[Analyse] Mahler Symphonie X: Une analyse du finale.

Préambule


J'aimerais présenter ici une analyse très personnelle sur le dernier mouvement de la 10ᵉ symphonie de Mahler pour lequel j'ai une admiration et une fascination rares. Je tiens à préciser que ma vision est loin d'être l'unique et que je vais très certainement dire des choses qui peuvent être jugées fausses ou très subjectives (je ne suis pas musicologue) et j'invite n'importe qui à partager en commentaire (dans le respect) son avis. De plus, l'orchestration de Deryck Cooke n'étant pas complètement celle de Mahler (certaines indications d'orchestrations ont clairement été marquées mais quelques doutes subsistent), il est compliqué de tirer une image "vraie" de cette symphonie. Pour cette analyse, nous nous appuierons sur l'enregistrement de Daniel Harding et du Philharmonique de Vienne paru en 2008 chez DGG qui jouent la version Cooke III : https://www.youtube.com/watch?v=mqsdl0EvN48. Je m'appuierai aussi pour la partie harmonique sur le papier "THE COMPOSITIONAL EVOLUTION OF MAHLER’S TENTH SYMPHONY, ITS FORMAL DESIGN AND TONAL STRATEGIES" de Benjamin D. Whiting (https://www.ideals.illinois.edu/items/107566). Et enfin des brouillons de Mahler lui-même : (https://imslp.org/wiki/Symphony_No.10,_GMW_F58_(Mahler,_Gustav), disponible dans l'onglet "Esquisses et brouillons")




Temps approximatif de lecture + écoute : 35 min




Contexte et histoire


La 10ᵉ symphonie de Mahler est, selon moi, l'une des symphonies les plus fascinantes du compositeur. Déjà car une symphonie qui porte le numéro 10 quand on est symphoniste après Beethoven est une injure pour la musique : Schubert, Bruckner, Dvořák, tous ont succombé juste après avoir écrit leur 9ᵉ symphonie, comme si le spectre de Beethoven, aussi bienveillant et inspirant soit-il, ne permettait pas d'écrire une symphonie qui soit au-dessus de sa 9ᵉ. Schoenberg écrivait dans un de ses essais :


Il semble que la neuvième soit une limite. Qui veut la franchir doit trépasser. Comme si la Dixième contenait quelque chose que nous ne devrions pas encore connaître, pour laquelle nous ne serions pas prêts. Ceux qui ont écrit une Neuvième s'étaient trop approchés de l'au-delà.

En 1909, quand Mahler achève la composition de sa 9ᵉ symphonie, il est déjà très malade et la découverte de l'infidélité de sa femme Alma ne va pas améliorer sa santé : Mahler est faible, vieux et voit sa vie lui échapper. À la fin de l'adagio finale de sa 9ᵉ, Mahler, qui, habitué à faire triompher l'orchestre, change radicalement de posture : Les cordes jouent en triple pianissimo et le tempo est noté "Adagissimo", le temps semble s'arrêter dans un silence de mort comme si, résigné, il acceptait calmement le sort de sa vie. Mahler ne verra jamais l'exécution de sa 9ᵉ, en effet il succombera en 1911 d'une insuffisance cardiaque, lui aussi et comme les plus grands, après l'écriture de la 9ᵉ. C'est son élève et ami Bruno Walter qui se chargera de la première en 1912.


