Je n'avais pas vraiment pris le temps de réécouter Christophe suite à sa tragique disparition, probablement liée en partie à ce vénéneux Covid. Je me rattrape comme je peux en écoutant son ultime album, son testament en somme.
Et à plus de 70 ans, Christophe avait encore énormément de force créatrice en lui. "Je suis vivant", affirme Christophe dès le premier morceau, Définitivement, avec "le désir de réunir votre plus belle âme et ma plus grande flamme", avec des sonorités d'emblée très électro.
Moustache gauloise et rieuse, lunettes fumées, bottines de cow-boy, dandy rital et noctambule invétéré ; Christophe avait un style bien à lui. J'ai découvert cet artiste il y a longtemps, dans la voiture, lors de ces longs trajets de vacances, alors que ma mère écoutait l'impressionnant double album live à L'Olympia. J'ai été immédiatement conquis par les deux qualités de cet artiste iconoclaste : sa sensibilité romantique et latine, poète maudit des temps modernes, caractérisée par cette petite voix un peu fatiguée, et par sa capacité à toucher à tout : des arrangements fabuleux, des phases expérimentales et instrumentales avec une alternance entre la balade, le rock et l'éléctro.
Ce dernier album approfondit tout cela, avec une certaine étrangeté. J'ai beaucoup songé au dernier album de Bowie, qui empruntait lui aussi, à quelques mois de sa mort, des "voix impénétrables" en quelques sortes.
On pourrait même dire que Christophe était même avant-gardiste, à la pointe, en témoigne "Mes nuits blanches", nom qui sied si bien au musicien, en duo avec ORTIES, voicoder et sonorités RNB.
Mais l'album explore aussi le passé, toujours avec l'éternelle nostalgie du bonhomme, qui imprègne l'album de noire mélancolie. C'est le cas de E Justo, qui, comme Le dernier des Belivaqua, ou La Dolce Vita, explore la jeunesse italienne du chanteur. Le voici, intime comme jamais, confident élégant et pudique, nous parler de sa première fois, dans "le dortoir des grands". Le morceau ne se contente pas, une fois n'est pas coutume, d'un refrain-couplet. Non, il propose des couplets, des incrustations sonores, une alternance piano et synthétiseur avec un thème particulièrement sombre, et voix de femme qui susurre les mots d'amour de jadis et les regrets d'autrefois. "Et moi, depuis je l'appelle, depuis je l'appelle, c'est qu'elle reviendra !" invoque le chanteur en ressuscitant ce vieux souvenir. Lou et Dangereuse, autres chansons dans la même veine, sont du pur Christophe, à l'ancienne mais avec toujours cette touche électro. Avec cette voix éraillée, les paroles se teintent d'une mélancolie immédiate.
Il fait aussi sa propre synthèse dans Océan d'amour "j'ai beau te serrer fort, la vie s'acharne encore, nos corps qui se balancent, du mors je contredanse, et dans ce coeur à coeur, notre amour fou se meurt", une magnifique balade aux accents électro ou encore dans Les Vestiges du Chaos, avec un riff de guitare très rock, des sonorités étranges (basse au synthé au son gras et saturé), très sombres, avec un saxophone électronique (probablement le morceau musicalement le plus riche). Tout une ambiance déroutante. Idem pour Ange Sale, avec son refrain anglais "Wanderlust" et des sonorités proches de M83 ou encore Drone, pas très loin du son de Cascadeur (avec qui il a déjà collaboré), à chaque fois des références électro françaises. Chaque titre est un petit bijou d'orfèvrerie, une de ces bagues brillantes qu'il portait...
Christophe ne s'est jamais enfermé dans un style. Il n'a jamais vécu prisonnier d'Aline ou des Mots Bleus. Il a avancé, jusqu'au bout, droit dans ses bottines, même si "un peu vieilli, un peu maudit" comme il le disait dans Les Paradis perdus. Avoir appris sa mort, sordide, au fond du CHU de Brest, seul, si loin de la Méditerranée qu'il aimait, si loin de sa vie noctambule parisienne dont il était un des derniers maîtres, est d'une tristesse infinie. Quinze jours de coma, d'inconnues et de ténèbres, à descendre vers la mort, quelle fin terrifiante ! "Le courant t'emporte, j'ai beau te serrer fort, la vie s'acharne encore". "Je revivrais notre grande journée, et cet amour que je t'avais donné, pour la douleur". A croire, qu'il savait déjà son destin, prescience des artistes. Cet album c'est sa voix d'outre-tombe revenue nous hanter.