Swing Swing
7.4
Swing Swing

Album de Nicolas Repac (2004)

Empreintes de Légèreté pour Promenades Atmosphériques

Le piano hérissé appelle les profondeurs de l’électro-swing pour une Revue Noire : ça joue dans l’étouffé et dans les bas-quartiers, ça traine à la Nouvelle-Orléans dans une atmosphère rayée de sursauts sur la caisse claire tandis que les cuivres râlent sur un beat solide, danse qui déjà ne lâche rien, jusqu’aux saccades du déhanché qui s’impriment dans des courbes voluptueuses. Deux voix aux accents appuyés jouent un hip-hop poétique entortillé avant de relancer la machine : Swinging in the Rain, des airs de fraîche promenade sous le harcèlement doux de la pluie sur les verrières des halles et des passages couverts, déserts à cette heure-ci. On y avance le pas enchanté de légèreté, on se laisse enivrer dans



les élans des boucles technoïdes



quand le musicien bidouille le rythme de sons cassés.


Nicolas Repac, musicien de métier, complice régulier d’Arthur H, s’émancipe en solo sur des projets différents. Riches et inspirés. Assouvit sa curiosité en manipulant, en expérimentant. Pour le bonheur des amateurs de nouvelles expériences où le jazz et l’electro se côtoient, il croise la route de No Format ! dès les premiers mois du label. La rencontre, impressionnante de créativité dans son aboutissement, est définitive : après ce premier essai de



variations atmosphériques autour des ambiances surannées du jazz,



l’artiste participera activement à de nombreux opus du label, explorera de nombreux horizons nouveaux pour enrichir sa musique et celle des autres. Dans un esprit de constante soif de rencontres.


Bas-fonds encore, ceux de La Pègre, obsolète résidu d’un Chicago perdu aux ruelles sales bondées de dangers, poursuite endiablée et cuivres ensorcelés vibrant à la lune poussiéreuse du réverbère pâle. Final cut au blues profond, traînée frissonnante de suées… mais ce n’est qu’un répit, ou bien n’était-ce qu’un rêve ?
Nicolas Repac construit



des ambiances urbaines



pour y déposer une aventure, une errance, un envol ou une ballade. Au gré du registre, l’artiste tricote des histoires et des sentiments comme on découpe un film. The End Of a Love Affair, tout en balancement doux de piano sous la voix grave, éraillée, d’une anonyme envolée. Le bar est silencieux, vide suspendu à la complainte nocturne d’une femme déçue et soulagée, libre, légère. La voix suggère l’indécision, prétend s’accrocher… pour mieux s’évaporer. Volute.
Dehors c’est la tempête qui se prépare. La tempête qui souffle les notes sourdes du saxophone, Drum Rain, où le rythme se déploie. Le clavier danse, sautille et y dessine en mélopées virales une mélodie étrange, chante un monde qui se désaccorde sur la photographie jaunie d’un passé émaillé. Les atmosphères musicales de l’univers habité de Nicolas Repac sont denses. Histoires sombres où la chirurgie mélodique et électronique tourne les élans et les élancements, où le musicien s’amuse de tout petits manèges nostalgiques emboités les uns les autres. Brocanteur sonore jusqu’au craquement du vinyle, une ligne naïve de piano pour petites filles se dissout dans le surréalisme d’une boucle analogique fermée tandis que les cuivres s’éteignent à leur tour, souvenir des Années Folles. Alors Swing Swing emballe la galette d’une sucrerie surprise, au paroxysme de l’esprit pop contemporain : on pense à Caravan Palace et consorts, le rythme be-bop, les emportements profonds qui asseyent les mélopées entêtantes, décalage remuant, irrésistible. Flânerie coquine le long des boulevards du nord de Paris, la fumée des cigarettes sur le parquet, lumière chaude et clinquante, velours rouge et maquillage, échancrures et clins d’œil. La grâce d’un flirt enivrant et la dignité juste de le laisser se terminer dans un sourire.


Black Musette et l’hypnose exotique du serpent avant que la batterie n’imprime le pas délié de l’envolée, parenthèse aérienne. Nicolas Repac nous emmène survoler les ruines désolées que l’occident imprime à l’orient dans les avidités libérales, témoigne avec douleur des hontes indicibles de l’Europe et des châteaux vendus en Espagne à la misère du monde. Traverse les Méditerranées pour raconter une part des errances humaines et leurs fatales conséquences. Jusqu’à ce que l’on s’y noie de compassion désespérée. De silencieuse résignation.
Dans la visite nostalgique des élans obsolètes des jazz oubliés, dans la richesse des univers minutieusement racontés, le musicien trouve encore le moyen de ne pas oublier l’essentiel : ce qu’il interroge des frontières de l’homme là où clairement c’est de leur absence que naissent les éblouissements musicaux et



toutes les tentations émotives de sa musique.



Tambours Battants, premiers films des Frères Lumière où le train siffle en gare, tourne la campagne heureuse sur les voies du progrès à vive allure, insouciant engrisement d’un avenir antérieur rayonnant. Negro Digital, samples empilés d’influences nocturnes et clandestines, à travers lesquelles les corps célèbrent la liberté par le rire et la joie, dans



la sueur oublieuse de transes habitées.



Les danses macabres pour dire la vie passionnément intense. L’exercice est diversifié, les ponts incertains, mais la richesse du recueil éblouit même quand La Nuit Mène une Existence Obscure sur des pianos emmêlées sous une voix chaude. Confort voluptueux des mots doux de désir, la comptine lugubre a des élans romantico-réalistes.



Ferme les yeux



Be-bop Vaudoo, le voyage continue. Loin dans les origines tribales du jazz habité, vaudoo style et martèlements lointain d’une méditation névrotique, sonorités primales au cœur d’Afrique pour surélever les gribouillis électroniques,



le chaos vivant du son en écriture.



Interludes aux rythmes d’urgence et d’échappée, collisions industrielles, The Drummer, voyage est frontal, honnête, et The Dancer, déroulement de bande façon Revolution #9, The Beatles, hypnotique oubli momentanée du quotidien. Harlem Jungle sur le même principe de tambours expressifs, boucle numérique comme un cercle qui s’enroule sur lui-même pour laisser sur le rasoir l’ambiance de James Bond qui s’absorbe dans les mouvances molles laissées par l’écho déréglé du temps passé. Derrière, le cuivre sourd tente de percer le lointain écran exclusif du souvenir, de ressurgir. Littéralement.
Tant qu’il y aura des étoiles, vieillot poème parisien d’une mythique chanson populaire française sur une boucle de boite à musique avant le déraillement et l’envolée des vocalises perdues. Petit bijou d’orfèvrerie musicale,



signature lascive et rédemptrice de l’artisanat.



Dans un univers contenu mais explosif, dans le respect intime de limites ordonnées, le musicien aborde son premier opus pour No Format ! avec le même esprit minimal expansif que la production précédente du label. Nicolas Repac fait son expérience de jazz et livre, entre



expérimentations atmosphériques et phrasés électroniques,



un recueil de promenades sombres ou surannées, jusqu’à la conclusion nerveuse, urgence physique au cœur et comme la nécessité ultime de laisser dans l’âme là, Soul Computer,



l’empreinte du corps sur la bande.


Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 25 janv. 2017

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