Elliott Smith s’étant suicidé le 21 octobre 2003, à l'âge de 34 ans, From A Basement On The Hill est le premier album posthume de l’artiste et son dernier véritable disque. Certains puristes prétendent, à juste titre, que le projet de Smith était prévu à l’origine pour former un double album et que l’on se retrouve uniquement avec des chansons triées parmi celles que le chanteur avait enregistrées à cette occasion, mais sans que l’ensemble ne relève d’un choix artistique bien précis et encore moins d’un choix d’Elliott Smith (forcément, vu qu’il n’était plus de ce monde pour donner son avis). Il n’en reste pas moins que le disque demeure très cohérent, il ressemble vraiment à un album à part entière, ne serait-ce que parce qu’il contient des chansons originales d’une grande qualité qui figurent parmi les meilleurs morceaux qu’Elliott Smith ait jamais écrits.


Le chanteur reprend les affaires là où ils les avaient laissées sur Figure 8, à savoir composer des chansons percutantes, mélodiques, à l’accroche immédiate, construites sur des arrangements aussi foisonnants qu’évidents. Le disque est structuré presque de la même manière que Figure 8, les morceaux puissants alternant avec ceux plus calmes et acoustiques, mais la production semble plus approximative, elle renoue en quelque sorte avec le déchirement des débuts, avec un son plus instable, plus roots.


Je trouve que ce son confère une aura bien particulière au disque et suffit largement à lui donner une personnalité unique et à justifier son existence, ou en tout cas à prouver que l’on n’a pas uniquement à faire à une compilation de chansons aseptisées et sans âme. Ce son crépitant défrise les cages à miel et décuple l’intensité des morceaux les plus denses. Et dans ce registre Elliott Smith continue à aligner les merveilles d’une richesse émotive impressionnante.


Il commence fort avec Coast To Coast, qui définit à lui seul le son étrangement puissant et foutraque du disque avec ses embardées de batterie et de guitare, mais il atteint des hauteurs carrément stratosphériques avec Pretty (Ugly Before). Smith magnifie sur ce morceau son talent pour imaginer des détails sonores saisissants, à l’image des quelques notes de piano entêtantes qui illuminent la chanson et lui insufflent une mélancolie touchante au milieu d’un déluge auditif. King’s Cross est tout aussi sublime, notamment pour sa transition fantomatique entre son début calme et son final épique en roue libre.


On pourrait ainsi mentionner la plupart des morceaux qui émerveillent et se transforment en l’espace de quelques plans, de quelques notes, de piano ou de guitare, et marquent à jamais, trouvent la faille, universelle, qui résonne en nous, et nous touche, tout simplement : le solo de guitare transperçant de Passing Feeling, la force bouillonnante de Shooting Star avec son introduction dévastatrice ou bien encore la fragilité grésillante et tourmentée de A Distorted Reality Is Now A Necessity To Be Free.


Dans un sens From A Basement On The Hill est encore plus fort que Figure 8, car plus bancal, et de ce fait plus baroque, plus grandiose, plus désespéré dans ce qu’il essaie d’exprimer. Évidemment quand on découvre l’œuvre d’Elliott Smith, on ne peut s’empêcher de regretter sa mort au plus haut point, plus que celle de tout autre artiste. On se demande jusqu’où il pouvait encore aller, mais c’est aussi peut-être là tout ce qu’il avait à dire. Ce n’est pas l’impression que donne From A Basement On The Hill en tout cas.


Ce genre de regrets finit toujours par passer, car si on ne peut qu’être attristé de la mort d’une personne qui nous a touché d’une manière ou d’une autre, on apprend finalement à se contenter de ce que l’on a et de ce que cette personne nous a transmis. Il ne faut pas chercher plus loin, cela fait partie de l’histoire.

benton
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le 13 sept. 2016

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benton

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