Nolita
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Nolita

Album de Keren Ann (2004)

Suite logique d'une trilogie inaugurale de haute tenue, Nolita suscite des impressions ambivalentes où la joie des retrouvailles et de la familiarité se mêle d'une certaine lassitude, provoquée par le sentiment de répétition. S'exprimant alternativement dans la langue de Shakespeare et celle de Françoise Hardy, Keren Ann poursuit son exploration intérieure des émois post-adolescents. Incontestablement, elle s'y entend mieux que quiconque pour susurrer avec délicatesse ces ballades évocatrices de la fragilité des sentiments et des petites douleurs du quotidien. Le temps de quelques morceaux, on se laisse, une fois encore, prendre au jeu de l'identification mélancolique. Mais cette introspection amoureuse souvent touchante se déroule, encore et toujours, dans les frontières bien étroites d'un cadre musical qui, lui, paraît un peu figé. Ce vocabulaire folk restreint, ces arpèges identiques égrenés album après album finissent par ressembler à un cocon sonore, presque trop confortable et rassurant, et qui enferme encore davantage Keren Ann dans cette caricature réductrice de grande soeur hippie chic, à la déprime un peu gnangnan. Il manque à ces chansons un petit souffle d'inattendu, un arrangement neuf, une prise de risque musicale, même infime, ou peut-être simplement une collaboration inédite, qui viendrait rompre le ronronnement désormais trop prévisible d'une artiste en mal de renouvellement.


Contrairement à Not Going Anywhere, qui était sans doute son album le plus charnel, le plus près du corps et du médiator, Nolita renoue souvent avec la grâce fantomatique de La Disparition. De disparition, thème obsessionnel, il est encore question sur l'impressionnant Que n'ai-je ? qui entrouvre le disque sur une note d'intention que contredit l'omniprésence ? au moins chez les disquaires ? de son auteur. Avec La Forme et le Fond, une composition complexe transcendée par la performance féerique de la soprano Nicole Renaud, Nolita est bien l'autre morceau de bravoure de l'album : un ballet hypnotique de six minutes, aspirant l'auditeur comme à l'intérieur d'un cycle dont Phil Glass aurait pu imaginer la mécanique, avec un souffle humain qui bât le rythme et une poussée dramatique de cordes et de cuivres dont l'apothéose ressemble aux points culminants seulement foulés ces dernières années par des alpinistes du son comme Mercury Rev ou Wilco. Ce nouvel album est le premier où ne figure aucune trace de l'ADN de Benjamin Biolay, et il révèle de façon éblouissante la forme et le fond du songwriting de Keren Ann, non seulement la magnificence de son écriture brute, mais surtout la prodigieuse amplitude orchestrale dont elle parvient désormais à nimber ses chansons ? elle est créditée comme seule productrice du disque ?, laissant loin derrière toute concurrence dans l'Hexagone. Conçu en deux endroits, Paris et New York, l'album possède bien cette double entrée par laquelle des courants parfois contraires finissent par s'embrasser. Un auditeur américain de la maison de disques y a vu comme "une espèce de road-movie américain, mais avec des Français dans la voiture". Ici, l'album sera sans doute perçu comme le plus new-yorkais des disques français, même si le New York de Keren Ann ne ressemble pas à la mégapole éventrée de l'après-11 Septembre, ni à la cité des stars warholiennes de l'ère Velvet. Keren Ann n'est ni lolita ni pseudo rockeuse, ni pute ni soumise, elle est possiblement la "songwriteuse" française la plus impressionnante ? et endurante ? depuis Barbara, même si elle est hollandaise. Et s'il est une seule raison de se réjouir de la réélection de Bush, c'est qu'elle ne deviendra pas de sitôt tout à fait américaine. (Inrocks)
Je pourrais bien brouiller les pistes, changer cent mille fois de visages, rayer mon nom de toutes les listes et m'effacer du paysage" ("Que n'ai-je ?"). Nous y voilà. Le même sillon. Le même fil directeur instable, l'hésitation prolongée entre la métamorphose (la double silhouette de la pochette, la renaissance en papillon américain diapré de couleurs country) et la disparition pure et simple, fantasme et réalité mêlés (la voix le plus souvent au plus second plan, la neurasthénie partout : "Mon désespoir sur le quai des au revoir, je suis bien mieux sur le quai des adieux", sur "Midi dans le salon de la duchesse"). Keren Ann, petite soeur d'Anna Karénine, en est à l'Acte IV, celui d'avant le dénouement de la crise, la mutation décisive ou la fin tragique, et l'acte IV réclame à égalité la suspension du temps et l'accroissement de l'intensité, principes joliment mis en valeur, sur cet opus, par la linéarité et l'étirement des morceaux, par les motifs récurrents qui tirent l'obsession vers le climax (les accords de guitare sur "Que n'ai-je ?", les violons et soupirs de "Nolita", les rondeurs de basse sur "La forme et le fond"). Sur cette trame mi-morose mi-amère, Keren Ann surprend à nouveau par la diversité de ses talents (mélodies, arrangements, production) et de ses propositions musicales, par la simplicité et le sérieux avec lesquels elle se prête à des exercices de style réussis, défiant Mazzy Star sur son terrain ("Chelsea Burns", "Roses & Hips"), tutoyant Stina Nordenstam sur le registre de la délicatesse autiste ("Nolita"), intégrant toute sorte d'éléments disparates à ses compositions (rythmes de bossa, insert de voix lyrique, lecture d'acteur, choeur pop, etc.). Tous ces indices tendent vers l'évidence d'une maturation artistique, évidence que la musicienne continue de dénier, semant partout les signes contraires d'une fragilité et d'une incertitude existentielle tenaces, mais personne ne peut désormais s'y tromper : il faut plus que jamais compter avec elle, pour prolonger en beauté certains héritages folk, pour décloisonner chanson française et pop, pour ouvrir les horizons de la musique d'ici. (Popnews)
Keren Ann nous avait laissés sur les très bonnes impressions de "Not Going Anywhere". Le charme de ses chansons acoustiques assuraient un réel talent de songwriter. On attendait donc ce nouvel album sans trop d’appréhension, si ce n’est celle de la voir courir après un succès plus important. Mais cela serait bien mal connaître la demoiselle qui, revenant parfois au français, réalise un nouvel opus envoûtant.Sans délaisser sa guitare folk, elle étire les ambiances, ralenti le tempo, notamment sur Nolita, jouant avec les cordes et autres arrangements de cuivres. Le tout est emprunt d’ambiances américaines, parfois un peu blues, parfois plus western grâce à un harmonica ou des guitares qui savent aussi se faire rock dans le fond et la forme. On sent peut-être un peu plus de mélancolie que précédemment, les chansons sont simples et touchent alors peut-être d’autant plus. Finalement Midi dans le salon de la Duchesse qui n’est pas sans rappeler Le Plus Beau du Quartier de Carla Bruni possède un petit groove entraînant… mais là n’est pas l’essentiel.Avec "Nolita", Keren Ann poursuit ses pérégrinations musicales, nous dévoilant un peu plus les facettes de sa personnalité. On aime se prélasser à ses côtés, dans une certaine torpeur, les sens pourtant en éveil, comme un chat qui sommeille au soleil. Rrrrrrr ! (indiepoprock)
bisca
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le 10 mars 2022

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