Killing Technology
7.4
Killing Technology

Album de Voivod (1987)

Pour ceux qui aiment Hawkwind, et qui veulent en découdre.


J’ai essayé de trouver une intro un peu plus académique mais rien de pertinent ne me venait, j’ai donc opté par ce qui me passait par l’esprit, et par le cœur dans un sens.


Parce que cet album, c’est un album de cœur. A l’extrémité dans la science fiction, à l’extrémité dans la brutalité. Killing Technology est fait pour être aimé.


Il est difficile d’essayer de vous exprimer l’amour absolu que je portais à cet album quand j’étais ado. Moi qui avait de (lourdes) tendances à l’anti-conformisme, écouter et apprécier Voïvod me semblait être la quintessence de cette expression : une musique sale, pas toujours très bien jouée, brutale, atonale, asymétrique mais surtout transcendantale, et cosmique.


L’authenticité pure. Voivod nous parle avec le cœur, l’esprit, et les tripes. Tout nous est balancé dans la tronche avec brutalité et désespoir, mais ce genre de désespoir salvateur dont nous avons parfois besoin pour avancer.


Quand j’écoutais Killing Technology plus jeune, j’étais littéralement en transe. Je me sentais en vie, terriblement en vie. J’étais de ce voyage, je ne sais pas où on allait, mais on y allait, avec toute l’énergie qu’il était possible de déployer.


Killing Technology, la chanson titre, pose l’ambiance : des « bips » genre électrocardiogramme soutenu par un bourdon électronique, on a vraiment l’impression d’être dans le cockpit de la pochette de l’album. Presque une minute de bruits divers, de respirations, puis …


« We Are Connected »


4 bips supplémentaires, comme pour annoncer et marquer le tempo … Et bam ! Une succession d’accords dissonants très lourds, on a une énorme reverb’ typé 80’s qui donne ce rendu d’immensité cosmique, et instantanément on est déjà happés.


Puis vient ce riff (ce riff putain !) frénétique qui vient littéralement déchirer l’espace-temps ! Riff sur lequel Snake place également son chant, telle une âme déchue dans l’immensité de l’espace, plein de hargne, mais plein d’énergie dans le désespoir !


On est balancés dans tous les sens, ce voyage, si particulier, peut commencer, et on va s’en prendre plein la tronche.


Et puis, faut dire ce qui est, c’est complètement punk dans l’esprit, dans la voix, dans la production, et l’exécution. (sur certains passages, The Exploited n’est pas si loin)


Vers le milieu du morceau on a un genre de passage un peu « free » où tout le monde grignote ses cordes, un peu comme si le vaisseau se disloquait … pour se stabiliser à nouveau et nous balancer un autre énorme riff bien saccadé (le fameux « Tomorrow Disappears ! ») pour terminer en apothéose dans un néant, mais un néant temporaire …


Un seul morceau achevé qu’on est déjà complètement sur les rotules.


Et évidemment qu’on en redemande.


Overreaction démarre sur un riff de basse de bonhomme qui vous déchiquette le museau.


On reste sur une dynamique extrêmement rapide, véloce, Away martyrise ses fûts avec de la brutalité dans la conviction, Piggy nous écharde la tronche avec des riffs dissonants bien affûtés, Blacky finit par le suivre, pour créer une sorte d’harmonisation pas harmonique du tout pour le coup mais qui renforce le côté « rouillé » et « toxique » au sens purement chimique du terme.


On se croirait à la fois dans une épave voguant sans but vers l’horizon stellaire et dans un squat punk qui sent la pisse, la transpi’ et la piquette. Le crossover dont tout le monde rêve en fin de compte.


Un squat stellaire, qui sent la rouille et l’urine. Et en bataille pour lutter dans l’éternité.


Un classique lors des concerts du groupe.


Tornado, le morceau qui suit, n’est pas en reste. Et qui porte d’ailleurs que trop bien son nom. Il surprend, et ravage.


Après une introduction dans laquelle la basse se manifeste à nouveau, grattouillant des accords dans les aigus, le groupe pose un riff un peu mécanique, dissonant comme s’il essayait de nous narguer et nous entraîner dans sa folle dérive stellaire.


Le riff qui suit (et même le reste du morceau) est un condensé de chaos-punk extrêmement jouissif. Difficile de rester de marbre, l’envie d’exploser le contenu de la pièce et de sprinter frénétiquement sur les murs est tellement grande qu’on s’y laisserai tenter.


Beaucoup de changements de dynamiques, beaucoup de changements de tempo, ils n’ont jamais été ici aussi bien exploités.


Le morceau se clôture sur des hurlements de Snake répétés (« Tornado ! » … « Tornado ! ») sous lesquels le reste du groupe vient tapisser ses riffs et ses martèlements d’une dissonance et d’une sauvagerie presque irréelles.


Too Scared To Scream, qui avec Cockroaches, était initialement sorti sur un EP à part, est un morceau qui garde la même dynamique et les mêmes caractéristiques que les morceaux précédents, à la différence qu’il possède là un refrain accrocheur, presque psychédélique, qui lui donne une identité particulière, dont des riffs et des changements de dynamiques bien pensés, j’aime beaucoup.


Le final du morceau reprend la bizarrerie harmonique du refrain, avec des riffs intrigants, exécutés dans les aigus.