Pourtant quelques années après sa mort (en 1924 pour être précis), son ex-femme Alma découvre le manuscrit orchestré d'un adagio qui dans un premier temps semblait être seul. Mais en fouillant les affaires de son mari, on découvre peu à peu des ébauches, des brouillons et des notes (on découvrira 8 mesures sur une serviette de cocktail) : On arrive vite à la conclusion que Mahler était en train d'écrire une 10ᵉ symphonie. Malgré les instructions strictes de son défunt mari de "jeter toutes ébauches ou travaux non complets au feu", Alma décide de faire facsimiler les brouillons par un éditeur et de les envoyer à des amis de Mahler pour une expertise et, si possible, qu'ils finissent la symphonie. Schoenberg, Berg ou encore von Zemlinsky, tous vont refuser de toucher à ces papiers maudits où le maitre avait tenté de briser la malédiction (en vérité Berg et von Zemlinsky vont tous deux proposer quelques améliorations et corrections qui ne seront pas retenues par la suite). Une exécution du 1er et 3ème mouvement de la symphonie aura lieu à l’opéra de Vienne quelques années plus tard contre l’avis de plusieurs amis de Mahler dont Bruno Walter qui refusera de diriger.

Finalement la symphonie reste inachevée et tombe aux oubliettes jusqu'en 1960, où Deryck Cooke, musicologue britannique, s'attèle à la lourde tâche de finir la 10ᵉ. Mais Alma Mahler (qu'on ne devrait plus appeler Mahler mais Werfel ou Schindler après ses multiples mariages et divorces), encore en vie à ce moment-là, est foncièrement opposée à cette idée : si les plus proches amis de Mahler ont jugé la symphonie impossible à achever, alors elle ne le sera jamais. Alma interdit l'exécution de la symphonie à Cooke et refuse la publication des facsimilés des brouillons. Finalement Alma, après conseils de ses proches, se laissa tenter d'entendre ce que Cooke avait à proposer, elle en sera réellement bouleversée et reviendra sur sa décision : Les facsimilés redeviendront publics et les droits d'exécution seront remis.


Aujourd'hui il existe plus d'une vingtaine de versions de la 10ᵉ, s'éloignant plus ou moins des idées de Mahler, proposant eux aussi une vision sur cette symphonie devenue légendaire, la plus connue et la plus jouée étant Cooke III, la 3ᵉ version de la symphonie proposée par Deryck Cooke.


Qu'avons-nous ?


Qu'avons-nous à analyser dans cette symphonie ? Bien plus de choses que la plupart des gens peuvent croire en réalité. Déjà la forme de la symphonie est nettement là, c'est une symphonie en fa dièse majeur (WTF Gustav ???) en 5 mouvements :


1. Andante – Adagio.

2. Scherzo. Schnelle Vierteln

3. Purgatorio. Allegretto moderato

4. Scherzo. Allegro pesante. Nicht zu schnell.

5. Finale. Langsam, schwer


On peut noter que la forme de la symphonie est très similaire à sa 7ème symphonie avec deux scherzi centraux. La forme de la symphonie reprend une forme très symétrique avec un effet miroir où les deux mouvements extrêmes sont très liés puis les deux mouvements centraux sont identiques et enfin au milieu un court mouvement servant de transition.

Le 1ᵉʳ et le 3ᵉ mouvement sont considérés comme achevés, les mouvements 2 et 5 sont à l'état de réduction complète avec des consignes d'orchestration et enfin le 4ᵉ est à l'état de brouillon primaire où à certains moments seule une ligne mélodique est écrite. Deryck Cooke défendra l'idée que la symphonie est suffisamment avancée pour qu'on puisse en achever une version sérieuse et crédible. Les arguments cités sont par exemple le Requiem de Mozart, achevé par un de ses élèves, la 9ᵉ de Bruckner, la 3ᵉ symphonie d'Elgar, Lulu de Berg dont l'acte III reste inachevé ou encore le fait que la 9ᵉ et DLVDE n'ont jamais été entendues par Mahler alors qu'il aurait très certainement fait des corrections. Le débat est infini mais Pierre Boulez écrira plus tard ceci :


Comparez, par exemple, le troisième acte inachevé de Lulu. C'est un cas très différent de celui de Mahler. La partition de Berg a été écrite jusqu'au bout. Il n'y a eu que deux moments où les voix n'étaient pas complètement écrites. [...]. C'est assez facile, car on a le reste. Mais le seul qui aurait pu compléter authentiquement la Dixième de Mahler, et il était déjà trop tard, c'est le jeune Schoenberg. Je veux dire, le Schoenberg de Pelléas et Mélisande aurait pu le faire. Vous voyez, le style de Pelléas et Mélisande est très proche du style de Mahler à certains égards. Mais la Dixième Symphonie a été écrite en 1910, 1911, et à cette époque Schoenberg avait déjà écrit ses Cinq Pièces pour orchestre op. 16. Il était allé plus loin.

