Puté, le bazar est tellement énorme que personne n’a encore eu l’audace de s’y attaquer sur ce site. Les cons, ça osent tout. Je suis un con. Je me lance.
C’est l’histoire d’un groupe prometteur de jeunes doomeux enfumés aux cheveux longs. Ils signent un contrat pour leur prochain album avec une soi-disant liberté artistique totale. Avec l’avance du label, ils remboursent leurs dettes, achètent des amplis et de la came.
C’est l’histoire d’une chanson qui échappe à ses créateurs, qui s’alourdit, ralentit et enfle jusqu’à prendre des proportions inconnues jusqu’alors. C’est la créature de Frankenstein du doom.
C’est l’histoire d’un riff lent, lourd, tellurique et tout en sustain.
C’est l’histoire d’une guitare, d’un ampli, de doigts sur le manche et d’un homme. Celui qui l’a vu portant un T-shirt sur scène n’est pas jeune.
C’est l’histoire d’un son de basse pachydermique joué par Franklin la tortue.
C’est l’histoire d’un power trio légendaire.
C’est l’histoire de trois petits gars, trois petits magiciens. Leurs baguettes magiques s’appellent Gibson LesPaul et Rickenbacker et leur grimoire Green Matamp.
C’est l’histoire d’un morceau maudit, refusé, charcuté mais qui tel le phœnix renaissant de ses cendres a finalement finit par voir le jour.
Tout est épique dans cette histoire. Les bandes magnétiques de l’époque ne peuvent pas enregistrer plus de 22 minutes de musique. Le groupe est obligé de scinder l’enregistrement en trois. Ils jouent tellement fort en studio que personne mis à part le groupe ne peut physiquement rester dans la même pièce qu’eux. Une demi-douzaine de micros est installé devant les amplis pour capter l’indicible, l’in-ouï. Ils aboutissent au final à un morceau de plus d’une heure : Dopesmoker.
Le groupe envoie l’album au label. Le label dit : c’est quoi cette merde, vous vous foutez de notre gueule ou bien ? Le groupe dit : allez vous faire foutre. C’est l’impasse. Le label ne veut pas sortir l’album. Le groupe refuse tout compromis. Il n’y a aucune solution, chacun campant sur ses positions. Ou plutôt si, il y a bien une solution : le groupe split, l’album est enterré. Chacun s’en va de son côté. Matt Pike forme High on Fire et Al Cisneros Om. La trinité est brisée. L’histoire pourrait s’arrêter là.
Quelques années plus tard, le morceau sort, charcuté, renommé Jérusalem. La hype est là, la légende se propage, se déforme, s’amplifie, devient mythique. Le morceau finit par sortir tels que l’avaient souhaité ses créateurs. Et nous voilà, casque vissé sur le crâne avec ce riff planté en plein milieu de notre troisième œil, ou plutôt de notre troisième oreille, celle qui se situe pile poil entre les deux autres, en plein dans le cortex cérébral, résonnant dans notre moelle épinière via le cerveau reptilien et la glande pinéale. Aujourd’hui, c’est l’équinoxe. Le jour et la nuit durent aussi longtemps l’un que l’autre, c’est le juste équilibre, c’est un bon jour pour écouter Dopesmoker.
Et de quoi ça cause ? Ça cause de sacré, de métaphysique végétale et minérale, de plantes enthéogènes, de caravanes traversant le désert pour se diriger vers le centre du monde, d’âme qui s’élève vers le ciel comme la fumée, etc.
Dopesmoker est la bande son d’un trip, le paysage sonore d’une contemplation méditative, un mantra initiatique.
Si Black Sabbath est Moïse, Sleep, c’est Jesus. (Qu’Il me pardonne cette comparaison.)
Si les six premiers albums du Sabb sont l’ancien testament, Dopesmoker, c’est l’apocalypse selon Saint Jean.
Je crois que vous voyez où je veux en venir.
Dopesmoker est le boss final des morceaux de doom, l’ultime évolution logique d’un genre. Toute l’histoire du métal est une quête perpétuelle pour repousser toujours plus loin les limites, jusqu’à en devenir risible et inécoutable. Comment peut-on encore vivre après Auschwitz et Hiroshima ? Comment faire du doom après Dopesmoker ?
Et le pire, c’est qu’une fois le morceau fini, on s’étonne presque d’être arrivé au bout, du genre : quoi ? C’est déjà fini ? Et on ressent le furieux besoin de le rejouer.