Alors que le charme de son magnifique premier album éponyme se dissipe à peine, l'Irlandais Perry Blake revient sans tambour ni trompette. Mais c'est tout un grand orchestre qui aurait aussi bien pu annoncer le retour triomphateur de l'enfant prodigue. Comme l'étoile du Berger, Still Life brille dans le firmament des disques touchés par la grâce. En treize morceaux à la mélancolie à fleur de peau, le minuscule crooner délivre des hymnes chaleureux pour soirées solitaires. Enivrantes, lumineuses, toutes de classe vêtue, ses nouvelles aventures musicales sont d'ores et déjà des classiques. Dans la parfaite continuité de son prédécesseur, Perry Blake développe des mélodies célestes autour de thématiques contemporaines comme... l'usage du préservatif (No Lullabies), les rapports conflictuels entre les communautés irlandaises (War In France, où la voix de Françoise Hardy est l'apanage de la discrétion). Entouré de Glenn le bassiste et de l'ex-batteur de Japan Steve Jansen, Perry envoûte avec le tube programmé Sandriam. Le coeur touché en pleine cible par la magie de l'espiègle lutin, on se laisse prendre aux envolées lyriques de Give Me Back To Childhood et du lancinant Let You In. Sombre et passionné, Perry Blake est définitivement le plus bel héritier de Nick Drake et Scott Walker.
Comme si le presbytère n'avait rien perdu de son charme, cette Nature morte (Still life), affine tout au plus - mais admirablement - le parfum délétère de chrysanthèmes qui nimbait déjà les chansons du premier album de Perry Blake. Entouré d'une brigade internationale discrète et humble (en particulier, le guitariste Glenn Garret, désormais aux côtés de Brendan Perry), Blake continue de capter ce réel qu'on ne prend plus la peine d'apercevoir, reporter photographe de l'humble et de l'anecdotique. Parfois, la voix marmonne, à la limite de l'audible, incapable qu'elle est de surmonter les forte de l'orchestre, parfois, les chansons deviennent mantras. On ne pénètre pas l'œuvre de Perry Blake. On peut, tout au plus, la mettre momentanément en adéquation avec ces souvenirs d'instants où l'on cesse de respirer, où on se dit adieu, où on se quitte. Et, parfois, c'est une pureté gracile, quasiment enfantine, qui nous est offerte : dans ces instants en apesanteur, le chant, gravé avec la perfection maniaque usuelle, offre tant de fragilité et de dénuement qu'on en revient bouleversé. War in France, chanson discrète, enregistrée en un duo lunaire avec une Françoise Hardy pour une fois utilisée non pas comme une icône, mais comme l'empreinte d'un chant rêvé, a l'exacte texture des plaines de la Somme, désormais emperlées de cimetières militaires, entre boucherie névrotique et champs de betterave. Et cela constituera le passable résumé de l'un des Perry Blake que le chanteur nous laisse à entendre. Les autres, tous les autres (le grelottant, le timide, le rêveur), à chacun de les découvrir à sa convenance. (Inrocks)