Lazaretto
6.7
Lazaretto

Album de Jack White (2014)

It makes my fingers histrionic... like this !

Quelle étrange sensation… Celle d’enfin noter cet album. Elle parait irréelle.
Il faut dire que j’en ai mis du temps. Lazaretto de Jack White est sorti le 10 juin 2014 dans nos contrées, et je suis allé le chercher le jour même, après des mois d’attente impatiente et de jouissance à l’écoute des quelques singles. Et pourtant c’est pile 9 mois plus tard que je pose ma note. Il était temps que j’accouche.


Incompréhension. Mais qu’est-ce que j’ai foutu ?
Il faut dire que je l’ai désiré cet album. J’en ai rêvé, j’en ai joui dès l’annonce, c’était le retour du roi, c’étaient des singles très prometteurs, du son rock comme tout mon corps en réclamait. Et le fameux jour, c’est des éclats d’amour plein les yeux que je m’en suis emparé et que je me suis empressé de l’écouter, tout tremblant, fébrile, excité et craintif à la fois. Et j’ai découvert alors un album qui ne sonnait pas vraiment comme ce à quoi je m’attendais, ou alors si peu, si peu… En effet, Jack White avait accentué sa communication sur deux de ces titres, Lazaretto et High Ball Stepper, avec des sons rocks, fous, saturés, d’une énergie redoutable. C’était électrique, c’était magnétique, ça me portait et me faisait vibrer. Déjà je me faisais cette idée que, après un très bon album Blunderbuss, calme mais très efficace, Jack était en train de nous pondre l’album qui transcenderait le rock moderne, quelque chose de fantastique qui allait combler tout le monde, qui allait sonner comme les White Stripes, et que je fantasmais déjà au sommet de mon Top 10 comme l’album ultime d’une discographie que j’adore.


… Et finalement, pas vraiment.
L’album s’est révélé majoritairement doux, peut-être même plus calme que Blunderbuss. Un sentiment étrange s’est alors emparé de moi, aux premières écoutes. Non, ce n’était pas mauvais, les tracks étaient efficaces, musicalement réussies, entrainantes … Mais ce n’était pas ça que j’attendais. Et j’étais alors face à un produit étrange qui ne pouvait que me décevoir.


Mais je ne pouvais pas le noter sur ce ressenti. Non, impossible. Je me connais trop. Mon ressenti sur les différents albums de la discographie complète de Mr White est trop changeant, et la première impression n’est jamais l’impression finale. Et aujourd’hui, j’aime chacun de ces albums beaucoup plus que la première fois que je les ai écoutés. Alors, pour Lazaretto, c’était sûr, c’était certain, mon ressenti allait évoluer.
Alors il fallait que je le réécoute, encore et encore, jusqu’à en connaître la moindre note, la moindre vibration. Que je connaisse par cœur les paroles de chaque chanson. Que j’étudie méticuleusement chacun des sons entrant dans mes oreilles, que j’étudie mon ressenti, mes sentiments éprouvés, ma manière de vibrer au rythme de ces rythmes.
Non, je ne souhaitais pas influencer mon avis, je ne souhaitais pas forcer mon appréciation en me forçant à croire que j’aimais l’album. Ce n’était pas du bourrage de crâne. C’était une volonté de le juger correctement, proprement, en ne me basant pas uniquement que sur l’avis de découverte. Mais plutôt de le juger honnêtement, en lui accordant le même soin et la même écoute que ceux que j’avais accordés aux précédents albums de l’artiste. Et ne pas l’évaluer avant cela, pas avant d’être sûr.


Mais sûr de quoi ? De mon objectivité ? Sérieusement ? Quelle blague. Comme si, avec mon statut de fan de l’artiste, je pouvais me montrer ne serait-ce qu’un tant soit peu objectif au sujet de cet album…
Disons plutôt que je me souciais de me montrer objectif au sein de ma subjectivité. Mon jugement devait être parfait, fidèle à mon ressenti le plus intérieur, il devait faire corps avec mon appréciation pour que plus aucune hésitation ne se fasse. La note parfaite, murement réfléchie, maturée avec une obstination insensée.


