, conservateur traditionnel initialement hostile au milliardaire, fils de milliardaire, petit fils de milliardaire et père de milliardaires qui est prêt, aujourd'hui, en 2025, à se faire sauter sur une mine en son nom. Ce qui en devient assez cocasse puisque Donald Trump est la manifestation bien réelle des dangers du capitalisme brutal, idiot et sans valeur pointés du doigt par la série. Les méchantes PDG de la société Market Equities qui veulent détruire le ranche pour construire une station de ski et un aéroport existent dans le monde réel, ils ont notamment le visage de Donald Trump. Pourtant, l'heure est venue de lui lécher les bottes. Comme dans l'écriture de la série, la logique et la cohérence n'est pas ce qui semble étouffer Taylor Sheridan.
Yellowstone n'en fait pas un sujet et pourtant la série nous raconte en creux comment cette Amérique rurale a été perdue. Il n'y a pas de recul, sans doute parce que la perspective immersive ne le permet pas et sans doute aussi parce que, passé un certain stade de l'histoire, il n'y a plus aucune intention de prendre ce recul.
Au bout du compte et malgré toute l'affection et l'empathie que l'on peut avoir pour les cowboys/cowgirl du show, Yellowstone, en confondant respect des traditions et célébrations des archaïsmes, fini par conforter les clichés qu'il se jure de combattre.