But Here We Are
6.9
But Here We Are

Album de Foo Fighters (2023)

Dès son origine, l'idée Foo Fighters n’est rien d’autre qu’une affaire de batteur.
Parce que le projet est d’abord l’œuvre solitaire d’un drummer fou et endeuillé qui cherche à exorciser la perte d’un pote qui avait contribué à mettre le monde à leurs pieds, Dave Grohl fait de la batterie un pilier fondamental de ses compos. Comme il l’a même expliqué plus tard, sa façon de jouer des autres instruments (qu’il maitrise à peu près tous) n’est qu’une façon de développer et étendre son art de la frappe.


Le choix de celui qui devait devenir son alter-ego au sein du groupe, son prolongement naturel derrière les fûts, ne pouvait être que parfaitement essentiel. Il était ainsi donc logique qu’une fois rencontré, Taylor Hawkins prenne la place impossible du mec qui doit faire aussi bien que Dave, et devienne le frère que ce dernier n’a jamais eu. Un type dont Grohl dira quelques jours avant sa disparition (la fameuse ironie du destin) qu’il prendrait une balle à sa place plutôt que de revivre le traumatisme de 1994. 


Quand, le 25 mars 2022, dans une chambre d’hôtel colombienne, la combinaison fatale d’une dizaine de produits (dont des antidépresseurs et du THC) dans le sang de Hawkins impose à Dave Grohl de traverser le miroir de ses cauchemars de rock star (être batteur et perdre son ami chanteur-guitariste, pour devenir chanteur-guitariste et perdre -27 ans après, tiens ?- son frère batteur), le drame se part d’évidence : la batterie reste au cœur des évènements et tient lieu de pivot fatal.


Deux tributes plus tard, remplis jusqu'à la gorge de la plus impressionnante kyrielle de batteurs rocks que la planète peut proposer, la remise en marche du groupe ne pouvait passer que par la sortie d’un disque écrit par un type triste et dépressif qui ne peut évacuer ses traumas liés au monde de la musique… qu’en continuant à en jouer, car le rock est au centre de toute sa vie.


(cette place centrale de l'instrument vers lequel je suis moi-même revenu avec une intensité imprévisible il y a encore quelques mois et après plus de 25 ans d'abstinence ne pouvait que contribuer à rendre cet album important, dans un sens ou un autre, que je le juge bon ou non)


La douleur de la perte, la façon de la surmonter et de se reconstruire en suite, est donc le thème central et presque suffocant du disque. La chose est d'autant plus inévitable que, le 17 août de cette même funeste année 2022, Virginia, maman de Dave meurt à son tour à 84 ans.


Les paroles s'adressent indirectement à l'un ou à l'autre dans chaque putain-de- chanson: "C'est arrivé si vite, et après tout était fini, (…) j'attends juste d'être sauvé, ramène-moi à la vie" (Rescued), "Quelqu'un a dit "je ne verrai plus jamais ton visage", une partie moi ne peut pas y croire" (Under You) "j'entends des voix, mais aucunes d'entre elles n'est la tienne" (Hearing voies), "Douleur, rupture, dans les bras l'un de l'autre, nous somme toujours" (But Here we are), "J'avais quelqu'un à aimer, et tout d'un coup, je me suis retrouvé à vivre sans lui" (The glass), "maintenant que tout sentiment a disparu, c'est tout ou rien" (Nothing at all) "Ou es-tu maintenant ? Qui me montrera comment ?" (Show me how, co-chanté avec sa fille) "tout ce qu'on aime doit vieillir, m'a-ton dit, tu dois libérer de ce qui t'es cher, alors j'ai peur" (Beyond me), "Tu peux te reposer maintenant, tu es en lieu sûr, désormais" (Rest).


Un album malade et triste qui se comporte comme un être doté de sa vie propre, car c'est bien cette dernière qui s'impose à l'auditeur à travers les hurlements de colère de Grohl. Une œuvre avec des hauts (magnifiques) et des bas (compréhensibles) qui nous parle directement au cœur, comme un pote qui essaierait de déverser une émotion trop envahissante pour un seul homme, fut-il un artiste mondialement apprécié, ami d'une grande majorité des musiciens de la planète.


Point d'orgue de ce disque habité, l'avant dernier morceau ("The Teacher") emporte presque tout sur son passage, au cours de ses 10 minutes exceptionnelles qui échappent à la plupart des épithètes ou étiquettes pour construire un monument d'introspection vibrant et tourné pourtant vers l'avenir, une des plus belles déclaration d'amour qu'un fils peut faire à sa mère, au cours de laquelle Dave s'adresse à lui lorsqu'il était gamin, d'une manière aussi stupéfiante que magistrale.


Juste avant d'annoncer le nom du remplaçant de Hawkins au sein de la formation d'une manière légère par un nouveau monstre de technique, de puissance et de précision en la personne de Josh Freeze, Grohl a donc tenu lui même les baguettes au cours de cet enregistrement cathartique, entouré de ses potes, prouvant une dernière fois que non, les forcenés de la batterie ne sont pas tous des abrutis avinés qui ne savent même pas taper en rythme à la porte du copain musicien qui l'accueille (watch it: plusieurs blagues de batteurs accumulés dans cette dernière phrase).
Oui, les bucherons qui martyrisent leurs fûts avec obstination sont capables d'élévation.


Et ça, pour moi, batteur qui -oui OK !- aime boire de temps à autre avant ou après les concerts, mais qui a surtout un cœur qui bat (parfois en rythme), c'est le plus beau des hommages.

guyness
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le 12 juin 2023

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