On ne sait si la capacité de Bradford Cox à sublimer le chaos est de l’ordre de l’inné ou de l’acquis. En vingt-six ans, le ciel est tombé sur la tête du leader de Deerhunter des dizaines de fois, mais le rachitique garçon n’a jamais plié. Atteint d’une maladie génétique rare (le syndrome de Marfan) qui explique sa silhouette de revenant, celui qui s’adonne aussi aux plaisirs solitaires sous le nom d’Atlas Sound semble avoir bloqué son Google Agenda en mode vendredi 13. Car, dans le monde de Cox, chaque nouvelle journée apporte son lot de déconvenues, plus (décès de proches, dont le bassiste Justin Bosworth), ou moins (une mauvaise manipulation l’a conduit à balancer malencontreusement ce nouvel album sur Internet plusieurs mois avant sa sortie) difficiles à surmonter. Pourtant, plutôt que de se gargariser de ces énergies négatives, le musicien d’Atlanta semble bien décidé à leur indiquer poliment la porte de sortie. Si l’on en doutait encore à l’écoute des deux précédents Lp’s – Turn It Up, Faggot! (2005) et Cryptograms (2007) –, il suffit de franchir le seuil de Microcastle pour en être convaincu : la lumière est au bout du tunnel. Malgré son titre pessimiste et ses paroles à l’avenant, It Never Stops est de ces ballades gentiment bruitistes capables de transformer nos pires cauchemars en doux Rev, tandis que Little Kids pourrait accomplir la prouesse d’arracher un sourire à Stephin Merritt. La méthode Coué n’a jamais aussi bien fonctionné que sur le grisant Nothing Ever Happened, et Twilight At Carbone Lake a beau se terminer dans un déluge de guitares, il n’en affiche pas moins la sérénité d’une mer d’huile pendant plusieurs minutes. Le malheur des uns faisant souvent le bonheur des autres, cet album de Deerhunter, le plus accessible de sa discographie, est un pas supplémentaire vers la béatitude.(Magic)


Nous n'allons pas faire le compte de tout ce que "Microcastle" offre de moments fulgurants à l'auditeur patient et attentif. Les qualités y sont trop nombreuses et il est, même après de multiples écoutes, désarmant de se trouver devant un disque parvenant à s'imposer sans avoir besoin d'user de gros sabots. Rusé et insidieux, il s'agit du type même de gibier qui ne se laisse pas ferrer aisément, y compris au piège des catégories. Quelques pistes tout de même. Nous rencontrons du shoegazing qui sonnerait comme du My Bloody Valentine naturellement produit, sans effets de pédales et de fuzz outranciers (la terrible "Intro"), un bijou dream pop au spleen racé ("Agoraphobia"), d'incandescents murs de son qui n'oublient jamais d'être délicats, un proto-blues velvetien à la mélodie protéiforme et dégorgeant de collages ("Saved by Old Times"), des ballades qui cachent bien leur jeu ou ressuscitent des Cocteau Twins sous médication (la superbe "Calvary Scars" et son unique vers : "crucified on a cross in front of all my closest friends", "Activa"), un intense single à tiroirs diablement construit ("Nothing Ever Happened", alchimie ultra réussie de Sonic Youth, Dinosaur Jr. et Pavement) et beaucoup d'autres choses moins évidentes.

Thématiquement, à se pencher sur les textes à la fois précis et lacunaires, Deerhunter semble disséquer les affres d'une génération passée à l'âge adulte tout en ayant gardé les doutes et les inquiétudes de l'adolescence, ce sans complaisance ni facilité. Pas de formules, pas de leçons, pas de morales à en tirer. "Microcastle", c'est chacun de nous, isolé, se demandant ce qu'il a à donner et partagé entre l'envie de briser les barrages et la tentation de s'enfermer dans son espace intérieur. Le disque est ainsi un étrange mélange de lucidité et d'accablement, les deux pôles constamment associés, souvent au sein même d'une même chanson. Intelligemment, les paroles ne s'apesantissent jamais sur la douleur. Certes, les narrateurs, qui semblent parfois être un seul et même individu s'autopsiant à divers degrés de l'existence, font part de leurs misères intérieures, de leurs problèmes de communication, d'une façon brutale car directe, mais s'abstiennent de tout racolage. "Nothing ever happened to me, life just passing, flash right thru me" chante Bradford Cox, d'une manière tellement entraînante, presque véhémente, qu'il semble dire "Voilà ce que je ressens. Pas la peine, cependant, d'en faire une tragédie. C'est tout à fait normal." On se demande d'ailleurs à quel point le chanteur/guitariste/supposé leader de Deerhunter fut impliqué dans le processus de création tant il s'avère souvent lointain, sa voix parfois noyée sous les effets, doublée, amplifiée d'une étrange façon, chuchotante, absente plus de la moitié du temps. On sait aussi qu'il a laissé le très gros du disque aux deux guitaristes Josh Fauver et Lockett Pundt, et toute la rythmique à Moses Archuleta. Surtout, l'auditeur bute sur un paradoxe."Agoraphobia", certainement le titre le plus proche de l'univers personnel de Cox, le plus nu et musicalement "clair" de l'album, celui sur lequel il aurait été à l'avant-poste, est justement l'unique sur lequel il est totalement absent. "Je prends ce que je peux / Je donne ce qu'il me reste" déclare-t-il sur "Green Jacket"...Ecouté distraitement, l'ensemble paraît léger, doux, quelque peu décoloré. En s'y plongeant, "Microcastle" se révèle d'une densité peu commune, comme un disque à guitares décomplexé, audacieusement in your face à certains moments, rythmiquement pesant et avant tout bourré d'imagination. Frais et passionnant, ce n'est cependant pas le disque ouvertement pop que Cox nous promettait suite au "Fluorescent Grey EP". Peu importe. "Microcastle" a tout d'un géant.(Popnews)


