Le feu du présent ne brûle jamais aussi vivement que lorsque le souffle du passé vient l’attiser : c’est la démonstration réalisée une fois encore par les sept Canadiens de Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-la-la Band (A Silver Mt. Zion pour les intimes). Entonnées par tous les membres du groupe, les quatre chansons fleuves de 13 Blues For Thirteen Moons – leur durée oscille entre treize et seize minutes – creusent un peu plus le terrain d’expérimentation colonisé depuis une bonne dizaine d’années par les groupes du label Constellation, Godspeed! en tête. Mais elles prennent aussi leur source très en amont, dans la longue histoire des chants populaires collectifs, ce courant souterrain qui mène des chorales religieuses aux flambées vocales du punk en passant par la tradition toujours vivace des hymnes révolutionnaires. Groupe de rock sans foi ni loi, orphéon explosif, formation classique sortie du rang et laboratoire sonore, A Silver Mt. Zion joue une musique à la fois primitive et ancrée dans son temps : pour paraphraser l’expression du peintre Gaston Chaissac, elle pourrait être qualifiée de "rustique moderne". Avec une intensité et une crudité de parole exemplaires, elle porte un regard pénétrant sur l’état de ce monde, qui pointe le désastre ambiant pour mieux dégager les raisons de ne pas le subir. Conçu en 2000 comme un satellite de Godspeed! (ses fondateurs, Efrim Menuck, Sophie Trudeau et Thierry Amar, sont issus du fameux collectif montréalais), A Silver Mt. Zion s’est d’abord illustré dans le champ incertain des nouvelles musiques de chambre. Reposant en grande partie sur le lyrisme inquiet des cordes, son art était alors essentiellement instrumental. Efrim, la tête pensante du groupe, souhaitait s’affranchir de sa condition de musicien autodidacte et s’initier aux codes de l’écriture classique. Une ambition vite abandonnée, au profit d’une esthétique plus brute et plus conforme aux pulsions de ses partenaires. "A l’époque de notre premier album, nous jouions une musique plutôt calme, sans batterie ni gros volume sonore, rappelle le Montréalais. La présentation était finalement assez précieuse, et nous n’en étions pas satisfaits. Nous nous sommes donc engagés dans une voie plus intense et moins confortable. Nous avons appelé un batteur, étoffé l’effectif et commencé à jouer plus fort, et surtout nous avons décidé de faire entendre nos voix. C’était il y a quatre ou cinq ans, et ça a été un véritable tournant. L’euphorie qui nous a saisis était si grande qu’il n’y avait aucune raison de ne pas prolonger l’expérience." L’énergie rare qui se dégage de 13 Blues For Thirteen Moons relève bel et bien de la plus sauvage volupté : on y entend sept personnes qui s’abandonnent à la joie féroce de partager une musique et un verbe non policés, projetés avec une ardeur qui saurait conjuguer les forces de la colère et du plaisir. Jadis, quand ils composaient de longues pièces muettes au sein de Godspeed! ou de la première mouture de Silver Mt. Zion, Efrim et ses complices savaient déjà se montrer éloquents : la très subtile puissance de feu de leur jeu en disait plus long que n’importe quelle chanson engagée.
En prenant la plume et en donnant de la voix, ils risquaient donc d’émousser leur propos : leurs textes affilés et leurs chants perçants en aiguisent au contraire les contours. "Même si je suis un grand amateur de musique, je suis d’abord un grand dévoreur de livres, précise Efrim, auteur de toutes les paroles et responsable de la voix lead. J’ai toujours aimé écrire, et j’ai senti à un moment que nous devions nous montrer plus explicites. La dernière tournée américaine de Godspeed! a eu lieu alors que la guerre en Irak faisait rage : là, j’ai vraiment été frustré de voir que nous étions incapables de parler directement aux gens de sujets très concrets. J’en suis venu à la conclusion qu’il fallait remettre le verbe au centre de notre musique."
Avec cette arme supplémentaire dans son arsenal expressif, A Silver Mt. Zion peut reprendre les choses là où Godspeed!, aujourd’hui en hibernation, les a laissées : il porte plus loin la parole d’un collectif qui, devant le spectacle effrayant du monde, entend bien éveiller chez ses contemporains le désir de transformer leur peur en espoir. "Hier encore, un journaliste m’a demandé pourquoi notre musique était si dépressive, se désole Efrim. Je ne peux pas répondre à ce genre de question, qui tient de la pure plaisanterie. Ce monde est déprimant, mais j’estime que notre musique, elle, est joyeuse. Même si l’époque est merdique, je persiste à avoir confiance dans l’humanité. Autour de nous, il y a des gens qui, au quotidien, ne cessent d’accomplir de petites choses miraculeuses. Cette réalité nous inspire énormément, elle nous pousse à continuer et à ne rien lâcher." (Inrocks)


Après avoir brillamment contribué à la renaissance de Vic Chesnutt, aussi bien sur disque que sur scène, les canadiens de Silver Mount Zion sont de retour pour un nouvel album ou pour une nouvelle étape de leur épopée, devrait-on dire. En effet, rares sont les groupes qui alignent une telle discographie, faite d'albums qui sont autant de symphonies épiques, mélange de rock, de folk, d'un peu tout ce qui est susceptible de créer l'émotion, avec une capacité inégalable à s'affranchir des genres et des formats.L'évolution la plus prégnante de leur musique est la présence toujours plus importante de la voix. Sur "13 Blues For Thirteen Moons", les quatre longs morceaux sont chantés du début à la fin. La voix d'Efrim, leader charismatique de la troupe, à la fois fluette et urgente, mène la danse, soutenue par l'ensemble du groupe qui assure les choeurs. Derrière, ce sont les guitares qui donnent le tempo, ce qui offre à cet album un côté plus direct, plus rock et tranchant que ses prédécesseurs. Certes, certains feront la fine bouche en disant que la musique de Silver Mount  Zion se banalise, se rapproche des canons existants. Ce sont peut-être les mêmes qui n'avaient de cesse de fustiger le groupe, et l'ensemble des artistes Constellation en les traitant d'élitistes, de poseurs snobs à la musique pédante. Querelles bien vaines, car Silver Mount Zion reste inimitable. 1,000,000 Died to Make This Sound déborde de lyrisme, la structure de 13 Blues For Thirteen Moons donne le vertige sans jamais étirer la sauce. Les Canadiens n'ont pas d'égaux pour faire sourdre la violence puis la laisser éclater, faire naître une boucle mélodique au détour d'un violon. A aucun moment le groupe ne renie ses spécificités mais révèle son simple besoin de se faire entendre, comprendre, pour fustiger son époque sans jamais jouer les moralistes. Sur Black Waters Blowed/Engine Broke Blues, ils nous tirent presque des larmes avant de modifier le propos pour un final libérateur et fédérateur. Les albums de Silver Mount Zion sont comme la vie, à la fois âpres, graves, pleins de colère, sans oublier que dans chaque homme et femme il y a un coeur qui bat et qui ne demande qu'à se faire entendre et aimer. C'est parce qu'on y retrouve un peu de nous-mêmes que les disques de ce groupe sont si précieux. (indiepoprock)
bisca
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le 10 mars 2022

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