Ghost Days
7.3
Ghost Days

Album de Syd Matters (2008)

Lorsqu’il sortit en 2003 son premier album, Morali venait tout juste d’être lauréat du premier concours CQFD-Les Inrockuptibles. Il était donc dans la position un brin écrasante du jeune espoir sommé de faire ses preuves. Les belles chansons cotonneuses de A Whisper and a Sigh l’avaient immédiatement affranchi de ce poids. Certes, elles empruntaient les pistes du songwriting anglo-américain, mais avec une sorte de distance rêveuse qui les détachait de tout suivisme bas du front et rapprochait leur auteur de quelques musiciens aux semelles de vent – Robert Wyatt, Nick Drake, Thom Yorke ou encore Euros Childs, leader des trublions gallois de Gorky’s Zygotic Mynci. Morali devenait alors l’un des symboles d’une France enfin libérée, capable de clamer son amour pour la musique anglophone sans verser dans le mimétisme souffreteux de tant de petits soldats de l’indie-pop.En 2005, Someday We Will Foresee Obstacles confirmait que Morali pouvait parfaitement revendiquer le statut de "songwriter". Colorée par un quatuor de jeunes musiciens aux doigts fins, sa musique prenait un éclat nouveau, qui soulignait la finesse de ses lignes et l’ampleur de son souffle. Le troisième album du groupe, Ghost Days, va encore un peu plus loin dans cette direction : on y entend la parole d’un musicien maître de son langage, dont ses généreux complices amplifient et subliment sans cesse l’écho. Le doute est inscrit dans le patrimoine génétique de Morali, qui se décrit volontiers comme un anxieux chronique. On a beau lui répéter que Ghost Days est une magnifique collection de mélodies finement ouvragées, éclairées par des arrangements qui en modifient sans cesse les contours : il raconte avant tout les immenses difficultés qui ont accompagné sa genèse puis sa réalisation. Non pas qu’il soit homme à bouder méthodiquement son plaisir ; mais il sait combien l’acte créatif est aussi pour lui une intarissable source de troubles et de découragements. "Les périodes d’enregistrement sont compliquées pour moi, c’est toujours la fin du monde. Dans le groupe, on est cinq mecs bien pénibles et névrosés, qui se posent sans cesse cinquante questions, parmi lesquelles il n’y en aura qu’une de bonne…Quand tu te retrouves à enregistrer des trucs qui te paraissent nuls, il ne faut pas essayer de rendre ça fun, mais comprendre pourquoi tu ressens les choses comme ça. Il faut élaguer, enlever le superflu, avancer à tâtons, jusqu’à ce que ça paraisse juste. Je n’ai pas beaucoup réécouté Ghost Days, mais je sais au moins qu’il est profondément sincère : quand tu n’as aucun repère, c’est bon de pouvoir s’accrocher à celui-là. Si Ghost Days est mal perçu et accueilli, je serai sûrement triste ou vexé. Mais je peux vivre avec ça, alors que je ne pourrais pas vivre avec l’idée de ne pas exprimer des choses sincères. J’ai choisi mes priorités."Cet écheveau de sentiments plus ou moins contradictoires trouve sa résolution dans le profil harmonieux d’une musique qui parvient à concilier complexité d’écriture et évidence mélodique. Adoptées dès la première écoute, les chansons de Ghost Days, auxquelles la voix de Morali apporte tout leur liant poétique, n’en ont pourtant jamais fini de surprendre l’auditeur par leur capacité à se transformer en douceur, sous l’influence fragile mais essentielle d’un simple glissement harmonique ou sonore – voir ainsi la seconde partie de My Lover’s in the Pier, illuminée par l’irruption d’un chœur séraphique, ou la longue coda de Me and my Horses, lentement transfigurée par des entrelacs de cordes, d’ondes Martenot et d’effets électroniques. "Je suis fan de plein de trucs pop, explique Morali, qui véhiculent cette idée de la chanson parfaite, avec ses couplets, ses refrains, son pont et sa fin ad lib, le tout en 3’30… Mais j’ai beaucoup de mal à composer comme ça : j’ai tendance à partir dans tous les sens, à confondre créativité et débauche d’idées. Le groupe m’a beaucoup aidé à ce niveau : il m’a appris à creuser une seule voie au lieu d’en chercher tout de suite quatorze autres. L’unité de Ghost Days tient aussi à la thématique qui, en filigrane, le sous-tend de bout en bout. A l’évocation de ces "jours fantômes", on pensait que Morali, une fois encore, avait trempé sa plume dans l’encre des souvenirs, qui colorait la plupart de ses textes passés. Vérification faite, le titre de l’album renvoie à une autre réalité, tout aussi intime mais qui s’inscrit au cœur même de sa vie de musicien. "Toutes les chansons de ce disque ont été composées dans des moments particuliers, que j’appelle justement les "jours fantômes". Quand je compose, je me retire dans mon appartement, je ne réponds plus au téléphone et je perds toute notion du temps : je peux me relever à 3 heures du matin pour écrire une chanson. Je voulais témoigner de ça, évoquer ces heures supplémentaires qui semblent s’immiscer dans le cours habituel du temps. Les chansons dont je suis le plus satisfait, ce sont d’ailleurs souvent celles où je me reconnais le moins, où quelque chose a échappé à mon contrôle. Comme si un fantôme avait travaillé pour moi…(Inrocks)
