S’il n’en reste qu’un… Et pourtant. À l’origine, peu étaient prêts à miser sur un quatuor originaire de Colchester (une bourgade dont on n’avait plus entendu parler depuis la naissance de Modern English en 1979), atrocement attifé et pas tout à fait déniaisé. Et surtout qui donnait l’impression de ne pas savoir sur quel pied danser, malgré le succès fulgurant de There’s No Other Way, ritournelle irritante pour pistes de danse indie, surfant sur l’écume d’une vague madchester sur le point de s’échouer. Couvé plus que de raison par son label Food, avec dans ses bagages un premier album sans grande personnalité (Leisure, 1991), Blur allait peut-être même disparaître sans vraiment laisser de traces, nouvelle victime d’une scène britannique prompte à broyer ses apprentis pop stars. Puis, survint le grain de sable… Une tournée américaine plus tard, torpillée par un mal du pays carabiné, et voici ces jeunes gens de retour au bercail métamorphosés. Pour résumer. Enfouies, les inflexions noisy américaines et les hésitations. Au placard, les frusques trop larges. Cisaillées, ces coupes au bol d’une niaiserie confondante. Les quatre garçons tournent un temps le dos au vent et s’inventent un quotidien de proximité en farfouillant avec une excitation difficile à contenir dans le glorieux passé de la prude Albion. Kinks et XTC, The Jam ou The Teardrop Explodes, mouvements adolescents à dimensions sociales (modernism, punk) deviennent les référents d’une formation en pleine mutation, qui pose les base de ce que nos confrères anglais baptiseront quelques mois plus tard britpop, une pointe de fierté sous la plume. Paradoxalement (intelligemment), Damon Albarn, Graham Coxon, Alex James et Dave Rowntree vont s’en amuser un moment, susciter des vocations (pour le meilleur mais souvent pour le pire), asticoter les méchants d’Oasis puis se tirer en douce de l’aire de jeu, avant qu’artistique ne devienne synonyme de pathétique. Alors que ses contemporains raclent les fonds de tiroir, Blur se réinvente, cherche, tâtonne, congédie (le fidèle producteur Stephen Street), jette ses costumes à la poubelle et détourne les codes. En neuf ans (le temps de la décennie 90), il réalise six albums, pille souvent les Specials (Death Of A Party, sidérant), renoue avec une certaine idée du Folklore américain, travestissant le gospel (Tender, homérique) ou traduisant le grunge en anglais (Song 2, colérique), injecte de l’électronique dans ses compositions acoustiques. De songwriters malins en astucieux laborantins, Damon et ses comparses additionnent succès et crédibilité, menés par un leader moins branleur qu’il n’a bien voulu le laisser croire. Le dernier album du quatuor, entamé alors que le XXIème siècle est déjà vieux de deux ans, vire au psychodrame : pour Coxon le glas qui claque la porte, ses lunettes sur le nez et sa guitare sous le bras. En trio, Blur finit un Think Tank aux accents de sono mondiale, melting-pop savamment dosé. Tournée. Rideau. Que l’on croyait final. Un batteur politicien, un bassiste gentleman farmer et chroniqueur, un (ex-)guitariste geek et boulimique (des disques solo à foison) et un chanteur jonglant entre multiples activités (Gorillaz, label, producteur, songwriter, compositeur d’opéra, etc.) : drôle de descendance, certes, mais peut-être vaudrait-il mieux qu’on en reste là – discographiquement parlant. Question ? Reformé pour quelques concerts estivaux, le groupe peut-il aujourd’hui surpasser son patrimoine purement musical ? A-t-il encore les ressources pour imaginer une chanson aussi bêtement géniale que Girls & Boys, cette Danse Des Canards cool (moog sautillant, refrain débilitant) pour mélomanes hédonistes ? Ou pour se lancer dans des ballades aussi troublantes que This Is A Low, He Thought Of Cars ou Good Song ? Entre évidence mélodique exacerbée (For Tomorrow,Out Of Time ), expérimentations mesurées (Trim Trubb, Battery In Your Leg) ou impétuosité juvénile (Advert, Bugman et son final travesti en Suffragette City), Blur a finalement réussi à jongler avec une assurance éblouissante et il n’est pas sûr qu’il puisse aujourd’hui rééditer pareil exploit. Vous l’aurez compris, Midlife: A Beginner’s Guide To Blur compile ces morceaux (vingt-cinq en tout), singles couronnés en leur temps ou titres dissimulés sur les albums, mais tout aussi (plus ?) représentatifs que certains hits emblématiques – exit, entre autres, le susmentionné …No Other Way ou le victorieux Country House – de cette versatilité devenue au gré des années une véritable marque de fabrique. Bien sûr, ce double Cd au livret chiche n’apporte rien – même la présence du cultissime et nerveux Popscene, échec commercial salé de 1992 évincé du Best Of de l’an 2000, ne serait arraché un sourire aux fans transis – à ceux qui connaissent déjà l’épopée. Qu’importe, après tout. En annonçant la couleur dès son titre, cette compilation s’adresse avant tout aux béotiens, à ces… Girls & Boys nés à l’orée des nineties. Tout en restant un résumé pertinent d’une œuvre intransigeante signée par l’une des rares formations “traditionnelles” ayant émergé à la fin du siècle dernier et dont une bonne partie du répertoire a crânement résisté à l’épreuve du temps. (Magic)

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le 13 mars 2022

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