C'eût été trop beau de laisser la discographie de feu Jeff Buckley une petite poignée de singles et un premier album impeccable intacte. Au lieu de quoi, l'entourage du défunt et sa maison de disques décidèrent d'un commun accord d'achever Sketches For My Sweetheart The Drunk, le disque que préparait le chanteur au moment de son décès tragique, et de le sortir à grand renfort de promotion. Puis, ce fut au tour d'un premier album live, Mystery White Boy, de paraître, rapidement suivi par le présent opus, enregistré à l'Olympia. Il sera finalement sorti plus de disques posthumes de Jeff Buckley que de son vivant et, parions-le, cela ne fait que commencer. Un comble ! Que le fils prodige de Tim fut un "performer" hors du commun, que sa prestation parisienne de l'été 1995 fit sensation ne semblent faire aucun doute. Que des gens peu scrupuleux aient décidé de gagner de l'argent sur son dos n'est pas moins évident. Ici, la véritable vedette semble être la salle de concert elle-même, citée plus d'une CINQUANTAINE de fois sur le livret ! La famille Coquatrix vient manifestement de trouver le moyen de se payer de la publicité à peu de frais et, par cet acte déplacé (l'Olympia s'y connaît en la matière, elle qui "glissa" de quelques mètres sur le célèbre boulevard pour d'obscures raisons), l'industrie du spectacle rend aujourd'hui un pseudo hommage à Jeff Buckley en forme de cauchemar mercantile. À n'acheter sous aucun prétexte ! (Magic)
6 juillet 1995. Jeff Buckley monte sur la scène de l'Olympia de Paris et balbutie à l'attention d'un public qui le porte déjà en triomphe, la dévotion offerte, à genoux : ?Remember me Forget my fate ? (?Souvenez-vous de moi, oubliez mon destin'" Nous sommes presque deux ans avant la disparition tragique du chanteur dans les eaux glauques de la Wolf River de Memphis mais, déjà, Jeff Buckley annonce le divorce entre lui et son mythe en devenir.Oublier le destin, négliger la mythologie, ne garder que ce type, seul avec ses chansons et ses démons : le meilleur hommage que l'on peut rendre, du vivant de ce Grand Vivant, à ses hymnes brûlés, à ses concerts habités, intenses et dangereux. De tous les concerts joués par Jeff Buckley entre la sortie de son fondamental premier album Grace et sa disparition à peine trois ans plus tard, ceux donnés à l'Olympia de Paris (les 6 et 7 juillet 95) restent, de son avis même (pourtant régulièrement auto-dépréciateur), comme un sommet.Un moment fantasmé depuis l'enfance, quand le boulimique fanatique de musiques dévorait avec le même appétit aussi bien un live mythique de James Brown à l'Olympia que les albums d'Edith Piaf (dont il reprend ici l'émouvant je n'en connais pas la fin), deux des nombreux artistes qui donnèrent à la salle parisienne son aura. Ce témoignage incandescent arrive donc à point pour rappeler que la légende, la mythologie et le romantisme posthumes ne pèsent pas bien lourd face à la flamme de cet artiste fulgurant. (Inrocks)