« Cette ville est trop petite pour deux tueurs cinglés »

Jeph Loeb et Tim Sale poursuivent leur collaboration, initiée un peu plus tôt pour DC avec la mini-série Challengers of the Unknown, pour de nouvelles aventures de Batman faisant suite aux trois numéros Batman: Legends of the Dark Knight Halloween Specials et qui seront notamment suivies par Amère Victoire, les récits les plus importants de Batman à la fin des années 1990. Il s’agit là d’une des œuvres Batman les plus acclamées par la critique et l’une des emblématiques du chevalier noir dans un rôle de pure détective au cours de sa jeunesse, mes attentes en lui étaient donc grandes. Pour information, j’ai lu l’édition d’Urban Comics datant de 2013 qui regroupe donc les 13 épisodes de cette mini-récit ainsi que quelques bonus.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆



Présenté d’abord comme une suite directe à Batman Année Un, je trouve qu’il en est très indépendant et peut se lire comme une aventure de Batman pouvant s’insérer facilement dans la plupart de ses aventures classiques. Le principe des meurtres lors de jours de fête, parti pris narratif au centre du récit, amène à une multitude de confrontations avec une large partie des adversaires de Batman, presque tel un best of de ses affrontements, pour lesquels ils sont vite et bien caractérisés même s’ils n’ont souvent que bien peu de répliques et un rôle assez générique.


Quand bien même, la générosité du récit est grande, il est strictement impossible de développer réellement autant de personnages avec capacités surnaturelles et gadgets à justifier, origines et motivations à établir… et c’est bien pour ça que je ne le considère pas comme la suite d’Année Un qui prenait le temps d’introduire ses personnages alors que là on part du principe que Batman a déjà affronté au moins une fois la plupart de ses opposants pourtant absents ou à peine mentionnés jusqu’ici. Ce n’est pas forcément un défaut, mais je pense qu’ils auraient dû faire fi d’Année Un


L’aspect du scénario le plus développé se trouve dans son fil rouge qui est celui d’un mystérieux tueur nommé Hollyday et de l’origin story du personnage de double-face dans un Gotham où mafieux s’opposent entre eux et aux forces de police dirigés par Batman et Gordon qui ont bien du mal à faire plus que de suivre le mouvement. Chaque affrontement avec un adversaire emblématique de Batman est une occasion de plus de développer cette intrigue qui est d’une cohérence exemplaire tout en sachant maintenir un certain suspense quant à ces retournements de situation et mises à mort souvent bien brutales.


La révélation finale sur l’identité d’Hollyday est intéressante :


Rien n’avait jamais été vraiment tenté d’original avec le personnage de Gilda qui devient ici une antagoniste intéressante qui se paie même le luxe d’échapper à Batman en fin de récit. La réplique finale de Double-Face prend une autre tournure, le récit plutôt décontracté, vu les personnages peu attachants mis en danger ou à mort, se termine sur un ton amer surprenant que j’apprécie pas mal… C’est définitivement une très bonne fin à mes yeux et elle seule permet de bien justifier l’aspect thriller du récit qui sans ça aurait été un peu trop superficiel à mon sens.


Le style d’écriture favorise des répliques courtes et répétées pouvant s’avérer bien impactantes, pouvant être interprétées de plusieurs manières et devenues emblématiques du récit. On les retrouve jusque dans ce final pour montrer une écriture réellement aboutie qui fait plaisir. Un long Halloween est donc un thriller assez intéressant avec quelques twists bien sentis et jusqu’au bout du récit, mais il n’est pas sans défaut à cause de son rythme très lent avec cette succession de péripéties intermédiaires au rythme paradoxalement trop soutenu. Ce mauvais équilibre de la narration serait l’un de mes principaux reproches à cette bande-dessinée dont l’intrigue est trop étirée dans son récit premier et trop dispersé dans ses récits annexes.



COMPOSITION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆



La composition de l’image n’est pas sans bonnes idées et fulgurances. Les vignettes peuvent être assez originales dans leur forme et dans leur superposition les unes sur les autres, comme lorsque Harvey se prend un coup et se relève un peu plus tard illustré par la vignette pivotant et se rétrécissant alors qu’il tombe avant le cheminement inverse quand il se relève. Ça a le mérite d’être assez original et ingénieux sans tomber dans le superflu. La double page peut être utilisée pour zoomer énormément sur les personnages et leur costume dans des postures dynamiques, ce qui est d’autant plus justifié par le nombre de pages autorisant un espace autant pris pour la forme sans que ça ne constitue un compromis nécessairement gênant pour le fonds.