La tête pensante (et agissante) de Deerhunter, le dénommé Bradford Cox, officiant également en solo sous le patronyme Atlas Sound, est un sacré personnage. Souffrant du syndrome de Marfan, une maladie génétique, il doit déployer des efforts surhumains pour pouvoir continuer à vivre de sa passion. De là, l’énergie folle qui le secoue sur scène, fait des concerts de Deerhunter un moment rare et intense, même si par moments chaotiques. Bradford Cox est aussi très jeune, ce qui rend son destin brisé d’autant plus tragique. Mais cette envie irrépressible de vivre est plus forte que tout. "Microcastle" en est l’évidence même, une force, certes chancelante, traversant de bout en bout l’album. Nourri d’influences les plus diverses possibles, celles-ci ayant mûries auprès des nombreuses accointances musicales et amicales du groupe, l’album est si foisonnant, que l’explication de chaque détail minutieux prendrait des heures. Sur Cover Me (Slowly), un déluge est prêt à tout emporter, l’ambiance n’est pas rassurante, mais malgré son titre effrayant, Agoraphobia, le morceau suivant sauve la mise, et la vie rebondit de plus belle. Ce n’est certes pas de la sunshine pop, c’est bien plus profond, mais le besoin de respirer, malgré une cage thoracique réduite à peau de chagrin, est bel et bien là. Never Stops continue sur cette lancée. Ce trip extatique fait se côtoyer le rock garage des Black Lips, et un véritable mur du son hérité de My Bloody Valentine. Un mariage improbable, dont l’intitulé serait selon le groupe lui-même, du garage ambient. Les harmonies vocales improbables sur Calvary Scars semblent empruntées à Animal Collective ou Grizzly Bear, signe évident que le rock indé américain est un vaste microcosme ou se côtoient et se mélangent sans vergogne tous les apports et influences de chacun, comme si les salles de répétition de tous ces groupes se faisaient constamment écho. C’est aussi le cas sur Activa, véritable rêve éveillé, plein d’épines et de ronces. Nothing Ever Happened est un morceau de la trempe des Yo La Tengo, d’ailleurs cela ne semblerait pas incongru de voir surgir soudain Ira Kaplan et sa guitare soupe au lait. Ce trip noisy est du pur bonheur, et invite à une sorte de transe intrigante car agitée. Le pote des Black Lips, Cole Alexander, vient prêter main forte sur Saved By Old Times, dans le rôle du porte-voix détraqué dans la plus pure tradition des mauvais garçons d’Atlanta. Mais c’est de nouveau dans une nappe de brouillard rose que l’on évolue à l’écoute de Neither Of Us, Uncertainly, et c’est tout l’art de Deerhunter de donner cette impression de flottement dans un univers tout de même chargé en riffs de guitares. Les chœurs sont aériens, et on en a presque des frissons, Bradford Cox aurait-il déjà quitté la terre ? La quiétude l’a en tout cas gagné, sur le morceau final, Twilight At Carbon Lake. Tout en mélancolie heureuse (tout un programme !), il contemple le monde autour de lui, comme s’il n’en était déjà plus. "Microcastle" est un très bel ouvrage, d’une maturité hallucinante, de celle qui n’accepte aucun faux pas de la part d’un musicien incroyable qui sait sa fin venir, mais qui a ce courage pour ne pas faillir. Bradford Cox, ne creuse non pas sa tombe, mais un pas encore plus profond sur le sol maintes fois déjà foulé par une horde d’artistes indés indisciplinés. Dont le seul mot d’ordre est de faire ce qu’ils veulent, mais avec classe. Le résultat est là, épatant. (indiepoprock) 
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le 24 mars 2022

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