Et aujourd’hui, nous y sommes. Alors que dire de ce Lazaretto ?
Force est d’avouer que je l’aime, bien sûr, à la grande surprise de personne.

La première moitié de l’album est selon moi assez proche de la perfection, ou du moins de ce que j’attends d’un album de Jack White. C’est un pur régal et une vraie jouissance musicale. Les cinq premiers morceaux sont (presque) parfaits.


A commencer par « Three Women », réécriture à sa sauce de « Lord Send me an Angel » de Blind Willie McTell (que Jack avait déjà reprise avec les White Stripes à l’occasion d’une B-side). Il en reprend le thème, celui des trois femmes bien sûr, mais aussi le jeu du dialogue avec Dieu. Mais ce qui prédomine dans cette track c’est sa richesse musicale. Il y a des instruments partout et tous trouvent leur places pour former un ensemble absolument parfait. Le piano ponctue magnifiquement le refrain, la batterie donne un rythme endiablé, et quand finalement la guitare électrique s’éveille à la fin ce n’est que pour plus pousser cette composition vers de plus hauts sommets. En plus de cela, il se dégage de cette chanson une énergie, une impulsion, soufflée à la fois par les instruments mais aussi par le chant de Jack. Elle donne magnifiquement la pèche et insuffle du bonheur dans les veines.


Ensuite vient « Lazaretto ». Si les instruments sont également à l’honneur, ici c’est surtout la guitare électrique qui est mise sur un piédestal. Elle domine, elle envoie un riff efficace et s’envole dans de nombreux solos percutants. Le son sature, c’est nerveux, c’est brutal. Ca nous rappelle le son des White Stripes. Mais ce qui est le plus plaisant, c’est certainement le fait que ce morceau comporte de nombreuses variations. Il ne cesse de surprendre à la première écoute. Son envolée finale, par exemple, est un grand moment musical. Et pendant toute la durée de la chanson, Jack la rythme de l’énergie de son chant, animé d’une nervosité et d’une certaine once de folie à la fois dans son timbre et dans ses paroles. Et c’est tout à fait ce genre d’énergie, ce genre d’intensité brutale que je recherche dans des morceaux de Jack White. Autant dire que je suis comblé.


Le troisième morceau, « Temporary Ground », est quant à lui différent. Beaucoup plus simple, on pourrait même dire à raison qu’il est classique. Mais je le trouve réussi. Dans celui-ci, Jack White nous berce, et pour cela il s’entoure de sa violoniste, Lillie Mae Rische, et la fait chanter avec lui. Sa voix douce se mêle parfaitement bien à celle de Jack, et quand les deux chantonnent le refrain, je suis ailleurs, transporté dans un autre univers. Les paroles sont simples également, mais pour une raison étrange je les trouve oniriques. C’est un sentiment personnel, mais il fait que j’adore cette chanson.


Pour « Would You Fight For My Love ? » je suis un peu plus mitigé. Le morceau est vraiment sympathique et arrive à poser une vraie ambiance. Je m’étais dit lors de l’écoute que le climat qu’il dégageait avait quelque chose de fantomatique, de glacial, et c’est précisément ce que le clip a fini par mettre en avant plus tard avec sa couleur bleue omniprésente et son impression que le temps s’est arrêté. La force de ce morceau, c’est sans doute sa montée en puissance vers un souffle tragique, porté par la hargne du chant de Jack, et par ces chœurs qui lui donnent toute son ambiance. Mais au-delà de cela, je le trouve assez classique, malgré son efficacité, et il peut lasser après de nombreuses écoutes.