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, "Ghost Days" n'est pas une allusion subtile à "Ghost Dog". Bien plus qu'à un film de Jim Jarmusch sur les samouraïs, le titre du troisième album de Syd Matters fait référence aux conditions de sa composition. Jonathan Morali aurait écrit ces morceaux dans un enfermement total, hors du monde, pris dans un projet d'expérimentation étrange : voir ce qui se passe lorsqu'il ne se passe rien. Avec un tel contexte de composition, et de la part de quelqu'un qui s'est souvent fait le chantre d'une nostalgie douce-amère, on aurait pu s'attendre à ce que "Ghost Days" soit marqué par l'absence et par la contemplation. Mais cette attente est déjouée dès l'ouverture de l'album : la lente montée en tension de la guitare et des cuivres sur "Everything Else" donne clairement le sentiment d'une joie contenue. On a l'impression d'une nouvelle naissance, comme si les jours fantômes avaient permis au jeune Français de faire peau neuve. Cet optimisme nouveau se retrouve sur plusieurs titres. "Cloudflakes" est un morceau aux accents enfantins, presque ludiques, tandis que "It's a Nickname" se caractérise par une légèreté jusque là inconnue chez le chanteur de folk parisien. L'optimisme n'est pas la seule nouveauté de cet album, qui parcourt une grande variété d'ambiances et d'états, parfois au sein d'un même morceau. "Me and My Horses" s'ouvre sur une trame pop enjouée et finit par s'assombrir pour se clore dans une pesanteur qui n'est pas sans rappeler certains morceaux de Radiohead. À côté de titres résolument folk ("Big Moon", "My Lover's on the Pier"), on a des morceaux plus pop ("Anytime Now"), et d'autres aux ambiances plus chargées (la fin de "Louise"). Les arrangements sont, de manière générale, plus variés et plus élaborés que sur "Someday We Will Foresee Obstacles" : accords de piano façon britpop, cuivres et chœurs, nappes de synthé aux accents féeriques. Plus que le chant solitaire d'un Parisien mélancolique, "Ghost Days" nous présente la complexité d'un univers clair-obscur, tantôt merveilleux, tantôt sombre, auquel s'intègrent parfaitement les images de Jason Glasser. Cet artiste, auquel Jonathan Morali a demandé d'illustrer ses morceaux par quelques clips, plante un décor d'un onirisme aux accents tragiques (un vieux centaure errant, en quête de repos ; des figures de papier sans consistance, prêtes à disparaître) qui épouse à merveille l'univers musical de l'album. Un univers riche et envoûtant dans lequel il est non seulement facile mais aussi conseillé de se laisser porter. (Popnews)
Ils sont peu nombreux, les songwriters français à pouvoir se vanter de susciter une telle attente dans le microcosme pop/folk indépendant. Jonathan Morali est de ceux là, lui la partie immergée de l’iceberg Syd Matters, projet solo (Syd Project) devenu grand en 2002 grâce à sa victoire au concours CQFD des Inrocks. Entouré de quatre musiciens, le parisien a depuis démontré l’étendue de son talent sur ses deux premiers albums, unaniment salués par la critique. Deux petites années après le dépouillé “Someday We Will Foresee Obstacles”, le retour de Syd Matters aux affaires est l’un des événements de ce début d’année 2008.Composés pour la plupart dans l’intimité et la solitude de son appartement, les quinze titres qui composent "Ghost Days" sont le fruit de nuits et jours passés à gratter des mélodies sur sa guitare, de nuits et des jours qui se succèdent pour ne former plus qu’un, des jours fantômes qui donnent leur nom à ce troisième album. Les chansons baignent dans une douce nostalgie ouatée avec Jonathan Morali dans le rôle du marchand de rêves, capable de sa voix chaude de rendre joyeuse et belle toute la mélancolie contenue dans ses arpèges de guitares et ses nappes de synthé. Le magnifique Everything Else qui ouvre le bal donne le ton de l’album, moins dépouillé que son prédécesseur. Jonathan s’appuie toujours sur une base de guitare et /ou synthé à laquelle il n’hésite plus à adjoindre des arrangements de cordes et de cuivres portés par des chœurs célestes. On retrouve des éléments de ce cocktail sur Louise, Me and My Horses ou encore Nobody Told Me. A noter également les cordes de cette guitare malienne, pincées sur It’s a Nickname et Big Moon, hommage assumé au Pink Moon de Nick Drake auquel est souvent comparé Syd Matters. Pour autant, si la production peut apparaître plus riche que par le passé, "Ghost Days" n’est pas à proprement parler un album de studio. Le groupe a en effet souhaité garder un côté authentique sur certains titres, Me and My Horses en étant le parfait exemple en forme de clin d’oeil (Jonathan Morali s’y reprend à deux fois pour débuter le morceau après s’être excusé). On n’évoquera pas ici toute la richesse de cet album que l’on découvre à chaque nouvelle écoute, on se contentera pour finir de saliver à l’idée de voir ces « jours fantômes » prendre vie lors de la tournée à venir aux quatre coins de l’Hexagone. (indiepoprock)

bisca
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Ma cédéthèque

Créée

le 5 avr. 2022

Critique lue 27 fois

1 j'aime

bisca

Écrit par

Critique lue 27 fois

1

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

Taormina
bisca
7

Critique de Taormina par bisca

Taormina, perle de la Méditerranée, disent les guides touristiques à propos de cette belle endormie sicilienne, bordée par le volcan Etna. Taormina, perle noire dans la discographie de Murat, dira la...

le 5 avr. 2022

2 j'aime