Love 2
6.4
Love 2

Album de Air (2009)

Il convient d’abord de tirer à Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel le coup de chapeau qu’ils méritent amplement. En véritables passionnés, ils ont maintenu un rythme d’activité soutenu et une exigence de qualité presque constante tout au long des années 00, alors même que le succès initial de Moon Safari (1998) les ayant mis définitivement à l’abri du besoin, ils auraient aisément pu sombrer dans la léthargie dorée des préretraités de la musique. Love 2 apparaît aujourd’hui comme le revers de cette médaille de la surproduction. Pas un mauvais album, non : les deux Versaillais possèdent bien trop de talent et de savoir-faire pour sombrer durablement dans la médiocrité. Juste un disque moyen, qui concentre notamment dans ses deux extrémités tous les reproches qui ont pu être injustement adressés à Air au cours de la décennie : une musique qui s’écoute sans passion ni déplaisir, déclinant une formule trop uniforme, comme une toile de fond sonore que l’on remarque à peine tant les scènes qui s’y déroulent manquent de relief. Le retour des guitares de l’immense 10 000 Hz Legend (2001) ne suffit pas toujours à masquer la faiblesse de certaines compositions. C’est donc en plein cœur du disque que l’on trouve finalement les motifs de réjouissance et d’espoir, lorsque Air assume, avec encore plus d’ardeur qu’à l’accoutumée, son affection pour les kitscheries seventies et que résonne un saxophone à la David Sanborn sur fond de claviers roucoulant façon Francis Lai. Le triptyque Tropical Disease et Heaven’s Light célèbrent ainsi en fanfare les noces d’Emmanuelle et du Grand Blond. Et mettent bien vite terme à toute tentation de désamour. (magic)


Leurs avatars en bibelots de cristal, signés Xavier Veilhan pour la pochette de Pocket Symphony il y a deux ans, traduisaient peut-être inconsciemment la situation de Air à l’époque. Un groupe qui, à force de vivre dans l’autarcie suave de sa musique, était devenu une sorte d’objet décoratif, luxueux et même souvent merveilleux mais dénué d’affect, privé peu à peu de cette chair indispensable aux frissons. Nigel Godrich, troisième homme des deux précédents albums, n’avait fait que tirer le son si singulier de Air vers ce qu’il avait de plus enjôleur et de délicat, évitant en chemin les accidents et accrochages qui rendirent notamment si vivant et palpitant 10.000 Hz Legend au début de cette décennie. La tournée qui a suivi Pocket Symphony a rétabli l’équilibre et replongé Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel au coeur de cette machine sensorielle dont ils avaient pris soin en live de retirer le pilotage automatique et de déchirer le plan de vol. Godrich a également été débarqué de la capsule et le duo s’est carrément payé, dans l’intervalle, un vaisseau de haute compétition : un studio dans le quartier de Belleville qui peut rivaliser avec les plus grandes fabriques à son de France. Love 2 est donc la première odyssée entreprise à bord de l’Atlas Studio, et c’est peu dire que les murs tremblent au décollage. Do the Joy, hommage lézardé à la kosmische musik allemande des années 70, fait ainsi exploser le cristal et, comme un courant d’air sablonneux dans la chambre stérile, plonge ce cinquième album dans la quatrième dimension. Que trouve-t-on derrière ? Un impressionnant ballet où les tableaux s’enchaînent tantôt avec la fluidité d’une rêverie panthéiste (Heaven’s Light), tantôt avec la précision au laser d’un thriller d’anticipation (Night Hunter). Plus que jamais, Air est allé braconner dans la grande malle oubliée des soundtracks sixties et seventies les ornements et les pigments qui, en efflorescences chromatiques ou en arrière-plans climatiques, composent la trame de morceaux nettement plus véloces et distingués que tout ce qui a pu se faire ces dernières années en matière de cinéma sonore. Quand la plupart se contentent de citer Morricone, Quincy Jones ou François de Roubaix comme on colle un papillon rare sur une toile cirée, Air s’en approprie les secrets de fabrication, les timbres sauvages, les nuanciers mélodiques, jusqu’aux voix qui évoquent de façon troublante certains fantômes de Celluloïd, de Claudine Longet (Sing Sang Sung) à Wall-E (Missing the Light of the Day). On en trouvera toujours, spectateurs lointains et goguenards, pour ne voir en Air qu’un jouet d’enfants gâtés dont le premier alunissage, il y a onze ans (Moon Safari), n’était qu’un mirage rétrofuturiste dans lequel ils se sont depuis égarés. Cet album à la beauté formelle souvent stupéfiante (Tropical Disease) et aux chansons plus incarnées que jamais (So Light Is Her Football, qui possède la même force que le Playground Love de Virgin Suicides) prouve au contraire que le duo a basculé depuis longtemps du côté des prestidigitateurs sonores dont la France, de Jean-Claude Vannier à Jean-Pierre Massiera, a toujours été fertile. (inrocks)
bisca
7
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le 10 mars 2022

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