Une suite, une suite à "Welcome to my Nightmare" ? Alice Cooper décide en 2011 de livrer la suite de son album culte, 30 ans après. A vue de nez ça peut sentir la technique désespérée pour faire parler (acheter) et l'apréhension est tout à fait légitime. D'autant que, si vous avez suivi, il y a déjà une suite à "Welcome to my Nightmare et ça s'appelle "Alice Cooper Goes to Hell", de plus, si une suite de quelque chose était effectivement prévue, c'était celle de "Along Came a Spider", elle a été annulée faute d'inspiration.
Pour nous rassurer, on peut compter sur la présence du fantasque et fantastique Bob Ezrin qui nous a habitués à sublimer les travaux du Coop (entre autres), et, doubleplusbon, le retour de membres originaux du Alice Cooper Group : Dennis Dunaway, Michael Bruce et Neal Smith ! Sur trois morceaux seulement, mais tout de même de quoi faire dresser les oreilles d'intérêt.
De même nous croiserons entre autres le regretté Dick Wagner (qui ressemblait de plus en plus à son illustre ancêtre) le nouvel ami Rob Zombie, John 5 et Ke$ha.
Oui.
Ke$ha.
Mais on va en reparler.


"Along Came a Spider" nous avait laissés sur une note plutôt positive, on avait compris que ce bon vieil Alice Cooper était en forme et qu'il n'avait pas perdu son goût du concept aussi douteux que réjouissant. Reste donc à savoir ce que ce "2" a dans le ventre.


Ca commence par "I am Made of You" qui aurait nécessité un travail immense en studio selon Alice lui même. En réalité, effectivement, de nombreux effets s'imbriquent dans cette compositon voulue comme épique, le plus marquant étant un autotune d'un goût super douteux. Le message a beau être sympathique (Le cauchemar est fait de Steven, Steven est fait d'Alice Cooper, Alice Cooper est fait de ses fans (et de Vincent Furnier)), ça ne prend pas tellement et on aurait tendance à zapper cette intro. Heureusement, le thème de piano aigrelet de Steven ravive la curiosité et pousse à continuer plus loin.
"Caffeine" est nettement plus énervée, à juste titre. Le pauvre Steven refuse le sommeil et trouve dans le café un bon moyen de tenir le coup (et les amphets aussi). Alice Cooper a dit s'être inspiré de Big Bopper pour l'intonation enjouée à outrance et c'est vrai qu'il y a ce petit côté rock'n'roll à l'ancienne dans cette hystérique chanson. A dire vrai, elle finit par en devenir pénible car un peu trop longue et répétitive, elle est sauvée par des paroles amusantes.
Ce début n'a donc pas de quoi développer un enthousiasme sans bornes, on peut craindre le coup dans l'eau pour cette suite.
Mais "The Nightmare Returns" vient nous titiller là où on aime bien. C'est une berçeuse, et si vous êtes familiers avec l'univers du jeune Steven (et de "Elm Street" aussi) vous saurez immédiatement que les choses ne vont pas bien se passer. Pour ce malheureux Steven dormir est la pire chose qui puisse arriver, pour nous, la meilleure !
Et pour le coup quand le cauchemar démarre on ne pourra plus l'arrêter. "A Runaway Train" déboule à pleine vapeur pour nous embarquer Steven et nous pour un nouveau tour. On y retrouve l'ironie et la férocité d'Alice Cooper période "Special Forces" dans un morceau speed qui ne prend même pas le temps d'un refrain pour souffler. On file gaiement vers le déraillement accompagnés par Dennis Dunaway.


