le 13 oct. 2025
Take the long way home, Rick
Salut Rick,Tu t’es éclipsé un matin de septembre 2025, sans faire de bruit, comme si tu ne voulais déranger personne. L’annonce de ton départ s’est perdue dans le vacarme du monde, entre deux guerres...
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Avec ce disque, on traverse l’Atlantique sans quitter son salon, sans visa, sans douane, sans devoir expliquer à un officier américain qu’on n’a pas d’armes dans nos sacs. On lance Cracker, le premier album de… Cracker en 1992, et hop nous voilà catapulté en Amérique profonde, celle des pick-ups cabossés, des bars qui sentent la graisse froide et des motels où on n’oserait même pas poser un orteil sans vaccin préalable.
Écouter Cracker, c’est un peu comme se retrouver coincé dans un diner au fin fond du Nevada avec des paysans bourrus, un prêtre louche, un vendeur d’armes et un philosophe bourré au bourbon. Avec, au milieu, David Lowery (ex Camper Von Beethoven) qui commente la scène en murmurant : “Regarde bien, c’est mon pays… et oui, je sais, c’est n’importe quoi.”
Teen Angst (What the World Needs Now) pose d’entrée le décor : guitares sèches, riff accrocheur, refrain qui s’incruste dans ton cerveau comme un jingle de pub. C’est du rock alternatif, ouais, mais avec les deux pieds plantés dans la tradition : un peu de college rock, un peu de classic rock et beaucoup de poussière.
Là où ça devient vraiment savoureux, c’est quand l’album plonge à fond dans le folklore US. “Can I Take My Gun to Heaven?”. Chez nous, si tu demandes à un curé ce que tu peux emmener au paradis, tu penses à ton chat ou, au pire, à ta collection de vinyles. Eux, c’est cash : « Je peux prendre mon flingue ? ». Lowery s’en donne à cœur joie, comme s’il balançait dans un shaker : des Bibles, des badges de la NRA et des drapeaux étoilés. Musicalement, c’est roots, un peu bancal mais diablement accrocheur.
Même esprit sur “Don’t Fuck Me Up (With Peace and Love)” : encore un truc typiquement américain. Tu leur parles “peace and love” et tout de suite ils flippent comme si c’était une maladie contagieuse. Ils ne savent pas trop quoi faire quand quelqu’un ne vient pas pour leur casser la gueule ou leur vendre quelque chose.
Quand Cracker ralentit la cadence, là, c’est carrément le cliché, tu sens arriver le diner au bord de la route, néons fatigués, serveuse qui a cessé de sourire bien avant ta naissance, café aussi douteux qu’un sondage électoral. Chez nous, le bar de province, c’est bibine tiède, Johnny en fond sonore et gobelets PMU. Là-bas, c’est bière légère, jukebox, drapeau US au mur et ce genre de rock mid-tempo qui te caresse l’oreille tout en te rappelant que même si ta vie est un échec, tu as quand même un pick-up.
Sur des titres plus étirés comme “St. Cajetan” ou “Dr. Bernice”, on bascule dans la catégorie “conduite de nuit”. La batterie se fait discrète, la basse devient une ligne continue, les guitares tournent en boucle et toi tu vois défiler la route, encore, encore et encore. Chez nous, ça donnerait un truc conceptuel, une chronique dans Les Inrocks qui t’expliquerait que ça parle du vide existentiel post-industriel. Eux, ils appellent simplement ça “un morceau un peu long pour la fin de set”. Résultat : ça fonctionne. Tu te retrouves à fixer le mur de ton salon en te croyant au Nouveau-Mexique alors qu’en réalité t’es en pantoufles au Mans.
En France, pour faire voyager, il faut rajouter des arrangements, des cordes, des contre-chants et intellectualiser le bordel. Eux, ils t’alignent trois accords, un riff qui tient la route, un son large comme le Texas et roule ma poule. Sur les morceaux plus rock, t’es directement dans un bar du fin fond du pays entre un juke-box déglingué, un flipper foutu et deux types en casquette qui se disputent pour savoir si le meilleur Dylan, c’est avant ou après l’électricité.
Ce qui est beau, c’est la manière dont tout ça sonne vrai groupe. Pas de synthés tape-à-l’œil, pas de grosses couches de reverb pour maquiller la misère. On entend le bois des guitares, le métal des cordes, la peau de la caisse claire. Tu sens qu’avec quatre types, un camion, un peu d’essence et deux litres de café, tu peux emmener ce répertoire sur n’importe quelle scène de bar miteux. Là où certains ricains te gonflent des productions taille "stade" pour jouer devant 80 000 personnes, Cracker reste dans l’hyper raisonnable.
Et au-dessus de ce bazar maîtrisé, t’as la voix de David Lowery. Pas le genre de braillard lyrique, le gars chante comme on parle après deux bières : tranquille, un brin nasillard, détaché mais toujours un peu ironique. Le mec a l’air de te dire : “Allez, viens, je vais te raconter mon pays, tu vas voir, c’est un sacré bordel, mais on s’y fait.” Et toi, tu l’écoutes, parce que sous le ton blasé, il y a de la tendresse pour ce grand foutoir étoilé.
Il se pose en témoin ironique. Il regarde ses compatriotes avec la même tendresse moqueuse qu’on réserve, nous, à l’oncle qui croit encore que Johnny va revenir. Il observe les flingues, les pick-ups, les grandes idées et il en tire des chansons qui ressemblent à des blagues.
Ce qui, en plus fait marrer, vu d’ici, c’est à quel point c’est américain jusqu’à l’os. Ça parle de routes, de bars, de coins paumés mais la musique reste modeste. Pas de solos à rallonge ni de grandiloquence, juste des chansons solides qui sentent un peu la poussière et la sueur. Le genre de disque qui te fait rêver de Monument Valley alors que tu doubles des camions sur l’A11 entre Nogent le Rotrou et Paris en regardant les silos à grain de la Beauce.
Alors bien sûr, tout n’est pas parfait. Y a des moments où l’album tire un peu en longueur, deux-trois titres qui font plus “face B sympa” que “classique impérissable”. Mais pris comme un tout, Cracker, c’est un vrai passeport sonore pour comprendre l’Amérique grande gueule et cabossée.
Cet album n’a pas mis l’Amérique à genoux et n’a pas fait exploser les ventes de pick-up. En réalité, à sa sortie, il a surtout fait hocher la tête de quelques barbus, de deux-trois disquaires insomniaques et la mienne.
Au final, Cracker ressemble à une carte postale venue d’un pays qui se prend pour le centre du monde mais qui a la décence, ici, de se regarder dans la glace en rigolant. Et nous, on peut écouter ça un verre de rouge à la main en se disant : “Ils sont complètement siphonnés ces Américains… mais bordel, quand ils veulent, ils écrivent de sacrées chansons.”
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Créée
le 17 nov. 2025
Critique lue 7 fois
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