D'un côté, cette chronique, on aurait aimé ne jamais l'avoir eu à écrire. Evidemment. De l'autre, il eut été fâcheux, véritablement fâcheux que ces bandes restent inédites. Alors... Déplaçons le débat sur la seule vérité du disque. Pour s'être repu de Grace à satiété, il est étonnant de constater combien la magie Buckley opère encore et toujours. C'est incroyable le magnétisme que peut exercer ce gars-là par le seul fait de chanter. Aujourd'hui, seul un Tom Yorke, seul un tel écorché, dégage un telle aura. Pour habiter à ce point des chansons, il faut avoir une sacré trouille aux fesses. Jeff Buckley chante, joue avec une aisance, une fluidité qui n'ont pas leur pareil pour vous transporter. Il faut dire qu'il est accompagné par un groupe magnifique de créativité et de justesse. Le premier disque, puisque Sketches (For My Sweetheart, The Drunk) est un double album, regroupe les derniers enregistrements "produits" par notre Américain. On ne voit d'ailleurs pas très bien ce qu'a pu apporter Tom Verlaine tant la personnalité de Buckley semble écraser de tout son poids chacune de ses chansons. On ne comprend pas très bien non plus ni comment, ni pourquoi Buckley ne voulait semble-t-il pas que ces chansons voient le jour au point de décider tout recommencer ? Car nous, pauvre auditeur, on se contente amplement de ce qui nous est donné à écouter. De The Sky I Landfill, en ouverture au mystique You & I, en passant par le formidable Vancouver, c'est un plaisir d'entendre un rock aussi vivant, aussi ingénieux. Seuls les Américains sont capables d'un tel souffle épique, d'un tel vent de folie dans cette musique. Quel voyage ! Le second disque regroupe des démos et donc sonne plus décousu. Mais son côté disparate et sa rudesse renforce encore son impact. C'est une collection d'instantanés figeant l'urgence de ce chanteur hors norme, de sa musique superbe de liberté. Ce disque rend si c'est possible le drame de la disparition de Buckley encore plus horrible. Et son génie plus lumineux. (Magic)