Fonderie du Future
Comme dans tout style de musique, des piliers ont permis au genre d'évoluer. Des précurseurs, des pionniers, appelez-les comme vous voulez. Meshuggah, c'est la faculté d'être en avance sur son...
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le 10 sept. 2018
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Ils étaient déjà là pour tenter de nous prévenir avant. Ils avaient prêchés le chaos en 1999. Ils avaient chanté les louanges du néant en 2002. Ils avaient déjà tenté, et sont presque parvenus, à une première extinction de masse 3 ans après. Personne ne les a arrêté. Personne ne les a empêché. On a préféré tous continuer à vivre au quotidien comme si de rien n'était alors que consciemment ou non on savait tous que le prochain serait le dernier. On savait ce qui se tramait dans les coulisses. On savait qui tirait les ficelles de l'apocalypse à venir. On savait qu'on allait tous y passer. On ne pouvait juste rien y faire. C'était attendu. On ne se le disait pas mais quand la date a été annoncée on s'est tous mis à se parler comme si on était tous foutus. On comptait nos jours jusqu'au jugement dernier. Personne n'a cherché à fuir. N'importe quel nanomètre carré de cette foutue surface du globe était condamné à se faire laminer la gueule au moment fatidique, et imaginer un échappatoire, quel qu'il soit, était complètement illusoire et absurde. Quand la bombe a détoné le 7 mars 2008 on n'avait même pas peur de la mort. On s'y était préparés. Certains disent qu'on pouvait voir l'explosion depuis la Lune. Je n'en sais rien, les pauvres fous qui avaient payé une fortune pour s'y réfugier ont succombé aussi. Ils n'ont pas compris que depuis le début il n'y avait plus d'argent, plus de classes, plus de privilèges, il n'y avait que la pénombre qui attendait son heure pour tous nous bouffer.
Jusqu'au dernier.
Alors alors, épuisant, éprouvant, assommant, aride, d'aucun dirait hermétique, mathématique ou cryptique, agaçant aussi parfois quand ce n'est pas juste inerte et pénible, voire carrément apathique, ça je l'ai déjà lu et entendu concernant cet album venant de gens qui n'aiment pas Meshuggah. Après tout comment leur donner tort ? C'est vrai qu'au final le style du groupe c'est un peu tout ça à la fois. Ils n'ont jamais vraiment cherché à le planquer ni à y remédier. Comment en vouloir à mes chers éclaireurs qui bombardent ce pauvre obZen de mous 5 et de durs 4 ? La lumière n'est pas à la portée de tout le monde après tout. Je peux tout à fait entendre qu'après s'être mangé l'un des albums les plus violents et surpuissants de l'histoire on puisse avoir le tournis et trébucher sur la mauvaise notation. Ce n'est pas trop grave tant qu'une fois remis de la calotte vous changez votre note vers le 10 que vous avez toujours voulu lui mettre, même si ça doit vous prendre des années pour le digérer. Ou bien vous refusez en pleine conscience de vous y ouvrir, et j'entends votre déni. Je comprends votre jalousie à ne simplement pas avoir le génie en vous nécessaire pour pondre un tel monolithe. Je l'ai en moi aussi. Mais qu'à cela ne tienne, nous pauvres et pathétiques humains sommes parfois obligés de coexister avec des êtres démiurges et supérieurs comme ces 5 petits suédois sortis d'on ne sait où et qui ont décidé de chambouler le Metal à jamais comme ça, pour le plaisir. Nous sommes parfois obligés de nous faire remettre à notre place aussi sèchement et de contempler notre propre avenir dénué d'espoir et de sens. Même si vous ne voulez pas le voir vous l'entendrez. Vous l'entendrez bien plus que vous ne le verrez. Même les oreilles bouchées votre corps vibrera quand même malgré lui au rythme de la grosse caisse et des accordages ras du sol des guitares et de la basse. Meshuggah ne laisse aucune issue. Vous allez morfler, peu importe la manière mais vous allez morfler. Sévère.
