Chronologie The Beach Boys - Parenthèse 2 :
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Dennis Wilson est vraiment un cas passionnant chez les Beach Boys. A la base rien ne le prédestinait à sortir du simple rôle de batteur , occasionnellement interprète de quelques morceaux choisis par Brian. Pourtant , après le déclin de son grand frère il a commencé à composer de son côté , à proposer des morceaux au groupe, souvent très bons , voire même dans certains cas de véritables tubes comme "Forever". Ses morceaux sont passionnants à analyser parce qu'on voit les ponts évidents avec le style du groupe, mais ils ont quelque chose de différent, de plus soul, brut, langoureux... Ce sont souvent des ballades , mais avec un côté âpre et sincère, parfois très atmosphériques, qui les font sortir du lot ("Be Still", "Cuddle Up") ou alors des purs Rock'n'Roll qui envoient le bois comme rarement pour le groupe ("All I Want to Do", "Slip On Through", "It's About Time").
Dennis met énormément de personnalité dans ses compositions, et rapidement on a l'impression qu'il n'écrit plus pour le groupe, mais vraiment pour lui même , pour s'exprimer et se développer en tant qu'artiste à part entière et non plus comme simple membre du groupe. C'est flagrant sur "Carl and the Passions" de 1972 où il est totalement seul sur les 2 morceaux qu'il a signé, donnant un peu un aspect décalé du reste des chansons, et c'est radical sur "Surf's Up" où il a choisi de ne pas participer pour garantir l'intégrité de ce qu'il avait envie et besoin de proposer. Il donne un peu l'impression de tirer la bicyclette comme dans "Le Voyage de Chihiro", et trouve ici un moyen de s'exprimer en tant qu'artiste comme personne ne semble l'avoir anticipé, pas même ses frères. La suite logique est bien sûr l'album solo, qu'il semble avoir amorcé dès le début des années 70, mais qu'en raison de sa propre turbulence, ou par fidélité envers le groupe, il n'a fait aboutir qu'en 1977, avec ce "Pacific Ocean Blue".
La majorité des morceaux sont co-écrits avec Gregg Jakobson, un de ses partenaires d'écriture favoris, et il y a même deux morceaux co-écrits avec Carl (qui a beaucoup participé à l'enregistrement) , et un avec Mike Love. En plus de Carl, on retrouve Ricky Fataar à la batterie sur plusieurs chansons, preuve que les ponts avec les Beach Boys ne sont pas vraiment coupés, ce qui personnellement me fait plaisir.
A l'écoute de cet album il y a un aspect flagrant, qu'on devinait déjà dans les morceaux de Dennis sortis auparavant : le cœur. Cela ne veut factuellement pas dire grand chose quand on essaye de faire une critique, mais "Pacific Ocean Blue" donne l'impression d'un cœur énorme , qui déborde de chaque chanson, d'une honnêteté et d'une sincérité désarmante. Dennis Wilson aurait pu potentiellement souffrir de son image de forte tête mais il n'y a rien de poseur à l'écoute, rien de forcé ou d'artificiel. On a un condensé brut d'un homme usé , bouffé par ses démons , pour qui la teuf est un art de vivre ("Friday Night", "What's Wrong") mais qui semble avoir conscience que ça le détruit et cherche aussi un salut dans la vérité, à savoir la nature ("River Song", "Rainbows") , l'océan ("Pacific Ocean Blues") , la reconnaissance envers ses proches ("Farewell My Friend", "End of the Show") et bien sûr l'amour ("Thoughts Of You", "Time" , "You and I") , un amour pur, à l'os , sans fioriture , comme rarement exprimé sur disque. La voix est rauque et remplie de chaleur, pas encore totalement fracassée par les excès , bien que ce soit en bonne voie malheureusement. Les paroles sont quasiment sans refrains , des couplets en haikus à la fois poétiques et très simplistes, le résultat est exactement ce qu'on pouvait espérer de mieux de sa part.
"River Song" qui ouvre le disque fait partie de ce genre de chanson qui nous font ressentir des émotions plutôt que de surexpliquer dans les textes. On a cette sensation divine d'une rivière qui coule et s'agrandit, les chœurs sont beaux à tomber par terre , Dennis semble être un pauvre pêcheur frappé par la vérité divine , c'est absolument magnifique. "What's Wrong" envoie le déhanché et est le morceau le plus soul et énergique de l'album , "Moonshine" est beau à briser le cœur, "Friday Night" et ses touches plus électroniques semblent être le morceau d'intro d'un polar nocturne des années 80 réalisé par Michael Mann , "Dreamer" nous noit dans des cuivres jazzy d'une intensité sans pareille... On peut continuer comme ça sur tous les morceaux, il n'y a aucune tache, aucun filler, aucune fausse note, on alterne entre le funky le plus envoutant ("Pacific Ocean Blues"), la ballade la plus déchirante ("Farewell My Friend") et des touches folk plus ensoleillées ("Rainbows") sans temps mort, sans faiblesses, et même les morceaux bonus de l'édition des 30 ans sont magnifiques.
"Pacific Ocean Blue" est bouleversant, évidemment encore plus quand on a poncé la disco des Beach Boys et qu'on réalise le cheminement qui a mené à sa réalisation, mais même sans ça c'est un formidable condensé d'artiste simple et brut, mais avec une vision et des inspirations qui anticipent déjà le tournant rock / électro des 80's tout en allant puiser dans la soul, folk et même les harmonies du passé. Et quand on sait que ce même océan qu'il glorifie tant l'a définitivement emporté un soir de décembre 1983 , l'aura de l'album devient quasiment mystique , et lui confère même une impression de sacré rarement ressenti ailleurs , tous domaines artistiques confondus …