Je n'irai pas plus loin dans le débat de l'authenticité, je crois que chacun se fera son propre avis sur cette symphonie. En tout cas je crois qu'elle vaut le coup d'être regardée et étudiée plus attentivement, pour sûr.


Analyse


La plupart du finale a été écrit par Mahler d'une seule traite sans éparpiller des brouillons partout, seulement quelques modifications seront faites ultérieurement. Il est assez surprenant que ce mouvement, bien qu'à l'état de réduction, ait une structure déjà très détaillée avec une exposition, un développement et un finale clairement expliqués. La question qui subsiste est la chronologie de l'écriture de ce mouvement. Comme on le verra, Mahler s'inspire dans ce mouvement de plusieurs éléments déjà présents dans les mouvements précédents, notamment l'accord de 9 sons déjà présent dans l'adagio initial ou encore des motifs déjà présents dans le 3ᵉ mouvement (Purgatorio), ce qui ferait pencher vers une écriture extrêmement tardive. De plus, pour en finir avec le contexte, plusieurs éléments de la vie de Mahler nous donnent des pistes sur les interprétations. En effet on sait qu'à cette période Mahler travaillait sur l'exécution de sa 8ᵉ symphonie qui lui prenait énormément de temps. À cette même période Mahler attrapa une infection qui l'obligea à s'immobiliser et l'inquiéta quelques temps et surtout pendant les deux dernières années de sa vie Mahler voyagera régulièrement à Amsterdam pour consulter Freud.


De plus le 5ᵉ mouvement est largement influencé par le 1ᵉʳ mouvement de la symphonie ainsi que le 3ᵉ. J'aborderai brièvement des détails sur ces mouvements que je me dois d'expliquer pour mieux comprendre ce mouvement. Mais je préconise tout de même l'écoute intégrale de la symphonie au préalable.


J'aimerais aborder un point important, qui est que depuis la 7ᵉ symphonie, Mahler a drastiquement changé son écriture musicale, passant réellement à une écriture plus "expressionniste". Je veux dire que Mahler depuis le Chant de la Nuit a tendance à travailler à travers de courts motifs qu'il développera individuellement afin de texturer le mouvement. C'est la superposition de ces motifs qui structure le mouvement en plusieurs tableaux (voir : 1ᵉʳ mouvement de la 3ᵉ symphonie de Mahler, exemple typique) plutôt que de développer le mouvement autour d'un thème principal comme on peut retrouver dans une forme sonate plus classique.


Dernière chose : il me faut dans cette analyse beaucoup parler d'Alma Mahler, car cette symphonie, bien qu'inachevée, est un témoignage important des dernières années de vie de Gustav Mahler, elle reflète son état d'esprit et ses pensées les plus profondes. Je sais que le débat autour d'Alma Mahler est encore extrêmement sensible aujourd'hui et je veux dire avant que l'idée dans cette analyse n'est pas de démonter Alma Mahler et de la traiter d'hystérique ou de mante religieuse à la recherche d'hommes célèbres à dévorer, mais il est évident que son adultère a déterminé beaucoup de choses dans cette symphonie et les dernières années de vie de Mahler. Je pense qu'on ne saura malheureusement jamais la vérité dans ce couple, Gustav Mahler est loin d'être tout blanc, on le sait, et la misogynie latente de l'époque a énormément influencé le regard historique sur Alma Mahler jusqu'à aujourd'hui.


