Derrière sa viralité grotesque et ses punchlines scabreuses, Pound Town est bien plus qu'un énième single trap outrancier, c'est une œuvre profondément subversive, au croisement du rire, du sexe et de la classe.
Sexyy Red y performe une subjectivité prolétarienne et féminine, non éduquée, non conforme, non respectable. En refusant les codes de la séduction bourgeoise, elle sabote le male gaze par saturation. Le monde patriarcal et ses normes sont mis à nu et tournés en dérision. "J'ai la chatte rose et le trou du cul brun", une formule devenue virale parce qu'elle dérange et casse l'imaginaire lisse du désir. Cette prise de parole s'inscrit dans un espace de contestation radicale de l'invisibilisation historique des femmes noires. Ces dernières sont historiquement perçues comme dépourvues de sexualité respectable, souvent hypersexualisées par les regards masculins blancs et noirs, mais privées du droit d'énoncer leur propre désir.
L'homme est ici décentré, ravalé à un rôle d'auxiliaire corporel ou économique, dans un monde où les désirs des femmes pauvres, noires et indisciplinées ne sont jamais censés compter. Le vers "Où sont les mecs ? Je cherche les meufs" en dit plus long qu’il n’y paraît. Elle commence par mimer l'attente habituelle de toute soirée hétérosexuelle, puis elle déplace immédiatement l'intérêt vers les filles. C'est un décentrage du regard. Ce qui l'attire, ce sont les femmes comme présence collective, comme partenaires de fête, de performance, de visibilité. La scène devient alors un espace de camaraderie féminine autant que de puissance corporelle partagée.
Ce geste de subversion est aussi rendu possible par l'esthétique minimale et martiale de Tay Keith. Sa production, brute, répétitive, presque fonctionnelle, ne cherche pas à enjoliver le propos mais l’encadre, le propulse. Le beat agit comme un décor bétonné, sans affect ni sensualité gratuite, qui laisse toute la place au texte et à la performance vocale de Sexyy Red. En ce sens, la prod se fait complice en assurant le terrain d’un retournement du pouvoir sonore, où ce sont les mots crus, l’humour et l’arrogance qui dictent le tempo.
Pound Town parasite le patriarcat de l'intérieur, en exagérant ses codes jusqu'au ridicule, en plaçant la voix d’une femme noire, vulgaire et fière au centre du dispositif. C'est une irruption joyeuse et obscène dans un champ culturel qui tolère mal la parole des corps féminins populaires. Comme le montre bell hooks dans Ne suis-je pas une femme ?, ce n’est pas seulement la sexualité des femmes noires qui fait scandale dans l'imaginaire dominant, mais également leur capacité à la revendiquer elles-mêmes, à en parler avec leurs mots, à troubler les assignations raciales et genrées qui les enfermaient dans le silence ou la caricature. Si cette chanson fait rire, choque ou fait danser, c'est donc bien parce qu'elle parle depuis un lieu que le capitalisme, la suprématie blanche et le patriarcat voudraient taire, et elle le fait très fort.