Voici un projet fou composé de 5 disques formant un seul album d’une durée d’un peu plus de 3 heures. Seul un artiste aussi libre que Saez pouvait se lancer dans un chantier qui lui a demandé plus de 4 ans de travail en studio.
Depuis son pétage de plomb (génial) à la Fête de la musique, en 2009, Saez est totalement grillé dans le monde merveilleux du show-business.
Une fois sa carrière court-circuitée, il a entamé une vie à la marge de la marge. Saez a pourtant réussi l’exploit de continuer à faire vivre sa musique sans aucune forme de promotion grâce au soutien en béton armé d’un public suffisamment nombreux pour lui permettre de jouer dans de très belles salles, partout en France. Ainsi Saez est devenu un mythe, celui qui a réussi à survivre comme un enfant sauvage dans un monde musical de plus en plus industrialisé.
Sauvage, il l’est devenu de plus en plus au fil des années, se transformant peu à peu en ours des montagnes, chantant la plupart du temps assis sur un canapé depuis lequel il déclame ses poèmes comme on envoie des éclairs sur la foule.
Si son physique a changé, sa révolte, elle, n’a pas bougé une oreille depuis le jour où il a jeté sa guitare à la gueule des maisons de disques.
C’est à la fois la beauté et la limite du personnage.
Si vous n’avez jamais écouté Saez et si vous aimez les chansons à texte, vous allez être sous le choc en entendant l’album Apocalypse. Oui, vous allez être sous le choc, car je dis qu’il n’y a aucun chanteur français aujourd’hui qui chante l’amour de façon aussi belle et poignante que Saez.
Écouter « Venise » et mourir, tellement c’est beau…
On ne se lasse jamais des chansons d’amour lorsqu’elles sont bien écrites, et ce disque contient plusieurs joyaux qui vous arrachent des larmes. Dans ces moments-là, Saez pourrait tutoyer Bashung, parce qu’il a dans son répertoire des poèmes qui lui permettent de le rejoindre au panthéon des géants.
Si les chansons d’amour de Saez sont aussi belles, c’est parce qu’il aime toujours comme à 17 ans. Saez a toujours 17 ans. Si son corps a vieilli, sa voix est restée la même, et cette voix-là, c’est la rivière qui sort de son âme. Une âme d’écorché vif qui n’a pas changé d’un iota son regard sur le monde. Tant et si bien qu’il réécrit sans fin les mêmes brûlots politiques contre le capitalisme et toutes les formes de chaînes qui entravent la liberté humaine. C’est efficace, mais souvent répétitif.
Pourquoi, chez un artiste, ne se lasse-t-on jamais des chansons d’amour, et pourquoi finit-on par trouver vains les refrains révolutionnaires ressassés à l’infini ? Enfin, je dis « on », mais peut-être que c’est variable selon les individus.
Il y a cependant dans cette démarche une chose qu’il faut reconnaître à Saez : c’est qu’il n’épargne personne dans ses clashs. Il met des pains dans la gueule à tout le monde, y compris aux communautés érigées dans les sociétés occidentales comme les nouvelles « statues de la liberté ».
Avec le temps, on finit tous par devenir un peu réacs, c’est la pente naturelle de la vieillesse (et de la sagesse, diront certains), et Saez n’échappe pas à la règle.
Il assume tout, y compris le plus provocant, dans un titre comme Anticommunautaire. Cerise sur le boulet de canon, il habille le texte d’un son rock bien moisi.
Dans ces moments-là, Saez pourrait tutoyer Sardou, parce qu’il a dans son répertoire des poèmes qui lui permettent de le rejoindre au panthéon des grands « réacs de droite ».
Saez est donc totalement incontrôlable et imprévisible. Saez est un enfant qui a aujourd’hui presque 50 piges.
Est-ce génial ou est-ce pitoyable ?
Peut-être est-il suffisamment fou pour échapper au jugement.