Enfin bref, retroussons nos manches et écoutons :


EXPOSITION

https://www.youtube.com/watch?v=mqsdl0EvN48


00:00-00:38

Le mouvement s'ouvre avec un coup noté en sf de grosse caisse militaire, un bruit sourd et extrêmement fort comme un impact ou un choc brutal. Plusieurs théories concernant cet élément : Alma Mahler rapportera que le couple avait logé à New York dans un hôtel dans le centre et ils avaient assisté depuis la fenêtre à l'enterrement d'un pompier dont la cérémonie était accompagnée de percussions militaires. Mahler aurait alors été très marquée et émue, ressassant alors au début de cette symphonie cet évènement. Cette théorie est largement remise en question car Alma Mahler est connue pour avoir intentionnellement modifié certaines histoires du couple et la vie de Mahler pour faire oublier son adultère et redorer son image au détriment de la musique de son mari (notamment en inventant des interprétations aux symphonies, reconnues plus tard comme fausses, voir "The Alma Problem" : https://en.wikipedia.org/wiki/Alma_Problem), et surtout parce que les éléments sonores militaires chez Mahler sont déjà omniprésents et généralement bien plus détaillés qu'un simple coup de grosse caisse. Les musicologues penchent clairement du côté de l'impact émotionnel qu'a eu Mahler lors de la découverte de la tromperie de sa femme.


Vient ensuite un premier motif (A) au tuba basse solo. Le motif vient du Purgatorio (3ᵉ mvt). Cette fois-ci le motif n'est plus une légère gamme pastorale, mais plutôt une gamme annonciatrice de mort et marquant une ambiance particulièrement sombre. Le motif A est composé de 6 notes ascendantes comme une gamme à 6 notes puis d'une répétition de l'avant-dernière note de la gamme créant une impression d'inachevé au motif. Le motif est repris plusieurs fois en modulant.




00:38-2:06

Vient ensuite l'apparition du deuxième motif (B). Il est composé d'une double croche suivie d'une croche à sa tierce supérieure puis retour à la tierce inférieure sur une blanche pointée. Ce motif est aussi copié du motif du Purgatorio. Dans le Purgatorio, il représente un quasi-chant d'oiseau. Ici le motif B fait plus penser à un ricanement malsain de la mort qui fait de plus en plus son apparition dans ce mouvement. Vient ensuite le motif que l'on nommera Erbamen, présenté par les 4 cors, motif lui aussi présent dans le Purgatorio. Le motif est exposé 2 fois, la seconde fois le motif bute sur un impact de la grosse caisse et des cors en sourdine, donnant un son inquiétant. Ce motif est extrêmement important car il reviendra tout au long du mouvement sous plusieurs formes.




2:20-3:55

Deux appels au cor jouant la septième mineure La-Sol avant qu'il se refonde dans le motif Erbamen. Puis au milieu de toute cette noirceur, une flûte fait son entrée et entame un solo d'une sensibilité rare chez Mahler. Le solo est un développement, voire une extrapolation du thème Erbarmen, la mélodie est une divagation et une méditation mélancolique. L'inspiration n'est pas claire mais la source probable est celle d'une lettre écrite à sa femme alors que Mahler est en vacances, il lui déclare son amour infaillible malgré l'adultère. Plus loin, la flûte développe encore plus le thème, atteignant les limites de la tessiture de la flûte. Après une brève citation du scherzo du 4ᵉ mouvement, la flûte se meut dans le motif Erbarmen et arrête son solo.




3:55-5:10

Les premiers violons reprennent le relai du thème du solo, en extrapolant le développement du thème. Ici Derick Cooke modifie légèrement la mélodie notée par Mahler. Plus loin la mélodie semble atteindre des hauteurs tandis que les altos et les clarinettes jouent des sixtes descendantes. Enfin les flutes présentent un nouveau motif presque enfantin apportant une légèreté et une sensibilité au moment.




