Objet de fantasmes depuis quelques mois, l’association entre Matt Ward, Conor Oberst et Jim James sous l’appellation vaguement ironique Monsters Of Folk est de ces projets à haut risque, livrés avec kit de superlatifs et sticker “événement” idoine. Mais c’est souvent la déception qui vient avec. On le sait, les super-groupes sont rarement super et jamais vraiment des groupes : au mieux la fragile addition des talents qui les composent, au pire une rencontre en terrain neutre entre nababs établis, persuadés d’écrire à moult mains une nouvelle page inédite et indispensable de l’histoire du rock. Le prototype du jour est plus singulier et séduisant que cela. D’abord parce qu’avant d’être des mini-stars du folk ou des mini-tsars du rock, les trois gars sont amis et partagent une certaine réticence à accorder leur parcours aux exigences de l’industrie du disque. Oberst a gentiment sabordé Bright Eyes alors qu’il était à deux doigts de conquérir la planète, Jim James a récemment annoncé la mise en hibernation de My Morning Jacket pour une durée indéterminée et si M. Ward semble frôler la reconnaissance internationale, c’est sans avoir cédé un pouce sur le terrain de ses goûts et exigences. Ensuite, ces gentils monstres ont abordé ce projet avec un naturel, une fraîcheur et une humilité qui font plaisir, chacun s’appliquant à labourer son petit lopin de terre d’abord, avant de s’attaquer à celui de son voisin. Et c’est finalement ce qui est le plus frappant sur ce disque : son aspect de bouture parfois légèrement contre-nature. Aussi, il faut prendre le terme Monsters Of Folk non pas comme une saillie mégalomaniaque mais comme une acceptation de la nature proprement monstrueuse de certaines chansons, à l’instar de ce Dear God (Sincerely M.O.F.), qui fait surgir la vision irréelle de la tête de M. Ward posée sur le corps de Jim James (chant nonchalant sur boîte à rythmes poisseuse). Whole Lotta Losin’ : le torse de Conor sur le bassin de Matt sur les jambes poilues de Jim. Temazcal : les pieds de Jim dans les chaussures de Conor (du pur Bright Eyes survolé par des chœurs psychédéliques suraigus à la My Morning Jacket). L’excellence des compositions ravit, tout comme l’impression que chacun a gardé certaines de ses meilleures cartouches pour le projet, durant les trois années qu’a duré l’enregistrement par intermittence de ce disque gouleyant. Car on reconnaît tout de même aisément la paternité des morceaux, suffisamment pour affirmer que The Right Place (Jim), Baby Boomer (Matt) et Man Named Truth (Conor) comptent parmi les meilleurs moments des œuvres respectives de leurs auteurs. Bonifiés par un esprit de groupe vraiment… super. (Magic)


Il en va des « super groupes » comme de ces films au casting de poids qui proposent à la ­même affiche deux, voire plus, monuments du cinéma : l'argument est vendeur, l'espoir, grand, mais le résultat est rarement à la hauteur. L'annonce d'un disque réunissant les forces créatrices de Conor Oberst (Bright Eyes), Jim ­James (My Morning Jacket) et M. Ward inquiétait donc autant qu'il titillait la curiosité. Aurait-on affaire à une joyeuse mais anecdotique récré musicale (à la Traveling Wilburys) ou à la naissance du Crosby, Stills and Nash des temps modernes ? Les deux à la fois. En choisissant un nom aussi ironique que Monsters of Folk, le quatuor (Mike Mogis, de Bright Eyes, complète le trio « vedette ») affiche un sens de l'autodérision qui place le projet sous le signe du fun plutôt que de la prétention. Une impression confirmée par l'écoute des nombreux titres d'un solide folk-rock enjoué, simple mais accrocheur (proche de l'esprit du récent Hold Time, de M. Ward), chanté en harmonie, qui constituent la moitié du répertoire de l'album. Des chansons agréablement banales (comme de l'America non anémié, alternatif) qui ne servent qu'à mettre en lumière une poignée d'authentiques perles dont on retiendra, entre autres, le plaintif et quasi soul Dear God (avec la voix de tête de Jim ­James) et, plus encore, une paire de poignantes balades d'Oberst : Slow down Jo et, surtout, l'envoûtant Temazcal. Des titres comme on aimerait en trouver avec plus de constance sur ses propres productions, trop inégales. Monsters of Folk n'a donc rien de l'effort inutile, et, s'il exhale parfois un parfum de Déjà vu, c'est loin d'être un inconvénient.(Télérama)