En fin de compte, il y a toujours quelque chose à dire sur chaque segment des morceaux de cet album, pour dire à quel point il possède une richesse incroyable, chaque détail peut-être analysé et prit à part, comme s’il s’agissait d’une entité à part, bien distincte.


Et là, comme si nous n’étions passez rassasiés, vient le plus gros morceau, le plus gros banger de cette galette, qui est Forgotten In Space, dont le titre on ne peut plus explicite donne clairement le ton, qui est une synthèse ; un morceau tellement marquant et iconique qu’on pourrait le considérer aussi important que le morceau-titre.


On atteint là le paroxysme. Voivod nous offre à ce moment là de leur carrière, le morceau clairement le plus ambitieux, et le plus progressif.


3 notes lourdes qui s’abattent sur nous. Puis vient cette mélodie qui arrache l’espace-temps à ses lois originelles pour y redéfinir la nature du cosmos. Ça remartèle à nouveau, ça cherche son chemin …


« All systems goooo ! ... »


Et là, c’est la grande aventure, on est catapultés dans tous les sens, on a le droit à tout, à du riff scindé et tranchant, des riffs thrash façon Rrrrööööaaaarrrr, des ambiances et des patterns vocaux qu’on aurait pu retrouver sur le Space Ritual de Hawkwind, des plans alambiqués, chaotiques, profondément intenses teintés malgré tout d’une certaine maladresse qui ne laisse pas par conséquent entrevoir l’espoir d’une perfection … Mais en nous voulons vraiment en fin de compte? Il semblerait que parfois l’asymétrie ait du bon.


Un des meilleurs titres joués en live. Pour l’avoir vécu je peux vous dire que ça ne laisse pas indifférent.


Autre classique s’il en est que ce Ravenous Medicine et sa cultissime vidéo faite avec les moyens du bord (avec deux bouts de scotch et une crotte de nez, mais pas plus), dont la thématique semble relater les expériences faites sur les animaux de laboratoire.


Un morceau thrash classique, un peu moins aventureux que les autres morceaux mais malgré tout bigrement efficace, les riffs et la dynamique y sont excellentes, tout comme la partie centrale.


Et puis rien que pour voir Snake déambuler comme un aliéné dans les décors du clip dessinés par Away, ça vaut le détour, le son accompagné de l’image est pour le coup presque nécessaire pour en capter la moelle, la substance.


Sur Order Of The Black Guards, on repart sur quelque chose de chaotique et frénétique. Avec une dynamique cependant bien groovy et un refrain absolument mémorable, bourré de reverb’, tout est absolument parfait dans ce morceau, le riff principal, le refrain, le riff de transition qui précède le solo et surtout, cet espèce de riff mid-tempo qui sort de nulle part après une phase complètement chaotique : « Burn ! Burn ! Burn ! Burn ! Burn ! Burn ! Burn ! Burn ! » qui est d’une férocité absolument démente, presque animale. Puis de nouveau un changement de dynamique, retour de riff qui te dévaste dans ta latéralité, puis rebelote ! : « Down ! Down ! Down ! Down ! Down ! Down ! Down ! Down ! ».


Je ne sais plus où donner de la tête, une telle intensité, une telle frénésie, je suis complètement shooté, j’ai l’impression de revenir du front, d’être le témoin d’une guerre sonore qui me semblerait presque palpable.


Le passage qui clôture le morceau est comme une chose dont tu ne plus t’échapper : « The Blacks Guards Control ... ! », le combat a été âpre mais, devant le fait, accompli, accepte donc cette fatalité.


Les deux derniers morceaux, This Is Not An Exercise et Cockroaches, sont très bons eux aussi mais peut-être un peu en deçà.


Pourtant, This Is Not An Exercise semble être un morceau qui aurait pu avoir un niveau d’epicness aussi important que la chanson titre ou que Forgotten In Space, mais il est moins marquant, la faute peut-être à des riffs un peu moins mémorables et inspirés.


On peut cependant noter une partie atmosphérique vers le milieu qui aurait pu avoir une aura plus importante mais qui malheureusement n’est pas assez longue et développée, y’aurait eu moyen de faire beaucoup plus grandiloquent et marquant.


Ça reste cependant un très bon morceau, on reste toujours dans l’état d’esprit de frénésie, de chaos, de transpi’ et de dérive cosmique, bien entendu … Il est juste un peu moins bon que les autres, mais il ne fait pas tâche pour autant, il a clairement toute sa place. (on peut également noter un très bon solo de Piggy sur la partie de fin)


Puis, Cockroaches, comme je le disais un peu plus haut, complétait initialement l’EP avec Too Scared To Scream. C’est un bon morceau, mais un peu moins sophistiqué que les autres. Il possède cependant toujours une dynamique aussi tranchante avec de bons riffs et un bon refrain mais il souffre principalement du fait que les autres morceaux de l’album sont vraiment exceptionnels.


Pour conclure, Killing Technology est à la fois une œuvre majeure, et une œuvre à part. D’une frénésie, d’une énergie absolument démentielles, il pourrait être pour moi le porte-étendard ultime de cette scène qu’on dit « underground », à la fois dans son exécution, et dans son authenticité.


Cet album est un voyage, une transe, à n’en pas douter. Voivod frappe là un grand coup et entre à jamais dans le cœur de ses fans les plus dévoués et fidèles.

lépagneul
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le 8 août 2025

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