Dirty
7.6
Dirty

Album de Sonic Youth (1992)

Se prostituer auprès du plus grand nombre tout en veillant à proposer une musique de qualité n’est pas évident. Alors le faire sans user d’artifices putassiers l’est encore plus. En vérité, cette éthique ne dépend que d’une seule chose : l’âme d’une musique. Si on retrouve ce qui fait habituellement la force d’un groupe, cela ne changera rien. Le son aura beau être édulcoré et les formats de morceaux plus ramassés, le résultat restera le même : on finit par rendre les armes devant tant de talent et on pourra enfin partager sa musique préférée avec ses amis sans être traité de dingue.


Sonic Youth a réussi ce pari fou.


Le long processus pour une reconnaissance commerciale aura débuté vers la fin des années 80 et se termine donc ici, avec Dirty. Un titre peut être ironique, car le son est désormais bien plus audible que les productions lo-fi de leurs débuts. Il est évident que ce détail est lié à l’arrivé d’un personnage important : Butch Vig. Un producteur dont le rôle décisif peut mener au pire comme au meilleur. Convoquer l’artisan du son de Nevermind, c’est prendre un gros risque. C’est quand même le gars qui a aseptisé les L7, Nirvana et qui a foiré la réalisation du premier album des Smashing Pumpkins.


Sonic Youth est néanmoins parvenu à le canaliser pour offrir à tout le monde l’un des albums les plus accessibles et redoutables du noise rock. Butch Vig accouche tout simplement d’un de ses meilleurs travaux parce que son amour du gros son n’empiète pas sur l’ambition artistique des gens qu’il produit. Dirty est même encore plus réussi que Goo grâce à une complémentarité entre l’écriture de chansons accrocheuses et des délires noisy à la guitare qui est à son maximum.


Le groupe alterne l’énergie, la contemplation, se perd… Pour mieux se retrouver. Dirty a l’avantage de ne pas être bâti comme un recueil de hits. Si cela ne le rend pas forcément plus immédiat que Goo, il gagne en profondeur avec le temps et se révèle même comme un de leurs disques les plus remarquables car les grands morceaux sont légions.


« Drunken Butterfly » déboule pour foutre une mandale dès son intro avec une Kim Gordon à la fois sexy et déchainée. Le sournois « Shoot » donne l’occasion de l’entendre gémir une mélodie jouissive telle une chatte mal léchée. « Youth Against Fascism » convoque le chanteur de Fugazi pour balancer quelques riffs tordus sur cet hymne aussi fun que politique. Les natifs de New York renouent aussi avec les climax qu’ils ont pu atteindre sur les longues fresques presque post-rock de Daydream Nation avec un crescendo comme « Theresa's Sound-World ». « Sugar Kane » se permet même d’être un tube pop rock parfait. Et pourquoi ne pas glisser dans tout ça du punk débile (« Nic Fit ») et une ballade suave (« Créme Brûlèe ») pendant qu’on y est ? C’est à ça qu’on reconnait un groupe qui se fait plaisir : il se permet tout mais heureusement ici, il n’oublie pas aussi d’écrire de la musique.


Avec autant de perles catchy à souhait et de mélodies à chanter sous la douche, Dirty ne serait-il pas le best of de la Jeunesse Sonique ? C’est une vision qu’on peut valider, surtout quand on connait le futur nettement plus timoré de la bande. Avant son retour dans l’underground, les Amerloques délivre le manifeste d’un noise rock efficace et écoutable par le plus grand nombre. Cela confirmera leur statut de parrain de la scène de Seattle car le disque sortira en pleine période grunge et réussira même à bien se vendre… Même si on reste loin du score démentiel de Nevermind.


Au final, le groupe aura suffisamment gagné d’argent pour se permettre de redevenir confidentiel et renouer avec leurs premiers amours dans l’expérimental… Mais est-ce pour autant une bonne chose ?


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
9
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Créée

le 19 sept. 2015

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Seijitsu

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