Courchevel
7.3
Courchevel

Album de Florent Marchet (2010)

Avec la cohorte des jeunes auteurs, compositeurs et interprètes qui gonflent les rangs de la chanson française depuis au moins dix ans, on s’est résigné à voir défiler ces types filiformes au look de gendre idéal, dont les textes archiconvenus érigent les lieux communs en poésie du quotidien sous un regard mollement ironique. On ne citera personne pour ne pas alimenter de débats stériles. Fort heureusement, Florent Marchet est, dès son apparition avec Gargilesse (2004), sorti du lot par une exigence de la composition stylisée en mille-feuille pop. Avec une nette préférence pour le regard franc et amical plutôt que le profil bas et les sourires crispés. Cette absence de complexes fait plaisir à entendre parce qu’elle s’appuie sur une démarche hautement personnelle et donc sincère. Les clivages entre anciens et modernes, entre fils à papa et artisans téméraires, entre home studio et envie de grandeur, le jeune trentenaire les envoie gentiment valdinguer et semble tout assumer. Sur Courchevel, on peut donc aimer les tubes radiophoniques d’Alain Souchon et de Julien Clerc tout en se frottant au lyrisme de Dominique A et à la tension de Miossec. La production est au diapason de cette ambition mesurée : chaque piste empruntée ici se déploie dans une suite d’arrangements brillants et enlevés (cordes, chœurs, cuivres et claviers vintage), sans jamais faire de l’ombre aux propos intimistes de son auteur. Qui regarde moins son nombril que le miroir d’une génération floue, tiraillée entre la peur de grandir et la nécessité de partir. Émergent alors des souvenirs d’enfance où réapparaissent les rapports de classe frustrants (Courchevel), l’hypocrisie familiale (La Famille Kinder) et les secrets toxiques (Pourquoi Êtes-Vous Si Triste ?). Et c’est encore plus remuant quand l’amour entre en jeu. Sur le magnifique L’Eau De Rose, la vie de couple tourne à l’insatisfaction chronique avant de retrouver toute sa puissance attractive sur un refrain en forme d’épiphanie. Sans oublier Roissy, duo vibrant avec Jane Birkin qui tourne au dialogue de sourds. Si La Charette et Narbonne Plage traînent un peu la patte en comparaison, l’instrumental échevelé Hors Piste, en hommage bien senti aux bandes originales de François de Roubaix et Michel Colombier, retrouve toutes ses belles couleurs. Le très épuré Qui Je Suis vient clore ce troisième album doux-amer en questionnant la place qu’on occupe quand on laisse passer le train des conventions sociales : “Pas d’adversaires, de concurrents, de plans de carrière, de liens du sang…” Un vrai outsider on vous dit. (magic)


C’est au terme d’une démonstration expliquant comment la création des nouveaux instruments résulte en vérité des accidents de parcours (“On a voulu imiter le son des oiseaux, on n’y est pas parvenu mais on a créé la flûte. Puis on a voulu imiter la flûte, on a échoué et créé l’orgue, et ainsi de suite…”) que Florent Marchet avoue l’inconcevable. “Ce sont ces accidents qui m’intéressent, cette fragilité, ce côté un peu cheap dans l’imitation. Aujourd’hui on est dans la performance. La précision, je ne trouve pas ça très passionnant.” Improbable constat dans la bouche de celui que l’on a qualifié d’orfèvre de la chanson française, voire de Sufjan Stevens d’ici – comme l’Américain, d’ailleurs, le Berrichon devrait publier cet automne un album de chansons de Noël, joyeuses fêtes à tous. Car, depuis la venue au monde de son éblouissant deuxième album, un Rio Baril en forme de symphonie sociale aux orchestrations dignes d’Ennio Morricone, c’est dans la famille des qualificatifs dithyrambiques que les plumes doivent aller piocher dès lors qu’il s’agit d’évoquer les travaux du musicien. Rebelote ainsi, côtés applaudissements, quand Marchet dévoila, quelques mois plus tard, son livre musical Frère animal, sur le monde du travail, écrit à quatre mains avec son complice Arnaud Cathrine et suivi d’une longue tournée française. Révérence enfin, voire Palme d’or, lorsqu’arriva à nos oreilles, il y a un an tout juste, l’aveuglant premier maxi de La Fiancée, dont Marchet signa les arrangements en fil d’or. Florent Marchet est ainsi : formidable arrangeur, compositeur surdoué. Ça n’a hélas pas suffi à ce que le jeune homme conserve son contrat avec son ancienne maison de disques… Plutôt que de se laisser abattre, il en a profité pour monter son studio, Nodiva, où il a enregistré son troisième album Courchevel. “J’avais besoin d’un laboratoire. Je suis multi-instrumentiste et j’ai besoin de pratiquer. C’était également un moyen d’enregistrer des chansons pas destinées à finir sur l’album, de travailler pour les autres. Certains empruntent à la banque pour acheter un pavillon. Moi je l’ai fait pour un studio.” Pour un studio peuplé d’instruments rares, comme des Clavinets, Fender Rhodes ou encore ce Solina, récupéré en Allemagne, présent tout au long de Courchevel. “Je suis claviériste à la base et j’ai fait beaucoup de recherches sur internet, sur des forums de geeks, pour trouver ce que je voulais. Je suis notamment allé chercher ce vieil orgue sorti au début des années 70 qui imite le son de cordes de façon un peu cheap, et qui a été très utilisé par François de Roubaix, Pink Floyd, Air. Dans les années 70, dans les familles bourgeoises, en Allemagne, il y a eu une mode qui consistait à acheter cet orgue-là plutôt qu’un piano.” Familles bourgeoises : deux mots qui semblent devenus la source de fascination de Marchet. Quel que soit le décor, des ruelles huppées de Courchevel aux courants dangereux de Narbonne Plage, il évoque sur son nouvel album la vitrine sociale, la carrière, la solitude et la mélancolie pot-de-colle. On pense souvent à un Alain Souchon, mais un Souchon qui chanterait “allo maman bourgeois”. “J’ai observé la bourgeoisie comme on peut le faire quand on vient d’une middle-class. Mes parents n’étaient pas du tout là-dedans, j’ai des racines paysannes. Je me suis toujours senti un peu boueux, un peu sale. J’avais ce complexe des petits face aux puissants. Je sentais que c’était la bourgeoisie qui menait le monde et imposait une sorte de discipline sociale, ce qu’il fallait faire ou non. J’avais très peur d’être inadapté, de ne pas connaître le règlement intérieur.” Plus accessible, moins baroque que son prédécesseur, Courchevel bénéficie de la présence de Jane Birkin – le temps d’un duo – et de celle du Malien Mamadou Koné Prince. Avec sa tripotée de singles potentiels (Benjamin, L’Idole, La Famille Kinder), il pourrait être l’album qui offre les sommets des charts à Florent Marchet. Souhaitons-lui la même destinée qu’à Benjamin Biolay, sacré héros du pays quelques moisaprès avoir été remercié par sa major. (inrocks)
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le 27 févr. 2022

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