Relayer
7.5
Relayer

Album de Yes (1974)

Suite au décès du regretté Alan White survenu récemment, m’est venue l’idée de reparcourir - comme pour honorer sa mémoire - la discographie de ce grand groupe qu’est Yes, groupe qui m’avait tant marqué dans mon adolescence mais dont j’avais fini, le temps passant, par perdre goût, finalement lassé par ces envolées sirupeuses et pompeuses qui ne m’intéressaient plus … (en fait, c’est ce côté « hippie-new age-cérébral » qui commençait à m’irriter de plus en plus, d’où ce désintérêt croissant)

Mais en l’occurrence, cette occasion, malheureuse, m’a été donnée. Et je me suis donc replongé dans la discographie d'Alan White, et tout particulièrement, sur l’album où je trouve il a le plus déployé son talent, Relayer.

Alors, bien évidemment, je connais cet album par cœur, je ne l’ai pas découvert y a trois jours. Je n’en donnerai donc pas là, une impression comme ça, à froid, sans âme, sur le vif, sans passion.

Non.

Parce que déjà, Relayer, c’est la passion même. Cet album est la quintessence même de ce qu’un album (de prog) doit être : passionnant, virevoltant, surprenant. Mais là on va un peu vite en besogne.

Comme toujours, une petit remise dans le contexte s’impose. En mai ‘74, le fantasque claviériste Rick Wakeman se barre, pas emballé par la tournure prise sur Tales From Topographic Oceans (et dans un sens, on peut pas lui donner tort). Le quatuor restant fait la connaissance d’un autre claviériste excentrique, de nationalité suisse : Patrick Moraz, qui, on le verra, aura un impact ABSOLUMENT MAJEUR sur ce qui deviendra une poignée de mois plus tard, Relayer.

En fait, et c’est très curieux, tout semble s’être articulé autour de son jeu. Plus chaleureux que son prédécesseur, dans un style assez proche du jazz fusion, ce qui donne une couleur chaude et intense à la production dans son ensemble.

Le disque, à l’instar de Close To The Edge et à pleins d’autres albums de cette époque là, se divise en 3 pistes : la pièce « centrale » d’une vingtaine de minutes et de deux plus courtes en l’occurrence, d’une dizaine. The Gates Of Delirium est cette pièce centrale. Et contrairement par exemple à Close To The Edge, The Gates Of Delirium ne semble pas avoir – à l’exception de l’intro et de l’outro - de points morts ; les patterns, les motifs s’enchaînent, tout le monde a le droit a son lot de fantaisies, dans un fracas incessant et particulièrement rythmé : la basse de Chris Squire n’a jamais semblé aussi aventureuse, la guitare de Steve Howe n’a jamais semblé aussi inspirée et baladeuse, les fûts d’Alan White n’ont jamais émis autant d’énergie et d’authenticité, tout ça supplées par les claviers dégoulinants de fusion de Patrick Moraz qui se rajoute à ce chaos généreux et visiblement bienfaiteur.

Même Jon Anderson dans ses lignes vocales laisse transparaître un timbre plus rauque, c’est dire !

L’alchimie visiblement, fonctionne. La mayonnaise prend.

À partir de la quinzième minute, une accalmie survient, comme pour reprendre ce souffle qui ne se terminait pas. C’est la conclusion de ce morceau, le fameux « Soon », probablement un des passages les plus marquants et les plus émouvants de la carrière de Yes. Avec de surcroît très peu de moyens, principalement une guitare « lap steel » jouée par Steve Howe et Jon Anderson au chant et à la guitare acoustique. Une petit conclusion à la fois émouvante, énigmatique mais surtout, largement … fantastique (le mellotron joué par Moraz sur la toute fin n’y est pas pour rien non plus)

Cette conclusion, « Soon » était parfois jouée seule en concert, sans le reste de la chanson, un peu à l’instar de « Leaves Of Green », la partie acoustique finale sur Giants Under The Sun.

Voilà, The Gates Of Delirium. Je tiens d’ailleurs à dire que la version live sur le Yesshows est encore bien meilleure que la version studio (en particulier les claviers de Patrick Moraz bien mieux définis, c’est un régal).

Et c’est d’ailleurs le petit bémol que je donnerai à cet album, la production aurait pu être moins bâclée. C’est un peu mieux que sur Tales From Topographic Oceans mais on sent encore cette espèce de retenue dans le spectre sonore, c’est dommage.

Sound Chaser (le bien nommé) est la piste suivante. Ahhh, Sound Chaser. On évoquait le terme « d’aventureux » un peu plus haut. Et bah effectivement, on sera servi !

D’après les sources que j’ai pu lire, certains des motifs de ce morceau viendraient de Patrick Moraz lui-même, qui les auraient joués lors de son audition pour le groupe. Steve Howe et ses acolytes auraient été impressionnés par ce maelstrom de sons et de notes, et c’est ce qui les aurait - visiblement - convaincus de le recruter.

