Chronologie The Beach Boys - Part. 18 :
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L'année 1972 marque les 10 ans de "Surfin Safari" , premier album du groupe. Dans l'intervalle les Beach Boys semblent pourtant avoir vécu l'équivalent d'une carrière de 30 ans... Entre l'ascension fulgurante, la révélation , confirmation, puis la chute d'un génie musical , avant la renaissance malgré l'abandon du succès commercial... Et ce n'est pas avec "Carl and the passion - So Tough" leur 18ème album studio , que ça va se calmer puisque malgré les scores corrects de "Surf's up" , la fracture avec Brian reste nette et le groupe sait qu'il ne peut pas vraiment compter sur lui pour mener à bien un nouveau projet rapidement. Si les autres membres du groupe ont prouvé dans un passé récent qu'ils étaient capables de composer des sacrés bons morceaux, Carl se rend bien compte que sans Brian ça sera compliqué pour eux de tenir sur la durée et il prend la décision, suite également à une blessure sévère de Dennis à la main, de recruter Blondie Chaplin et Ricky Fataar, deux jeunes sud-africains officiant dans le groupe "The Flames" et dont il a peu avant produit un album. Cette arrivée de sang frais , d'une génération et même d'un continent différents dans un groupe dont le line up est depuis le début quasi exclusivement familial est une décision vraiment couillue, et marque la volonté de Carl et de Jack Rieley de ne pas laisser le groupe mourir ou devenir sa propre caricature, et d'essayer d'imprimer un nouvel élan pour définitivement embarquer dans la nouvelle décennie 70's. Cette situation précipite le départ de Bruce Johnston, en désaccord avec la nouvelle orientation du groupe et qui ne souhaite pas continuer dans ces conditions. C'est donc des Beach Boys bouleversés et en quête d'identité qui rentrent en studio pour enregistrer la suite des très réussis "Sunflower" et "Surf's up". Le résultat est donc ce "Carl and the Passions – "So Tough"." , album aux chansons moins nombreuses (8 pistes seulement) , mais bien plus longues qu'à l'accoutumée , et là encore c'est presque miraculeux de voir à quel point le résultat est réussi. Les critiques d'époque étaient semble il très sévères , mais à titre personnel , même si il est en dessous des deux précédents, je trouve que c'est une vraie réussite. Les chansons sont plus denses et un peu plus chargées musicalement , ce qui colle bien à l'époque sans jamais tomber dans le poussif ou le lourdaud , et il y a dans le lot des morceaux vraiment excellents.
Cependant il faut avouer que cet album retombe un peu dans certains travers rencontrés notamment dans "20/20", avec cette impression de groupe un peu morcelé et un manque de cohésion et cohérence entre les différentes chansons. Les 8 chansons semblent être divisées en 4 groupes, ce qui est énorme pour un disque si petit.
Evidemment cette sensation est la plus flagrante sur les deux morceaux composés, enregistrés et chantés par Blondie Chaplin and Ricky Fataar , les pourtant excellents "Here She Comes" et "Hold On Dear Brother" , deux rock'n'roll poussiéreux et passionnés dans laquelle les deux petits nouveaux apportent tout leur savoir faire et leur identité. Fataar à la batterie est un véritable souffle d'air frais, et ce sur tout l'album , les participations de Dennis à la batterie se faisant de plus en plus rares sur les enregistrements précédents. Mais je trouve ça assez curieux qu'ils semblent aussi seuls sur ces morceaux, et on ne reconnait pas les Beach Boys dans les choeurs ou harmonies, ce qui a dû rebuté évidemment pas mal de fans à l'époque, et sacrifier ainsi inutilement les deux compos, ce qui est vraiment dommage vu leur qualité.
Le deuxième gros bloc vraiment tranché et déconnecté des autres concerne bien sûr les deux morceaux composés par Dennis et son compère Daryl Dragon : "Make It Good" et "Cuddle Up", et qui devaient à la base sortir sur le premier album solo du frère batteur, finalement annulé. On a ici deux balades orchestrales , brumeuses , deux déclarations d'amour déchirantes murmurées les larmes aux yeux et la bouche pâteuse, en pleine descente et aveuglé par les premiers rayons du soleil. Dennis les chante avec une voix qui se veut proche d'un crooner parfois, emplie de souffrance, de fatigue , et malgré tout d'un espoir et d'un optimisme inébranlable... Là encore il parait complètement seul , ce qui donne un peu cette sensation "hors sujet" , mais ce sont deux magnifiques bijoux qui préfigurent ce que le frère terrible va faire dans "Pacific Ocean Blues" cinq ans plus tard.
Ensuite on a la partie du groupe qui est obsédée par la méditation transcendantale et qui a du mal à parler d'autre chose que ça , essentiellement composée de Mike et Al , qui composent pour l'occasion deux chansons autour de cette thématique , "All This Is That" qui reprend mot pour mot les enseignements de leur gourou, et "He Come Down" qui parle de spiritualité de manière plus large en mettant dans le lot Jésus et Krishna. Coup de bol, parmi tous les morceaux écrits sur le sujet par le groupe, ce sont sans doute les deux meilleurs... "All This Is That" est en toute honnêteté la chanson de l'album que j'aime le moins, mais elle reste plutôt bonne, quant à "He Come Down"c'est vraiment le morceau qui s'est le plus révélé à mes yeux durant cette réécoute. Je ne suis pas religieux pour un sou mais j'avoue avoir un faible pour certains gospels ou "hyms" bien chrétiens tradi, qui il faut le dire sont parfois chargés d'une émotion et d'une ferveur qui marche à merveille , même pour les non croyants comme moi. "He come down" reprend tous ces codes avec fougue, passion et sincérité et on tape des mains bien volontiers avant de succomber aux harmonies et au piano tout droit sorti d'une église noire du Mississippi.
Enfin il ne faut pas oublier l'éléphant dans la pièce, notre ami Brian... En effet si il est en panne d'inspiration / motivation, il reste toujours présent en fond, et il compose ici deux chansons avec le précieux Jack Rieley, les deux tubes et meilleurs morceaux du disque : "You Need a Mess of Help to Stand Alone" , encore une fois un excellent morceau d'intro et mon préféré de l'album, et le très bon "Marcella" , qui va taper dans les harmonies bien sucrées comme on les adore.
En 1972 , sans recul sur la carrière des Beach Boys je pense qu'il y avait de quoi être frustré par la tournure prise sur "Carl and the Passions" , ce qui explique les retours négatifs de l'époque. Mais à oreille reposée et lorsqu'on prend une vue d'ensemble, on ne peut qu'être admiratif du résultat , et même des éléments apportés par les nouvelles recrues. Le groupe semble être en pleine forme, au top de ses capacités de composition, Brian n'intervenant du coup que quand il est réellement inspiré , Carl menant la barque avec beaucoup de lucidité et de talent , Dennis continuant à explorer sa propre créativité, Chaplin et Fataar montrant qu'ils peuvent être une vrai plus value et Al et Mike composant sur des sujets qui les tiennent à cœur à l'instant T.
Et c'est vraiment dommage que toutes ces qualités soient autant fragmentées, aient autant de mal à s'associer les unes avec les autres et n'aient pas été reconnues à leur juste valeur à l'époque.