"Welcome to My Nightmare", le premier donc, nous faisait vivre différents épisodes tragi-comiques sur fond de comédie musicale rock, "2" emprunte à ce tournant de l'album le même chemin. "The Last Man on Earth", superbe morceau à la sauce Tom Waits, nous décrit l'aventure de notre ami en plein épisode de la "4e Dimension", seul au monde et content de l'être ! La mélodie reprend quant à elle le classique "Bei Mir Bist Du Schejn" (https://www.youtube.com/watch?v=ZUVEq6NC7mM). Revanchard, le personnage explore avec bonheur sa nouvelle situation, avant bien-sûr d'être rattrappé par le cauchemar et une foule de sinistres spectateurs, de quoi perturber son petit plaisir solitaire.
"The Congregation" donc, acceuille le rêveur avec son cortège digne d'un freak-show. Rob Zombie en préside l'assemblée avec quand même beaucoup moins de classe que le maître de cérémonie qu'incarnait Vincent Price alors, mais on ne lui en demandait pas tant. C'est un morceau plutôt classique, rock un peu glam sans plus. Alice Cooper dit s'être inspiré des Beatles sur ce morceau, ça se ressent dans les choeurs sans être flagrant. Heureusement, un trait d'humour final ranime le sourire sur le visage de l'auditeur. "Umm.. excuse me sir, is there a bathroom here?". On vient pourtant de lui annoncer plus ou moins subtilement qu'il se trouvait en enfer. Après tout, Steven en a vu d'autres.
Le Diable fait donc son appariton dans le très stonien "I'll Bite Your Face Off", c'est un diable un peu différent de celui qu'on avait rencontré au cours de "Goes to Hell" puisqu'il a revêtu les traits d'une jolie jeune personne. Le morceau est logiquement celui qui a été choisi comme single, efficace, classique, avec des paroles à la fois comiques et horrifiques, tous les ingrédients contenus dans le cahier des charges y sont. A noter qu'en concert, Alice Cooper portait au moment de cette chanson, une chemise blanche où étaient tracés en lettres ensanglantées les mots "NEW SONG".


Mais qu'est-ce que l'Enfer ? Si vous avez répondu "c'est les autres" vous avez tout faux. Si vous avez suivi les aventures d'Alice Cooper depuis le début, alors vous avez sans doute trouvé la bonne réponse, l'Enfer c'est le DISCO !
Et là, on baigne dedans avec "Disco Bloodbath Boogie Fever". Chanson démente, véritable délire disco/electro (puis ouvertement rock avec un John 5 très motivé) peuplé de zombies en col pelle à tarte dans un décor digne de "Carrie au Bal du Diable" on y apprend que le rock pourra toujours tenter de le vaincre, le disco, comme une malédiction morte vivante, reviendra encore et encore. La chanson est très réussie et elle a le mérite de surprendre, ce qui commençait à être rare chez Alice Cooper. Son phrasé pastiche presque (à quel niveau est-ce volontaire ?) celui d'une Lady Gaga d'outre tombe et les choeurs décharnés se paient le luxe de reprendre la marche des sournois Winkies du "Magicien d'Oz" https://www.youtube.com/watch?v=nx8-J66yawM. Souvenez-vous dans "Goes to Hell", on avait déjà eu droit à un clin d'oeil appuyé à cet univers, Steven aime à se prendre pour Dorothy (et "Jesse Jane", le routier travesti de "Dirty Diamonds" était lui aussi très fan de Judy Garland, on n'en sort plus !) Plus que cette référence, c'est à "You Gotta Dance" qu'on pense, toujours sur "Goes to Hell". En bref, avec "Last Man on Earth" on tient là l'un des meilleurs morceaux de l'album. Il en reste quelques uns.
Quand ils ne dansent le disco au-delà de la mort que font les zombies ?
Ils surfent !
"Ghouls Gone Wild" pille les Beach Boys pour le plus grand bonheur des amateurs de morts vivants. On a même droit à un featuring de Mark Volman des Turtles dans les choeurs. C'est un morceau enjoué, fun et très réussi dont l'enthousiasme est communicatif.
On le sait, Alice Cooper aime chanter des chansons d'amour à des cadavres (corps congelés, étranglés, squelettes, têtes sans corps...) il remet le couvert avec l'inévitable ballade qu'est "Something to Remember me by", le "something" étant ce qui reste d'un corps passablement décomposé. Peut-être un vestige du cauchemar précédent. La chanson aurait dû voir le jour à l'époque de "Goes to Hell" mais elle n'avait pas été enregistrée car le Coop n'arrivait tout bonnement pas à la chanter. Cette fois Alice Cooper applique à la lettre la recette de la chanson émouvante à double sens où on ne sait plus s'il s'agit de meurtre ou d'amour, mais n'est pas "Only Women Bleed" qui veut et il faut reconnaître que cette fois ci ça ne prend pas tellement. Dommage.