5:10-6:32

Les cors annoncent encore le thème Erbarmen, les cordes semblent vouloir s'envoler, elles montent jusqu'à la dominante de la tonalité de la symphonie. Un nouveau tableau semble apparaitre, cette fois beaucoup plus lumineux. Arrivera-t-on à la fin de toute cette tristesse ?


Un accord diminué en tutti nous introduit une nouvelle tonique (si majeur), le passage le plus lumineux de cette symphonie. Les cors jouent un nouveau thème en majeur rempli d'espoir, tandis que les cordes semblent s'échapper de plus en plus haut, suivies par les cuivres pour finalement atteindre le C#7…




6:32-7:50

Les cordes se brulent les ailes, retombent, la grosse caisse militaire frappe… Le thème A (gamme du basse tuba) revient en triple forte, nous sommes retombés, la mort fait son retour. Le motif B refait son apparition tel un ricanement moqueur, nous narguant d'avoir voulu y croire. Le motif A (gamme) est repris par la trompette, une image presque militaire nous apparait comme le solo de trompette de l'ouverture de la 5ᵉ symphonie. Nous en sommes là où nous avions commencé. La noirceur réapparait.




DÉVELOPPEMENT


7 :50-8 :30

vient ici le développement du mouvement, le thème B subit ici un développement conséquent sous la forme d'un scherzo typiquement mahlérien. D'un côté les vents sont ronds et farceurs, presque ironiques, ils jouent de manière très ponctuelle le thème B modulé sous forme de variations. D'un autre côté les cordes sont grinçantes et rustres. Cette partie peut nous faire penser au Scherzo de sa 2ᵉ Symphonie "Résurrection". Mahler nous emmène dans ce ändler comme il a toujours su faire, une danse rustique, belle mais dérangeante.




8:30-9:00

le scherzo semble se fondre en un cri de douleur et l'ambiance commence à s'assombrir momentanément. Ce procédé de créer une sorte d'intermède pathétique dans le scherzo est aussi typiquement mahlérien. Dans sa 2ᵉ symphonie, le cri de douleur apparait aussi dans le scherzo ainsi que dans le scherzo de sa 9ᵉ symphonie où les braillements des cuivres laissent temporairement la parole aux cordes. C'est justement cette dualité entre un épisode presque grossier et ironique que Mahler vient brouiller les esprits et ajouter une pointe de pathétisme, c'est là tout le tiraillement mahlérien.




9:00-9:40

une modulation sur la partition apparait ici et le tempo est noté. Feurig ("ardent"), les cordes jouent un nouveau thème presque jubilatoire, comme si le temps d'un moment notre esprit se laissait rêver et s'évader. Je vous invite à faire attention ici aux contre-mélodies, Cooke fait jouer les thèmes B du scherzo, par la première trompette et le premier trombone à l'octave supérieure. Un moment jubilatoire, au sens très mahlerien, puisque les harmonies sombres restent en fond et ne vont pas tarder à reprendre le dessus.




9:40-10:10

Après ce moment suspendu de bonheur (beurk, trop de belles choses pour que ce soit vrai chez Mahler), les cordes descendent peu à peu pour retrouver les profondeurs de l'âme humaine, le motif Erbarmen est redonné au cor pour annoncer l'arrivée du glas, on entend en fond une petite clarinette en mi nous narguer avec le thème du scherzo.




10:10-11:00

C'est au tour des cors de briller, qui nous livrent un quasi choral sublime comme Mahler sait parfaitement en faire, les harmonies sont très instables, les dissonances appuyées. Les cors semblent vouloir s'envoler mais les cordes prennent le relais en répétant le motif des cors. Les cors martèlent la 7ᵉ mineure du début du motif Erbamen tandis que les vents continuent de nous narguer.




