Pour fêter 40 ans d'édition de bande-dessinées, Glénat disperse au début de la décennie 40 découvertes à travers ses différentes collections, afin de proposer un " coup de projecteur particulier sur un travail singulier ", celui des jeunes artistes contemporains de leurs écuries. C'est ici chez Drugstore qu'Antoine Onazam au scénario et Rica au dessin signent E Dans l'Eau, leur première collaboration, un
sombre polar inspiré autant que désabusé,
complexe d'entrelacements, dans une ambiance d'Amérique décrépie et empoissée du sang qui semble y ruisseler jusque dans les moindres recoins, jusqu'au coeur des âmes les plus reculées ou les plus isolées.
Après une première planche de regrets en regard promené sur un mausolée de photographies, le scénario se développe en plusieurs moments de narrations revenants inlassablement ressasser les mêmes jours vécus par différents personnages : sur le modèle du Pulp Fiction de Quentin Tarentino, E Dans l'Eau suit les sanglantes descentes aux enfers de ses protagonistes malades pour devenir
un polar dégénérescent,
engluant ses révélations collées dessous le fond sordide de relations humaines bancales de trop de non-dits dessus les interdits et peignant là les échecs de vies bercées dans les petites illusions de bonheurs inaccessibles pourtant si attrayants, si proches. Petites ambitions à la hauteur de petits moyens préjugés, surestimés, échappées rêvées, le scénario d'Antoine Onazam joue du genre pour jeter ses
lugubres lumières sur la petitesse banale de l'égoïsme humain
et sur cette rouille au coeur, pesante et dévorante, des secrets enfouis, des petites manipulations, aux conséquences immanquablement démesurées et inextricables.
Le dessin noir, les visages affreusement déformés dans les lumières ignobles et viles d'une Amérique crasse, les décors noyés d'une obscurité angoissante et poisseuse, le trait appuyé, Rica pose l'ambiance idéale à accompagner l'exploration malsaine,
une espèce de voyeurisme retenu,
sur les inimaginables noirceurs de ces gens moyens et malades. Comme contaminés jusqu'au sang par une dégérescence sociétale irrémédiable, désespérée, où l'homme, pire qu'un loup, n'est jamais qu'un virus pour ses semblables.
Agréable découverte malgré le manque de tension de l'ensemble, E Dans l'Eau tient par l'horreur banale de ses personnages et le rythme juste de ce scénario logé en one-shot graphique : dans le format imparti, Antoine Ozanam sait mesurer la narration et passer d'un caractère à l'autre, diversifiant les points de vue avec la neutralité froide sur le sang répandu qui fait l'écho dérangeant de l'univers de Quentin Tarentino, et signant là comme un court-métrage puissant et retenu à la fois. Le trait idéalement appuyé et l'ambiance résolument sombre et crasse apposée par Rica vient alors illuminer insidieusement, à chaque fois que nécessaire dans l'ensemble sous chape d'ombre, ce que l'âme de ces protagonistes cherche à cacher, dévoilant là
une sordide galerie de portraits ignobles, dégueulasses.
Le sang noir de nos ambitions viciées collées poisseuses, aux tréfonds de nos âmes.
Affreusement humain.