Honor Found in Decay
6.6
Honor Found in Decay

Album de Neurosis (2012)

Neurosis est un groupe ambivalent. Il fascine, tout comme il peut révulser. On ne sait jamais comment le comprendre, comment l’aborder. C’est aigre, amer, mais pourtant ça provoque un effet, thérapeutique presque. Tantôt chaotique, tantôt mélancolique.


Une musique profondément repoussante, le reflet d’une âme collective en souffrance.


Effectivement, la musique de Neurosis me repousse, me révulse. Et pourtant j’adore ce groupe. Il y a parfois de ces mystères qu’on n’arrive pas à résoudre, à comprendre.


Neurosis, c’est des ambiances fatalistes, des hurlements poisseux, des vrombissements insupportables, des riffs cagneux et parfois - comme pour mieux les apprécier - des moments d’une beauté et d’une grâce insoupçonnées.


En définitive, Neurosis est moche, mais Neurosis a du charme.


Et pourquoi s’attarder donc particulièrement sur ce Honour Found In Decay, sorti en 2012 ?


J’aurai pu prioritairement me pencher sur Souls At Zero, Times Of Grace ou Through Silver And Blood, mieux appréciés par la critique … Mais sur Honour Found In Decay, le groupe semble avoir voulu nous accorder un répit et nous proposer quelque chose d’un peu différent :


On ressent un sentiment de renoncement intégral. Une paix absolue et profonde nous envahie. La souffrance est toujours là mais elle est sans effet, on la voit, on la sent, mais elle devient nulle, on l’observe avec une sorte de détachement et d’attendrissement.


« Nous avons échoués, et nous sommes damnés » pourrait-on s’en éprouver.


Mais cette culpabilité ne nous accable plus, nous avons malgré tout trouvé la paix dans le déshonneur.


We All Rage In Gold est le morceau qui ouvre l’album.


Une sorte de bourdonnement strident apparaît. Les guitares superposent des mélodies un peu maladroites pour assez rapidement déclencher le riff principal dans un fracas … Fracas, fracas ; pas tellement en fait, plutôt dans une mollesse un peu désabusée, typique de l’orientation artistique choisie ici en fin de compte.


La saturation de la guitare est grasse et effacée. Le chant de Scott Kelly y est étouffé, comme à bout de souffle. On ressent tout de suite une souffrance, mais une belle souffrance. C’en est paradoxalement extrêmement reposant.


Le morceau est segmenté en plusieurs parties, dont certaines plutôt ambiantes. L’heure est ici à l’introspection. Malgré tout, on y perçoit une volonté de grandiloquence, surtout sur l’épilogue de ce titre.


At The Well démarre avec des intentions similaires. Steve Von Till marmonne des paroles dans sa barbe supplée par des accords de guitare venant mourir au fond de notre âme.


Le rythme est poussif. Ces hurlements qui suivent sont d’un étonnant désespoir. Jason Roeder caresse ses toms d’une étrange façon, la frappe est mate, comme si le son n’avait pas vocation à s’échapper.


Plusieurs passages ambiants défilent et finissent par faire place à un rythme plus soutenu (le passage « In a shadow woooorld ! ») trahissant un regain, mais qui sont d’une belle et improbable tristesse …


My Heart For Deliverance est la pièce maîtresse de l’album. Ça démarre sur une longue complainte à la guitare boostée aux effets (à tel point qu’on la confondrait avec une partie de synthétiseur), très méditative, comme si nous étions témoins d’un paysage dévasté qui inexorablement reprendrait vie. Cette intro me berce et m’envoie presque dans les vapes. C’est du grand art.


Sans transition (encore une fois, Neurosis aime bien jouer sur les effets de surprise sur cet album), la rythmique et le chant apparaissent. Un peu à l’instar du morceau précédent, il alterne parties sludge bien rêches dont le groupe a le secret et des parties entièrement post-rock, très planantes, dont on atteint un genre de paroxysme ici : une note de piano qui apparaît sur chaque cycle de répétition, soutenu par des arpèges de guitare assez minimalistes, et où la batterie s’efface complètement, comme si elle n’était ici pas nécessaire.


Une seule note, pour suffire à en sublimer l’identité. Puis au bout de ces 4 cycles, une autre, comme pour conclure. C’est complètement envoûtant et d’une beauté hallucinante.


Ça enchaîne sur une partie rythmique et saturée, puis ça vient se conclure dans un long développement, mais en toute sérénité.


