The New Abnormal
7.2
The New Abnormal

Album de The Strokes (2020)

Un album best-of consacré uniquement à des titres inédits, est-ce vraiment possible ? Les Strokes ont tenté le pari. A travers The New Abnormal, le 5 majeur du rock new-yorkais délivre 9 morceaux à mi-chemin entre la synthèse et la rétrospective de leur oeuvre musicale, débutée en 2001. Un voyage toujours rock mais empreint de nostalgie, de poésie et de douceur.

The New Abnormal réconcilie le rock garage des débuts, en donnant dans les solos de guitares et la voix saturée (Bad Decisions), avec l'électro daftpunkienne (Brooklyn Bridge To Chorus), présente dans les derniers albums du groupe et dans les projets solo de Julian Casablancas. Lui-même revisite d'ailleurs sa voix rocailleuse des débuts puis passe aux tonalités plus aigües, douces et légèrement autotunées en un clin d'oeil (Eternal Summer). Entre les deux, le groupe navigue avec chic dans un périple nostalgique.

Les New-Yorkais soignent leur entrée en matière avec l'élégant The Adults Are Talking. Un titre qui se dévoile à pas de loup mais qui donne progressivement envie de battre la mesure et de claquer des doigts. Sous forme de balade rock, Casablancas nous fait délicatement décoller et nous emmène survoler des paysages apaisés. La voix est calme et rassurante comme un murmure introductif qui annonce le retour après 7 ans de silence. L'installation de l'album se fait en douceur mais il semble bien que les retrouvailles soient agréables. Plus le morceau avance et plus l’intuition est bonne. Le vol prend de la vitesse, on retrouve l’adrénaline, et le titre finit par dévoiler ce qu’on aime depuis toujours : solo et dialogue entre les guitares, rythmique imbattable, mélodie entêtante, basse aiguisée et batterie pointue. L’envolée lyrique finale de Casablancas symbolise parfaitement l’euphorie et le plaisir de ces retrouvailles très réussies. Ca y est, ils sont de retour ! Nous avions oublié qu'ils nous manquaient mais ça y est, il nous ont embarqué, et ça va être bien. Telle est la promesse de The Adults Are Talking, distribué avec raffinement et efficacité. Cocktail si strokesien.

Passées les retrouvailles, nous basculons sur de la vraie nostalgie avec Selfless. Le titre évoque le bon vieux temps, l’époque où tout était plus simple. Il traverse les regrets ("Time we lost, that's all my fault"), la mélancolie ("Can the dark side light my way?") et ce passé tant fantasmé. Les solos de guitares - dignes de First Impressions Of The Earth - alternent avec le synthé psychédélique qui accompagne ce voyage au coeur des souvenirs. Vont-ils réussir à ressusciter cet amour perdu (I don't have fun without you love)? Il s'agit bien d'une nouvelle complainte teintée d'espoir (Life is too short, but I will live). Un thème-signature chez les Strokes depuis le début et qui rappelle les ancêtres Trying Your Luck, Whatever Happened? ou encore Hard To Explain.

A peine le temps de s'apitoyer sur le sort de Casablancas que la piste n°3 nous prend à contre-pied. Brooklyn Bridge To Chorus semble tout droit sorti du premier album solo de Casablancas. Le parallèle avec le single 11th Dimension de Phrazes For The Young est évident. L’entêtant synthé donne le ton mais les guitares sont toujours présentes et finissent par reprendre le dessus dans le refrain. Un morceau davantage lié à Angles et au tournant électro des dernières années. Un des tubes de l’album avec The Adults Are Talking et Bad Decisions.

Bad Decisions, nous y arrivons justement. Alors que nous venions tout juste de basculer sur l'électro sauce Strokes, nous revenons à présent aux racines du groupe, avec la chanson la plus rock de l’album. La plus fidèle à Is This It et Room On Fire. Un titre-point de repère. Nous retrouvons ici la voix saturée de Casablancas et un son 80s qui rend un hommage appuyé à Dancing With Myself de Billy Idol. Il s'agit presque d'un titre fan service, mais ça marche, c'est simple et efficace. En réaffirmant ici leur identité originelle, les Strokes nous rappellent pourquoi nous sommes tombés sous le charme de leur musique il y a 19 ans. Yeah Yeaaah Yeaaahhh.

Mais sortons du garage pour découvrir le nostalgique et rock Eternal Summer. On le savait avant d’écouter. Un été éternel ne peut rimer qu’avec nostalgie. Naît alors une envie de retrouver les meilleurs étés de nos vies. De s’y réchauffer en espérant qu'ils reviennent et s'éternisent. A une voix aiguë succède une voix enrayée très rock. Nouvelle synthèse des Strokes, cru 2020, qui trouvent ici le juste milieu de leur identité. La fin du morceau nous fait basculer dans une ambiance incertaine, presque menaçante : les guitares alertent et la voix déraille.

Je passe rapidement sur les ratés de l'album dont At The Door, titre égaré, complexe et qui sonne comme un mauvais morceau de Comedown Machine. Not The Same Anymore et Why Are Sundays So Depressing sont aussi sur le registre mélancolique mais bien plus banals en comparaison avec The Adults are Talking, Ode To The Mets ou Eternal Summer. Les deux morceaux s'éternisent (5 minutes chacun) et on s'ennuie un peu. Un gloubi-boulga des Strokes, mal dégrossi.

On craint alors qu'après des débuts très prometteurs, l'album ne se perde, à l'instar du dernier MGMT. C'était sans compter sur le sens esthétique du quintette et sa volonté de bien clôturer ce sixième album. Ode To The Mets renferme à la fois la conclusion et la chanson-pépite du disque. Le début reprend quelques tonalités de Ask Me Anything mais évolue vers plus de rock. La lenteur de cette ode nous ramène à une randonnée urbaine, une déambulation dans un Manhattan vidé par le confinement ? Qui pose aussi la question de notre rôle ici-bas ? C’est le café-philo avec les Strokes. La voix grave de Julian nous refait décoller progressivement au dessus de Manhattan, coucher de soleil sur l’île et sur nos sentiments adolescents, putain c’est beau. L’album se referme ici en dévoilant une nouvelle dimension plus intellectuelle de leur évolution musicale. "It's the last one now, I can promise you that I'm gonna find out the truth when I get back. Gone now are the old times."

The New Abnormal, bande originale de la quarantaine, est une grande balade urbaine et nostalgique. Une introspection pour le meilleur qui retrace et assume l'identité complexe des Strokes. D'écoutes en écoutes, on parvient à lever le voile sur un disque-patchwork. Une fresque qui dresse le bilan de deux décennies. Le rock en 2020 est certes un peu plus électronique et doux mais ce sont toujours les Strokes qui le conjuguent le mieux.

GrgoireLusson
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le 12 avr. 2020

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