Et c’est vrai que, dès les premières secondes, on se demande ce qui se passe. Parce que déjà, ça ressemble pas à du Yes (même si la virevoltante basse de Chris Squire qui arrive très rapidement après l’intro nous fait comprendre qu’effectivement, ce sont bien eux qui jouent), c’est très jazz-fusion dans l’esprit (donc c’est logique venant de Moraz), ça fait presque penser à du Herbie Hancock de la même époque, pour dire à quel point on est éloigné du Yes « classique » …

Passée cette phase instrumentale particulièrement surprenante et déjantée, les gars de Yes souhaitaient visiblement malgré tout, trouver un moyen de faire un peu de place à Jon Anderson afin d’y caler - on imagine - quelques patterns vocaux bien sentis.

Sauf que c’est toujours le bordel.

Steve Howe part sur une succession de riffs incompréhensibles, Moraz pianote des trucs qui le sont tout autant, et Alan White balance un pattern au hi-hat pas intuitif pour un sou avec des temps forts impossibles à relever. Et par dessus, tu as Jon Anderson qui balance des lignes vocales mélodiques hors-contexte, harmonisées de surcroît (!) par Squire et Howe.

Ok.

Ah oui effectivement, on est surpris. Mais surtout, c’est juste génial !

Puis vient cependant ce solo (au sens littéral du terme, « seul ») de Steve Howe, complètement écorché, comme s’il avait des échardes plein les doigts, qui ferait presque penser à du Robert Fripp, très bestial, puis pour rapidement s’orienter sur quelque chose d’assez « hispanisant » sans qu’on ait eu, encore une fois, le temps de s’acclimater à ce changement de contraste.

Une phase presque schizophrénique.

Le reste du morceau alterne avec plusieurs phases expérimentales et instrumentales assez difficiles à décrire (sur la fin notamment où ça repart dans tous les sens avec des accélérations et des décélérations de tempo) et également des phases chantées, plus conventionnelles.

Mais non globalement, génies, des génies ! Et dans tous les sens du terme.

Ah oui, j’allais oublier. « Tcha Tcha Tchaaa, Tcha tcha ! »

Bien sûr ! C’est ce que fait mon cerveau après cette écoute. Et il ne me remercie pas !

To Be Over, le troisième et dernier morceau, va nous permettre de nous remettre de nos émotions (ou plutôt, d’aller en relever d’autres).

Le morceau démarre tranquillement, presque comme une berceuse, par une mélodie jouée par Steve Howe, sans doute aidé de sa pédale de volume, accompagné à l’unisson par Patrick Moraz, qui utilise vraisemblablement une large palette sonore, y compris ce qui ressemble probablement à de la sitar (erratum : c’est en fait une vraie sitar, et elle est jouée par Howe) qui effectivement crée cet environnement assez doucereux. Doucereux, mais inspiré.

Après quelques enchevêtrements que l’on imagine avoir été expérimentés par un travail d’improvisation de groupe, le morceau démarre véritablement sur le premier couplet qui arrive de façon impromptue. On a à faire à un arrangement qui sent bon le Beach Boys des années 60, avec ces harmonies vocales travaillées dans une ambiance très « vacancière » si je puis dire où l’on a assez peu de mal à imaginer les plages californiennes en fin de journée jonchées de palmiers et de cocotiers, un bon cocktail gorgé de fruits dans les mains.

Ressenti qui est amplifié par, une nouvelle fois, le lap steel guitar de Steve Howe, qui lui donne tout de suite cette touche, presque hawaïenne.

Une sentiment de bien-être total et optimal. Y a pas à dire, Yes, ils sont vraiment bons pour créer ces ambiances là.

Cependant, Yes c’est aussi (et surtout) du progressif, et ça ne tarde jamais trop longtemps à changer de dynamique, mais toujours dans cet espèce état d’esprit de sérénité bordélique qui les caractérise bien. La dernière partie du morceau amène une section plutôt symphonique, avec le chant, systématiquement harmonisé ici, qui s’efface pour laisser Steve Howe et Moraz s’exécuter à une dernière mélodie singulière qui rend l’arrangement global de ce passage assez surnaturel. Mais c’est surtout très beau. Et puis ça se termine comme ça. Gros shoot de bienveillance dans ta tronche.

Voilà, Relayer on vient de le voir c’est quand même du solide. Je sais qu’il y en a qui ne l’aiment pas cet album, oui, ça existe. Et dans un sens je peux les comprendre, c’est assez différent de ce qu’à fait Yes jusque là, l’apport de Moraz a amené beaucoup de changements niveau structures et de sonorités, je peux comprendre qu’on n’ait pas apprécié cette direction là.

D’ailleurs, le brave Moraz, malgré le gros travail effectué ici, ne sera pas reconduit. Et sera remplacé par Rick Wakeman en 1977 qui fera là son (premier) retour dans le groupe, peu de temps avant les sessions de Going For The One.

Pour conclure, je dirai que Relayer est un album absolument marquant (et majeur) de ce que le rock progressif a pu offrir dans cette décennie rêvée, malgré une production parfois un peu tristounette (surtout sur The Gates Of Delirium), cette fantaisie, au sens entier du terme, qui le caractérise, ne peut pas laisser insensible. Et même si j'écoute beaucoup moins ce groupe que par le passé, Relayer reste une de ces exceptions, ces exceptions qui traversent à la fois les âges, et les goûts.

lépagneul
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le 14 août 2022

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lépagneul

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