Sur Bleeding The Pigs, on a le droit à une intro aux samples/claviers semblant effectivement imiter les grognements de nos chers amis porcins (je viens d’ailleurs de me faire la réflexion, Noah Landis sur cet album semble utiliser un son spécifique pour chaque morceau, ce qui rend chaque piste plutôt singulière)


Steve Von Till chuchote de nouveau ses paroles, accompagné de divers sons non-orthodoxes ; de gros accords dissonants à la guitare viennent se succéder. L’ambiance est pesante car on ne sait pas à quoi s’attendre. Un curieux duel de guitare, tout aussi dissonant lui aussi, accompagnent de nouveau des passages plus ambiants, et qui vient se terminer dans un fracas, dans un chaos qui était somme toute prévisible. Une expérience visuelle, presque.


Casting Of The Ages, le morceau qui suit, est peut-être un peu moins ambitieux que les autres. Il est très lancinant (peut-être trop?) et un peu répétitif, surtout sur sa partie saturée, et son final qui aurait gagné à être un peu raccourci selon moi. Mais c’est vraiment pour pinailler, l’ambiance est similaire aux autres morceaux et participe à ce sentiment d’homogénéité global.


All Is Found … In Time démarre sur les chapeaux de roue, on retrouve presque ici le Neurosis classique. Une plus grande agressivité, des riffs dissonants qui s’entrechoquent, et des martèlements de toms un peu plus assurés. On retrouve ce son poisseux des guitares sur les « bends », tout comme cette section ambiante vers le milieu du morceau où chaque instrument semble « squatter » chaque partie du spectre sonore supplée par un angoissant son de clavier.


La deuxième partie n’en est pas moins intéressante : des arpèges presque psychédéliques, seuls, mais progressivement rejoins par les autres, lui conférant une certaine aura. Puis retour sur le riff nerveux d’intro avec les variations incluses de l’arpège précédent, absolument génial niveau compo et arrangement. Des hurlements à l’unisson pour clôturer tout ça, tout est fait ici pour avoir un classique !


Et on termine avec Raise The Dawn, avec une intro particulièrement ambiante. Puis un rythme très lourd, presque doom. Un morceau un peu plus anecdotique que les autres, qui se termine cependant sur une partie de violon, avec toujours cependant ce timbre dérangeant, modifié, collant à l’ambiance de l’album.


Pour conclure, je dirais que ce Honour Found In Decay, en dépit de beaucoup de fans qui le trouvent creux et inintéressant, est un album d’une très grande profondeur, d’une aura particulière, d’une ambiance d’un désespoir salvateur … (et puis cette pochette iconique, je sais pas vraiment ce que ça représente, mais ça semble clairement inviter à l'effacement et à l'introspection)


C’est en tout cas devenu un de mes albums de chevet, qui m’aide à calmer mes angoisses et m’emmène dans un état méditatif ... de haute qualité!

lépagneul
8
Écrit par

Créée

le 28 juin 2025

Critique lue 14 fois

lépagneul

Écrit par

Critique lue 14 fois

D'autres avis sur Honor Found in Decay

Honor Found in Decay
Kartmann
6

Critique de Honor Found in Decay par Sam Lowry

Ce dixième album des pères fondateurs du Post-hardcore n'est pas à proprement parler un mauvais disque. Seulement voilà, il s'avère qu'il s'agit d'un Neurosis. Et que les vieux briscards (qui ont...

le 24 janv. 2013

1 j'aime

Honor Found in Decay
lépagneul
8

Lâcher-prise

Neurosis est un groupe ambivalent. Il fascine, tout comme il peut révulser. On ne sait jamais comment le comprendre, comment l’aborder. C’est aigre, amer, mais pourtant ça provoque un effet,...

le 28 juin 2025

Honor Found in Decay
CriticMaster
8

Quand la lenteur parle plus fort que le bruit

Avec Honor Found in Decay (2012), Neurosis continue de creuser son sillon : celui d’un post-metal introspectif, rugueux et profondément humain. Ce n’est pas un album qui s’apprivoise en une écoute...

le 10 avr. 2025

Du même critique

Iron Maiden
lépagneul
5

I'm Running Free, Yeah.

5 ans après sa création et d'errances dans les pubs londoniens avec d'innombrables line-ups autant anecdotiques que différents (avec des gus qui resteront dans l'anonymat le plus total et qui ne...

le 20 sept. 2015

7 j'aime

Relayer
lépagneul
9

Line-up unique, album unique

Suite au décès du regretté Alan White survenu récemment, m’est venue l’idée de reparcourir - comme pour honorer sa mémoire - la discographie de ce grand groupe qu’est Yes, groupe qui m’avait tant...

le 14 août 2022

5 j'aime

1

Crimson
lépagneul
9

Critique de Crimson par lépagneul

Bien que je connaisse Edge Of Sanity depuis un bon nombre d'années, ce n'est que relativement récemment que j'ai entendu parler du premier "Crimson", album dans lequel figure un seul et unique...

le 18 janv. 2021

4 j'aime