Tower of Love
7.3
Tower of Love

Album de Jim Noir (2005)

On pourrait ici parler de country-music, mais la country en question serait un royaume bucolique et excentrique, un petit coin d'Angleterre où Brian Wilson, Syd Barrett et The Beta Band seraient de sang royal et où Lewis Carroll aurait écrit la Constitution sur des pétales. Tout ce que vous avez lu sur la grâce, la flamboyance et l'exubérance de Badly Drawn Boy était en fait destiné à cette miraculeuse compilation des premiers singles du Mancunien, qui oscille ? dans une absence totale de gravité ou de morosité ? entre psychédélisme barbapapa, folk radieux, electronica espiègle et pop céleste.
Car Jim Noir, dont les singles ici rassemblés se vendent désormais pour de véritables fortunes sur eBay, est exactement le genre de songwriter autarcique et doucement illuminé qu'on attendait outre-Manche depuis le retour à la raison de Stuart Murdoch, la plume désormais trop bridée de Belle & Sebastian. Il faut avoir longtemps vécu seul dans sa chambre, avec ses posters comme uniques fenêtres vers le monde extérieur, pour ainsi débouler dans le champ public avec un univers aussi ferme et formé, pour résister avec une telle insolence et une telle légèreté aux diktats de la mode et du monde.
Aussi largué, semble-t-il, que le nettement plus complexe Sufjan Stevens ou que les hédonistes pop de Spinto Band ou Super Furry Animals, Jim Noir joue et chante seul ? plus par incompatibilité avec 2006 (voire par stupeur) que par choix ? ses chansons pharaoniques, dans une luxuriance de chorales, d'arrangements et d'instrumentations qui élève une farouche barricade contre le misérabilisme de la lo-fi. "Si vous ne me rendez pas mon ballon de foot, je vous lance mon père aux trousses'", promet-il. A ce niveau-là d'excellence, son ballon ne peut venir que du stade d'Old Trafford. (Inrocks)


Ils sont légion à s'être penchés avec plus ou moins de réussite sur le problème posé par la fameuse quadrature du cercle pop moderne : comment composer au troisième millénaire un album à la fois classique et original, alors que tout semble avoir déjà été dit, ressassé, calibré et épuisé depuis si longtemps ? Cette fois, c'est au tour d'un jeune inconnu tout droit sorti de la banlieue de Manchester d'apporter sa réponse toute personnelle à la question. Une réponse qui tient en quelques mots, répétés façon méthode Coué sur le deuxième titre de Tower Of Love, I Me You I'm Yours : "I've got words I'd like to say/But they've all been said before/So I'm gonna use them all". Et voilà ! C'était aussi simple que cela, mais il fallait tout le talent et la naïveté maîtrisée de Jim Noir pour nous en convaincre. Il suffisait donc, pour cette fois, de reprendre tous ces mots et ces notes que l'on croyait usés jusqu'à la corde, ces harmonies célestes qui sonnent comme autant de déclarations d'amour au Love You des Beach Boys, ces ritournelles à la McCartney, et de ne plus se préoccuper de rien d'autre que du bonheur doucement régressif qu'ils continuent d'apporter. Avec une simplicité déroutante et l'insouciance salutaire des débutants, Noir a réussi à bricoler un album qui ne parle que du plaisir que procure la découverte de la pop music, du charme de la clef de sol (Key Of C), des joies de la composition aux claviers (Computer Song). Tout cela pourrait sentir terriblement le renfermé et le nombrilisme si Noir n'était pas parvenu à ressusciter cette fraîcheur enfantine (mais jamais infantile) qui ramène au temps des émotions brutes, des premières découvertes amoureuses et artistiques, celui où l'on se consolait de s'être fait piquer son ballon de foot par les grands dans la cour de récré en chantonnant un tube des Beatles (Eanie Meanie). Bref, ce premier Lp totalement réjouissant fournit la preuve en acte qu'il existe encore des moyens de recycler ses vieux ingrédients dans les plus antiques des marmites sans jamais que l'on songe à se préoccuper de leur date de péremption.(Magic) 
bisca
7
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le 11 avr. 2022

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