Mais le morceau qui conclut avec majesté cette première partie d’album que je trouve parfaite, c’est évidemment « High Ball Stepper ». Un morceau entièrement instrumental, porté par toute la grâce de la guitare électrique de Jack White. Si le piano l’accompagne parfaitement pour signaler de nombreuses variations, c’est bien cette guitare qui est sur le devant de la scène. Plus encore, je dirais que ce morceau est une véritable déclaration d’amour pour cet instrument. C’est un enchevêtrement de riffs efficaces et de solos endiablés, renforcés évidemment par quelques instruments en background. Là encore, ce sont les variations et les surprises qui rythmeront nos écoutes, quand Jack cassera un riffs pour s’envoler dans des solos. Mais pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut se laisser porter, se laisser conduire par ce morceau, vibrer au rythme de ses impulsions. Quand je l’écoute, j’en ressors toujours secoué. L’effet que me procure High Ball Stepper est ahurissant. Alors, même si je trouve qu’il lui manque peut-être une explosion finale pour le sublimer parfaitement, je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agit d’un des meilleurs morceaux de Jack.


Cette première partie d’album, je la trouve cohérente et diablement efficace. Le problème de Lazaretto intervient avec la seconde moitié.
Celle-ci est loin d’être mauvaise si l’on considère chaque morceau un par un. On s’aperçoit qu’ils sont tous bons, qu’ils dégagent tous quelque chose, ils sont réussis musicalement. Mais lorsqu’on les enchaîne, ils procurent une impression étrange. Les morceaux qui se suivent nous entraînent dans un ennuie possible.


Pas forcément avec « Just One Drink », morceau très péchu et rythmé, à la tonalité amusante, décalée, portée par des paroles toutes aussi loufoques : « I drink water, you drink gasoline ». Un morceau efficace, énergique, même s’il ne fait pas parti des meilleurs. Le problème c’est qu’il est suivi de « Alone In My Home » puis de « Entitlement ».
Le premier est porté par une tonalité joyeuse, un peu naïve mais belle, même si les paroles sont loin d’être enthousiastes (« Lost feelings of love, lost feelings of love ! »), Jack les chante avec joie et on est porté avec lui. Le deuxième est un peu plus tristounet. C’est une balade assez jolie mais longue et lente.
Comme je le disais plus haut, pris un par uns ces morceaux sont efficaces, et je les ai d’ailleurs personnellement plutôt bien notés individuellement. Le soucis au sein de l’album, c’est que ces deux derniers morceaux sont assez différents l’uns de l’autre mais à la suite ils semblent être dans la même énergie, dans le même souffle tranquille, presque plat.


Heureusement pour nous, le morceau suivant et « Black Bat Licorice », un morceau rock dans la même veine que Lazaretto et High Ball Stepper. C’est dire s’il fait du bien. Il est peut-être un peu classique mais je ne juge que son efficacité. Et à ce niveau, ses riffs, ses solos, son intensité et l’impulsion qu’il dégage me ravissent complètement.
Mais soudain, l’erreur, cette track est suivi de « I Think I Found The Culprit », nouveau morceau habité par une tonalité plus lente, d’un coup bien moins énergique. Et là encore c’est le même problème, en soi le morceau est loin d’être mauvais, mais il passe mal à ce stade de l’album. Pas après les morceaux qu’on a eu.
Et la track finale, « Want and Able », pour moi de loin le moins bon morceau de l’album, le conclut tristement. Avec ses paroles un peu bête, le chant bizarre et quelque peu énervant de Jack, un rythme encore plus lent, aucune véritable énergie. Il est très très loin des morceaux finaux auxquels nous a habitué Jack au sein de ses albums… Que ce soient la montée en puissance finale qu’est par exemple « Carolina Drama » (de Consolers of the Lonely) ou le délire amusant « Well it’s true that we love one another » (de Elephant). Ici, ce morceau est final est un nouveau morceau tout doux, tout plat, qui se veut tout de même j’ai l’impression un peu amusant, mais qui à mes yeux ne fonctionne pas… Et me laisse sur ma faim.