Le pire cauchemar de Steven, on finit par le comprendre, c'est son père. Pas de chance pour lui, le voilà revenu dans "When Hell Comes Home". On y retrouve ce personnage de père abusif, alcoolique, violent et implacable. (Comme le père de Freddy Krueger interprété par... Alice Cooper ! http://s21.photobucket.com/user/spacemonkey_fg/media/More%20Random%20Pics/Fred4.jpg.html)
La chanson est d'une noirceur totale. La violence ici n'est pas encadrée par l'humour et les paroles sont d'une dureté rare chez Alice Cooper. Le miracle est total, grâce à la présence du Alice Cooper Band original, on retrouve l'ambiance sombre des années 70 comme si on y était à nouveau. C'est bluffant et cette atmosphère poisseuse fait de cette chanson l'une des plus grandes réussites (si ce n'est la plus grande) de cet album.


On croyait le Diable resté au club avec ses âmes damnés, pourtant il ressurgit avec "What Baby Wants", et ce que baby veut, c'est l'âme de Steven bien-sûr. Alors, suivons la logique démente de cet album. Si l'enfer c'est le disco, alors le diable c'est ... Et bien le disco a évolué depuis les années 70, c'est plus ou moins chez les icônes adolescentes pop/elecro/dancefloor qu'on le retrouve. Très logiquement c'est là qu'Alice Cooper est allé chercher Ke$ha pour le rôle du diable en personne. Il l'a croisée aux Grammy Awards et on l'a même vu apparaître sur scène à ses côtés alors qu'elle reprenait "School's Out" en concert. Ca a de quoi déconcerter, et il semble que ça soit le but. On imagine tout de même le chanteur espérer gagner quelques nouveaux adeptes en utilisant l'image d'une chanteuse à la mode (en 2011). Steven négocie avec le Diable comme il l'avait fait dans "The Coolest" sur "Goes to..." même si l'apparence de celui ci n'a rien du viril fumeur de cigares qu'il semblait être à l'époque. Avouons-le, le morceau est bon. Radio-friendly et dansant, avec un peu de "Beat-it" dedans, et si notre esprit se révolte à l'idée d'une telle association contre nature, on ne peut pas nier l'efficacité du résultat.


On arrive déjà à la fin, "I Gotta Get Outta Here" arrive en toute legèreté avec ce titre qui rappelle "The Ballad of Dwight Fry", Vince GIll apporte ses guitares aériennes et on sent que la nuit de Steven touche à sa fin. Il finit par accepter le cauchemar, relate ses aventures avec nostalgie et attend le réveil avec impatience. Comme sur "The Coolest" de "Goes to...", ce sont les choeurs qui vont briser les malheureux espoirs du pauvre Steven en lui annonçant au détour d'un refrain que cette fois il ne se réveillera plus. C'est toujours très drôle d'entendre le personnage tenter vainement de se rebeller contre les choeurs de sa propre chanson et c'est sur cette note d'humour cruel que s'achève l'album.
Enfin il y a quand même "Underture" qui reprend les thèmes les plus marquants des deux "Welcome" dans des styles différents des originaux, d'une manière orchestrale qui rappelle une fois de plus les comédies musicales de Broadway que le chanteur aime tant. C'est fait avec un soin remarquable, Bob Ezrin semble s'en être donné à coeur joie et il y a de bonnes chances que ça vous donne envie de vous replonger dans l'écoute du premier opus des mésaventures de Steven.


Bon alors, on est loin du désastre là quand même ?
Absolument !
Il aurait été un peu naïf d'imaginer que ce nouveau "Nightmare" allait mettre la barre aussi haut que le premier et seuls ceux qui espéraient vraiment une oeuvre égale seront déçus. En tant qu'album d'Alice Cooper, celui-ci remplit parfaitement sa part du contrat. Il compte quelques morceaux de bravoure, et à part la présence d'un autotune venu de nulle part sur le tout premier morceau il n'y a rien de raté ici.


N'oublions pas de mentionner les différents morceaux ajoutés aux différentes versions de l'album "Under the Bed" (qui ramène le spectre de "The Black Widow"), "A Bad Situation" (où l'enfer c'est aussi de bosser dans un bureau), "Flatlines" (qui ne laisse aucune ambiguité quant à la fin de Steven) . La version deluxe se pare d'une chouette reprise de "We Gotta Get Out of This Place" des Animals tout à fait intégrée au contexte qui présage peut-être le futur projet du Coop, un album de reprises de rock garage, genre dans lequel il est historiquement enraciné.

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le 11 mai 2015

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