11:00-12:02

De manière très personnelle, ce passage me fait beaucoup penser à l'acte 1 de la Walkyrie de Wagner, je n'ai trouvé aucune personne le notifiant mais cela a été flagrant pour moi à l'écoute. Le cours thème présenté par la clarinette à ce moment est très similaire au leitmotiv de Siegmund et Sieglind se déclarant leur amour. De même que les cordes viennent appuyer le thème avec cette mélodie très romantique. La harpe va venir donner cette ambiance très intime à la mélodie. Autre interprétation possible, car ce leitmotiv est aussi cité dans la marche funèbre de Siegfried dans Götterdämmerung (plus adéquat), bien qu'on aurait du mal à voir Mahler se comparer à Siegfried.




12:02-12:27

Le scherzo fait peu à peu sa réparation après cette intermède romantique dans une sorte de récapitulation du développement où les thèmes vont venir s'entrelacer dans un magnifique contrepoint.




12:27-12:48

Le scherzo s'arrête brusquement après le coup de cymbale tandis que les cors amènent un thème descendant nous ramenant dans les profondeurs, les cordes doublent la mélodie dans leurs aigus créant une tension grandissante. La première trompette tient en double forte le la avec une rigidité extrême.




12:48-13:30

Mahler prépare ici l'arrivée de l'accord à 9 sons, plus aucune règle harmonique n'est ici respectée, c'est le chaos total. C'est aussi ici que l'orchestration de Cooke atteint ses limites, on sent clairement que le moment manque de puissance, Mahler n'a laissé que très peu d'indications orchestrales sur ce moment (sur le brouillon seule une vague ligne est dessinée). Cooke a fait ce qu'il a pu avec ce qu'il a mais on sent que la transition entre ces deux évènements n'est pas claire. Les vents reprennent le court motif B les uns à la suite, retombant chacun sur une note différente, créant une dissonance de plus en plus dérangeante. Puis le silence, seulement la trompette tient toujours son La. Et puis tout l'orchestre joue sa note en un tutti (9 sons).


Do#, Sol#, Si, Ré, Fa, La, Do, Mib, Sol


L'accord atteint une dissonance jamais entendue chez Mahler, une douleur indescriptible.




13:30-14:40

Les cors reprennent ensemble en double forte le thème principal du premier mouvement doublé par la trompette qui peut à peu descendre, ramenant le thème à une mélodie sans intérêt presque vide.




FINALE

Il n'y aura plus grand-chose à dire sur la finale pour deux raisons. Déjà car c'est la partie la plus obscure de la symphonie où Mahler a certainement laissé le moins de traces, certaines parties sont sensiblement à couper vu la longueur du finale.




14:40-16:05

le finale s'ouvre sur un choral des vents. Sur la partition il n'est pas spécifié que ce thème doit être joué aux vents, mais la douceur requise ne nous surprend pas dans le choix. Puis, les cors rentrent en piano. Cooke notera que ce thème lui évoquait certains passages du Ring de Wagner. Je n'ai pas réussi à trouver de quel passage il parlait et moi-même cela ne me dit rien en particulier (malgré ma faible connaissance du Ring). Mahler nous livre ici des magnifiques lignes contrapuntiques entre les cors et les vents, c'est d'une simplicité presque enfantine mais d'une grande douceur. La clarinette se tait pour laisser le choral aux cors. Le passage ici devait normalement être joué par les cordes, mais Cooke pensait que les cuivres seraient plus adéquats pour ce type d'harmonies. Enfin Erbarmen est repris par les cors en fa# majeur, la tonalité de la symphonie.




16:05 : 17:32

Le tempo redevient Adagio ici, Mahler utilise sa transition favorite du Ré7 au Fa#, vraiment magnifique, les premiers violons reprennent et jouent la 7ᵉ mineure martelée par les cors en inversant (en passant du Do# au Ré#) tandis que le quatuor à cordes s'intensifie avant de retomber dans une fragilité déconcertante. La harpe rentre calmement pendant que les seconds violons reprennent le thème du solo de flûte de l'introduction en double piano. La flûte viendra les doubler sur la fin du thème comme si les violons ne pouvaient pas continuer dans leur peine, c'est réellement un moment suspendu.