De tout temps, il y a eu des supergroupes, dénomination parfois bien usurpée pour résumer la longueur des CV des membres qui le composent. Même en sport, il y a eu des exemples fameux, mais au moins autant d'exemples fumeux d'additions de talents, et quand le succès est au rendez-vous, généralement celui-ci ne dure pas. Et donc là, ce sont quatre noms du folk qui se sont réunis sous une seule et même bannière, au titre d'ailleurs bien pompeux de Monsters of Folk. Ils, ce sont Conor Oberst (décidément toujours sur la brèche), M Ward, Yim Yames (de My Morning Jacket) et Mike Mogis. Comment se passe l'écriture d'un tel disque ? J'aimerais le savoir, car il y a quand même quatre egos à ménager, qu'ils s'en défendent ou non. Nos "monstres" ont tranché : il y a quinze titres, ce qui devait permettre à chacun de mettre son empreinte sur un nombre substantiel de morceaux. Peut-être suis-je un brin négatif quand je dis ça, pourtant, c'est l'impression que j'ai eu à l'écoute de ce premier essai. Jamais le disque n'est déplaisant, c'est certain : il y a des mélodies, les racines folk, country et americana n'ont de secrets pour aucun de nos quatre mousquetaires. Et pourtant, il manque l'étincelle, qui serait certainement apparue si cela avait été un vrai effort de groupe, mais jamais on ne sent que le résultat est le fruit de l'addition des quatre talents. L'entame est très encourageante : "Dear God (Sincerely M.O.F.)" est caressant à souhait, et ouvre déjà le disque sur un ailleurs que les territoires folk. Quelques boucles électroniques de batterie, un Wurlitzer et une forte touche de soul (arrangements, voix de tête de Yim Yames) nappent le titre d'une délicieuse torpeur, avant que "Say Please" ne mette Conor Oberst au premier plan. Très bon titre, dont on se dit pourtant qu'il aurait pu être sur l'album du chanteur paru il y a peu : petit problème en vue, car rien ne permet de déceler réellement la présence des autres monstres, sinon à grand peine dans les choeurs. Et ce sentiment va peu à peu se faire plus prégnant, sur "Whole Lotta Losin'", mais aussi sur "Baby Boomer", "Goodway" ou "Slow Down Jo" : autant de titres agréables, mais sur lesquels on sent une forme de fainéantise. Sans grosse exigence envers eux-mêmes, nos quatre fines plumes se reposent sur leur talent mélodique, la solidité de leur background et leur aisance naturelle à faire sonner immédiat ces titres, qu'ils soient country, americana ou blues. Pour n'importe quel autre artiste, on pourrait trouver ça excellent, ou au moins encourageant, mais là, c'est juste un peu décevant, avec ce goût de trop peu. Alors que retenir de cet album ? Les bons titres qui suivent, comme "Temazcal", ballade vespérale magnifique, aux arrangements et choeurs enchanteurs ? "The Right Place", swinguant avec une élégance naturelle enivrante ? Toujours est-il que "Ahead of the Curve" confirme l'adresse du songwriting de Conor Oberst, que "Man Named Truth" est un chouette numéro de country nerveuse, mais que pas mal de titres feraient plutôt de bonnes faces b ("Map of the World", "Magic Marker") que des titres forts. La conclusion, c'est que ce disque n'aurait pas dû comporter 15 titres, et qu'il y aurait gagné en cohésion, en force, et aurait évité cette fin en demi-teinte, entièrement composée de ballades à la guitare acoustique sans grande saveur. On aurait ainsi mieux apprécié le travail de production de Mike Mogis (son chaleureux mais jamais racoleur), les harmonies vocales (forcément réussies) et cette science de la mélodie qui accroche facilement l'oreille. Là, le propos se perd un peu et vient troubler la perception de ce disque qui a tout pour lui, mais ne convainc qu'à moitié. Le mot de la fin revient à un ancien entraîneur de foot, qui a eu cette réflexion "Un joueur, c'est cher, deux joueurs, c'est très cher. Ce qu'il y a entre les deux, ça n'a pas de prix" : il reste aux monstres à trouver ce fameux feeling entre eux. (popnews)
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le 10 avr. 2022

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