Généralement les premières secondes du premier morceau suffisent à donner le ton. La batterie part légèrement trop en avance. L'accent se décale. La mécanique semble dysfonctionnelle. Au moment de le réaliser et de s'y acclimater les règles changent et la batterie réaligne le tout. Tomas Haake donne des immenses coups de masse sur sa caisse claire pendant que Dick Lövgren pousse son ampli basse jusqu'à la rupture, Fredrik Thordendal et Mårten Hagström nous bombardent de riffs dévastateurs tandis que Jens Kidman scande son exégèse et prêche la fin des temps avec une haine brute et viscérale. La machine n'est pas détraquée, elle est prodigieusement surchargée. Ce n'est pas le bordel, c'est le chaos. Mais le chaos à la Meshuggah : un chaos mécanique, arythmétique, massif, fataliste et inéluctable. Impossible de ne pas devenir fou. Tout est déjà dit. La formule est poussée bien plus loin en à peine 5 minutes qu'il en faudrait plusieurs heures aux autres groupes. Combustion porte son titre : la victime a déjà dépassé le stade de simple auditeur à l'alerte de la suite de notes qui fait vibrer l'air jusque dans ses tympans. Il brûle de l'intérieur d'une flamme torride, il détonne de l'extérieur d'une déflagration majestueuse.
obZen, ce sont avant tout 9 titres. Ce sont 9 expériences de destruction massive chacune à leur manière. Si Combustion a déjà tout détruit avec son break où tout se réaligne d'un coup, qu'en est-il de ce pont incroyablement menaçant qui suit sur Electric Red ? De cette galopade ritournelle qui fait de Bleed un hymne aussi entêtant que paranoïaque ? De ce break pachydermique de Lethargica que le groupe prend un malin plaisir à encore plus ralentir en live ? De cette hargne beaucoup plus vicieuse qui traverse Pravus de son premier riff jusqu'à sa dernière note ? Et je pourrais en tartiner pendant des romans entiers sans mentionner le morceau final, Dancers to a Discordant System, le plus long et de loin le plus complexe et labyrinthique de tous, qui synthétise à la perfection toute cette apocalypse latente qui a coulée à travers tout le disque et qui, après toute une salade de rythmiques et de mélodies toutes plus alambiquées et indéchiffrables les unes que les autres, décide de se conclure par un riff d'une simplicité surréaliste qui surgit en bout de souffle tel un bref éclair de lucidité au bord du précipice vers lequel nous nous dirigeons alors qu'il ne reste plus rien aux alentours que de gris paysages dévastés, que cette dernière danse achève définitivement dans un élan terriblement fataliste et terrorisant, une pulvérisation froide et sans pitié. La destruction est totale. Il n'y a plus rien.
Quel intérêt de faire de la musique après obZen ? Les membres de Meshuggah y ont simplement mis fin en 2008. Tout ce qui est venu avant, tout ce qui viendra après, inéluctablement, a été, est et sera moins bien. Ils ont tout détruit. Les fondations passées, les espoirs futurs, la brêche s'est ouverte d'un coup et a emporté en elle le restant d'âme qui pouvait siéger en ces bas-fonds. Ce n'est même pas la peine d'imaginer une musique plus massive et écrasante. Ce n'est pas abscons comme certains peuvent le prétendre. C'est au contraire infiniment limpide et lucide. On n'est juste pas dignes d'une telle beauté dans cet océan d'obscénité que cet album n'a pas mis en scène mais mis en lumière : nous sommes exposés, nous sommes mis à nus dans notre ignorance et notre stupidité les plus laxistes. Nous ne pouvons que nous y plier et nous flageller, parce que c'est la dernière chose qu'il nous reste à ressentir au crépuscule de notre existence, au sommet de notre déchéance.
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le 25 sept. 2025
Critique lue 3 fois
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le 10 sept. 2018
5 j'aime
ObZen aurait pu être un best of de Meshuggah tant il regroupe tout ce que le groupe fait de mieux. La violence est là, les gros riffs aussi, c'est un bloc de son qui remue et fait du bien en même...
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le 31 juil. 2024
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