17:32-19:02

Un saut d'une neuvième mineure aux premiers violons vient ouvrir la dernière partie de ce finale, les violons remontent dans les hauteurs de leur tessiture. Mahler module ensuite ici en si majeur avec un napolitain absolument sublime, les cordes, légères, s'envolent pour atteindre le La 6. La harpe refait aussi son entrée. Sur les brouillons de Mahler, il y a réellement très peu d'indications ici et je crois que cela se ressent un peu malgré que la sobriété de l'orchestration (que Mahler faisait de plus en plus) ne dérange pas cette ambiance extrêmement émouvante et fragile.




19:02-19:32

Les cors refont surface tandis que la partition remodule calmement en fa# majeur, les contrebasses et les violoncelles plaquent en double forte un do# sus4 (pas sûr de celui-là mais là je vois pas d'autre réalisation de l'accord).




19:35-21:45

Il n'y a rien à dire… Quelquefois il faut juste fermer les yeux et écouter car la musique parle pour elle-même, peut-être l'un de mes moments préférés chez Mahler. Quelle douleur, quelle tristesse et quelle beauté.








21:55 : 23:45

La clarinette se lance dans des aventures chromatiques assez impressionnantes, une clarinette basse joue une mélodie descendante non spécifiée par Mahler mais qui décrit assez bien cette chute émotionnelle après le climax que nous avons écouté. La flûte nous chuchote quelques notes en double piano comme pour nous consoler.




23:45

Für dich leben ! für dich sterben ! Almschi ! | Vivre pour toi, mourir pour toi Alma !

Mahler gribouillera cette petite phrase alors que les cordes glissent du Si#3 au G#5 (une 13ᵉ mineure !). Comme un hurlement de douleur de désespoir, la dissonance est forte et dérangeante. Puis tout semble se calmer : Les cordes jouent l'Erbarmen qui se résout enfin, les 7ᵉˢ mineurs deviennent des quintes justes, tout se résout. Cette fois c'est sur ce sont ses dernières notes de musique, voilà l'adieu de Mahler.


Adieu, adieu ma lyre, seule toi peux me comprendre vraiment ! Vis bien, Vis bien !

Conclusion


Voilà pour moi les vrais adieux du maître, les plus douloureux, les plus crus et les plus touchants de l'histoire de la musique selon moi. C'est un sentiment assez bizarre, je dois l'avouer, d'écouter cette symphonie qui n'était pas censée être découverte. Mahler était un brillant compositeur, peut-être le dernier grand génie que la musique nous ait donné, mais surtout c'était un perfectionniste presque psychotique. Une anecdote a été rapportée que Mahler était en répétition avec un orchestre, au bout de 3 heures, Mahler fatigué s'assoit sur sa chaise essoufflé. Le premier violon lui dit : "Herr Direktor ! Cela fait 3 heures que nous répétons le mouvement" et Mahler lui répondit : "Vous n'avez pas joué une seule mesure correctement !". Tout cela pour dire que cette 10ème est d'une cruauté sans nom car justement elle n'est pas passé au crible du maniérisme de son compositeur, elle est pure, elle est écrite tel que Mahler la pensait avec ses défauts, ses erreurs mais aussi ses éclairs de génies.



Cette analyse m'a pris quelques temps à écrire mais cela fait longtemps que je voulais mettre au clair et au propre mon interprétation et cela m'amusait aussi de le faire. Ce papier n'a pas forcément pour visée d'instruire ou d'être partagé, mais c'est surtout pour moi une manière de stocker mes pensées sur une œuvre. C'est pour cela que je vous prie de ne pas prendre en compte les fautes d'expressions ou d'orthographe. Il y aura certainement des corrections et des ajouts sur ce papier au fur et à mesure du temps.


RachManEnough

RachManEnough
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Créée

le 17 oct. 2025

Modifiée

le 18 oct. 2025

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