Voulant dépeindre un univers assez sombre d’un point de vue visuel, l’éclairage est illustré de manière assez minimaliste, ce qui me va très bien mais le choix des couleurs peut être encore plus tranché par le fait d’une couleur unique sur la vignette avec seulement quelques éléments visuels d’une autre couleur. Ça se voit notamment comme lorsque Alberto apparaît plutôt normalement, dans une ambiance peut-être sombre mais assez classique, puis seulement avec ses lunettes et sa clope au bec de mise en évidence sur la vignette suivante.


Le parti pris est radical mais non sans intérêt pour iconiser des éléments visuels symboliques ou mettre le focus sur un élément important qui reviendra quelques dizaines de pages plus tard. Dans un univers aussi fantasque que celui-ci, qui ne se revendique pas du tout comme étant réaliste, de tels choix visuels me semblent parfaitement légitimes sur le papier. En revanche, ça donne des dessins que je trouve personnellement parfois assez peu détaillées avec ces grands aplats de couleur unie, même si ce n’est pas si souvent que ça.


Toujours pour les couleurs, ou plutôt pour leur absence, l’utilisation du noir et blanc pour les assassinats fonctionne très bien pour que ses passages se démarquent visuellement dans un style approprié mais de la même manière ça manque encore de détails pour qui veut des pages aux illustrations en foisonnant. Il y en a bien quelques unes et elles sont plutôt réussies mais ce n’est pas la principale caractéristique visuelle de cette bande-dessinée à mes yeux. C’est peut-être aussi ce qui en limite mon appréciation par rapport à la plupart des lecteurs qui adhérent sans doute davantage à ces choix.


Par contre, je ne ne comprends pas bien le design de certains personnages comme celui de Catwoman que je trouve bien peu sexy alors que le récit insiste autant sur l’attirance de Batman envers elle, surtout que ça n’a juste rien à voir avec Année Un. Je veux bien qu’il y ait une rupture esthétique étant donné qu’on passe à un autre dessinateur mais là pour moi ce n’est pas justifié, il aurait fallu soit un design proche de celui de David Mazzucchelli, soit un autre dans un style différent de celui est choisi ici, enfin là c’est une question de préférence très personnelle.



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



Batman Un long Halloween est une longue enquête avec de bonnes idées de scénario et qui constitue l’opportunité de croiser parmi les plus emblématiques antagonistes de l’univers tout en profitant d’une composition avec pas mal d’originalité et un esthétisme singulier. J’ai très clairement apprécié cette lecture même si j’ai été un peu étonné de ne pas tant y adhérer comme la plupart de ses lecteurs l’adulant et en faisant l’une des meilleurs œuvres de tout l’univers. Son rythme et son esthétisme sont marqués par des choix qui ne sont pas forcément à mon goût et je ne trouve pas ce récit si exceptionnel que ça, même si c’est une agréable lecture encore une fois.

damon8671
7
Écrit par

Créée

le 16 juin 2021

Critique lue 94 fois

1 j'aime

damon8671

Écrit par

Critique lue 94 fois

1

D'autres avis sur Batman : Un long Halloween

Batman : Un long Halloween
Julien82
9

Trick or Treat!

Premier volet du diptyque Jeff Loeb/Tim Sale (la suite étant Dark Victory), The Long Halloween s'impose d'entrée comme un must have, l'une des histoires de Batman qui doit figurer dans toute les...

le 9 avr. 2012

39 j'aime

8

Batman : Un long Halloween
mavhoc
10

Vous avez dit chef d'oeuvre ?

Personnellement j'ai toujours eut une certaine méfiance pour les BD de DC dans les années 90, par rapport à Marvel ou Image je trouvais qu'ils avaient un vrai train de retard en terme de complexité,...

le 7 avr. 2013

25 j'aime

1

Batman : Un long Halloween
Gand-Alf
9

Holiday.

Dans la liste des aventures les plus marquantes du Caped Crusader, on trouve généralement des réussites incontestables comme The Killing Joke, The Dark Knight Returns ou bien encore Year One. Des...

le 24 oct. 2016

24 j'aime

6

Du même critique

Mass Effect
damon8671
8

Un début certes imparfait mais à l'univers incroyablement prometteur

Après le formidable succès de KOTOR dont il fut game-director, Casey Hudson veut repartir dans l’espace et répéter les grandes qualités des meilleures productions Bioware déjà existantes mais en...

le 24 août 2013

35 j'aime

11

The Thing
damon8671
9

Matters of trust

Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des...

le 28 oct. 2023

25 j'aime

3

Super Mario Sunshine
damon8671
8

Ambiance prononcée, gameplay riche et original & réalisation bien vieillissante

J'ai joué à tous les Mario 3D (parce que je les distingue véritablement des Mario 2D) et Super Mario Sunshine est mon préféré parmi ceux-ci, ce qui n'est quand même pas rien vu l'excellence de la...

le 22 oct. 2013

23 j'aime

7