Le problème de cet album, ce n’est donc pas ses morceaux, mais plutôt son manque de cohérence interne. Si la première partie est cohérente, elle colle difficilement avec la seconde. Il y a quatre morceaux qui se ressemblent beaucoup dans leurs tonalités et leurs énergies (« Alone in my Home », « Entitlement », « I think I fount the culpit » et « Want and Able »), et sur un album de seulement onze morceaux, c’est beaucoup trop… Surtout quand on les place toute à la fin.
Autant le début de l’album s’appliquait à donner un rythme, une énergie, autant la seconde moitié s’applique à l’éteindre. Pourtant, fondamentalement, « Temporary Ground » est proche de la tonalité des quatre morceaux cités plus haut. Mais elle est placée parfaitement et n’entache en rien la cohérence de l’album. De la même manière, « The Black Bat Licorice », placée à la fin de l’album mais avec l’énergie du début, sonne vraiment bizarrement car on a l’impression qu’elle sort de nulle part.


Il aurait fallu… Je ne sais pas, plus de morceaux énergiques ? Moins de morceaux calmes ? Je n’en sais rien, je n’ai pas de solutions à apporter à ce problème.
Toujours est-il que j’aime beaucoup Lazaretto et les morceaux qui le composent. Je l’écoute encore très régulièrement et avec beaucoup de plaisir. Avec le temps, la déception de la seconde moitié s’est nettement estompée et j’arrive à apprécier ses morceaux pour leurs qualités propres. Mais néanmoins, même s’ils sont bons, ils restent moins bons que la plupart de ceux qu’a pu nous proposer Jack White jusque-là.
Alors Lazaretto s’avère être une petite déception, mais ça ne m’empêche pas de le trouver paradoxalement réussi. Rien que par ses nombreuses compositions musicales que j’adore…


Car dans toute son imperfection, je le trouve finalement assez caractéristique de l’évolution de l’artiste. Celui qui a débuté au sein d’un duo, avec des compositions simples, garages, mais qui s’est appliqué avec les années à considérablement enrichir musicalement ses morceaux. Puis, celui qui a fondé deux « super-groupes » au style musicaux différents mais d’autant plus riches. Jack, avec une carrière solo, ne pouvait que continuer dans cette voie.
Jack White, en solo, est loin d’être seul. Il est entouré de tout un tas de musiciens et ses morceaux sont faits du mélange de nombreux instruments et de talents. J’adore entendre toutes ses sonorités dans ses différents morceaux, qu’ils soient énergiques ou plus posés. Les envolées du violon, la légèreté du piano ou l’impulsion de la guitare résonnent encore longuement dans ma tête, et c’est une richesse musicale que j’aime retrouver quand j’écoute le nouveau style de Jack White. On le sent toujours très influencé par le blues, mais son style ne cesse d’évoluer.

… Si d’une certaine manière on peut considérer que Jack mature musicalement, c’est loin d’être le cas de ses textes qui se révèlent un peu trop « adolescents », par moment. Entre le « Vouloir et pouvoir sont deux choses différentes » (Okay, merci genius), ou le « A chaque fois que je fais ce que je veux, quelqu’un me dit que c’est maaaaaal » (Mon pauvre, bienvenue dans la vie), ou même tout simplement le « Te battrais-tu pour mon amour ? »… On ne peut pas dire que cela vole très haut dans cet album.


Ahlala Jack White, je me moque un peu mais c’est peu dire si je t’aime. Plus tard je ferai faire de la chirurgie esthétique à mes enfants pour qu’ils te ressemblent, toi-même tu le sais. Enfin, bien sûr, tout ça c’est à la condition que tu reviennes avec un album solo qui frappe plus fort que celui-ci, et que tu continues de me faire vibrer et de me transporter comme seul toi sais le faire.

GagReathle
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le 10 mars 2015

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