« On ne peut rien gagner sans donner en retour »

Parmi les mangas shōnen ayant rencontré un grand succès critique comme commercial dans les années 2000, Full Metal Alchemist fut une petite surprise détonante par une auteure du nom d’Hiromu Arakawa parfaitement inconnue. Son succès fut tel qu’il a entraîné deux adaptations animées très différentes l’une de l’autre : Fullmetal Alchemist et Fullmetal Alchemist Brotherhood. Si débattre de ces deux adaptations est très intéressant, d’autant que mon avis est assez marginal sur la question, préférant largement le premier animé au deuxième pourtant bien plus populaire, c’est bien du manga dont je vais parler ici, les animés ayant droit à leur critique dédiée. Voyons donc si je partage cet engouement autour des aventures des frères Elric.


Dans ce monde mêlant technologie du début du XXème siècle, avec quelques libertés façon Steampunk / rétrofuturiste, et magie, sous la forme donc de l’alchimie, réservée à un corps d’élite assez fermé, l’histoire sera celle de la découverte de ce monde par deux jeunes enfants de la campagne, découvrant à la fois le monde dont ils ne savaient pas grand-chose et l’alchimie dont ils avaient à peine gratté la surface pour une expérimentation qui a complètement foiré. C’est un processus narratif simple mais efficace pour développer l’univers puisque le lecteur est placé à peu près au même niveau que celui des protagonistes pour lesquels on suit leur perspective.


Très vite, les premiers tomes nous faisant découvrir tout cela développent des propos intéressants et variés, notamment la critique de l’obscurantisme religieux comme du progrès scientifique à l’aveugle dès le premier chapitre. C’est largement appuyé par l’histoire fictive d’Ishbal, peuple religieux refusant de se soumettre à une autorité qui se dit plus civilisée avec son alchimie et sa culture, menant à un véritable génocide où des gens biens se retrouvent au front et dans l’obligation de commettre des crimes atroces pour survivre, où l’état major prend de cruelles décisions sans en assumer les conséquences, où la violence meurtrière nourrit un cercle vicieux de représailles mutuelles....


Bien que cette histoire appartienne au passé dans le récit, elle continue d’impacter le présent et l’histoire tend à se répéter bien vite, avec des dirigeants utilisant la religion pour asseoir leur autorité. Ça permet de poser les thématiques du récit progressivement pour évidemment mieux les exploiter par la suite, ce que je trouve très maîtrisé tant les petites aventures des premiers tomes permettent de maintenir un rythme suffisamment soutenu pour compenser cette présentation un peu lente mais nécessaire de l’univers. C’est aussi un temps où l’on fait bien comprendre que les règles qui définissent l’alchimie sont doublées de principes philosophiques qui seront illustrées par les caractérisations et péripéties du récit, ce qui est assez intelligent sans jamais être non plus excessivement complexe.


Par rapport à cette maturité du récit, qui s’accompagne donc de violence, Hiromu Arakawa dit :



Nous sommes témoins de conflits culturels tous les jours. Je m’inspire de la réalité pour la retranscrire dans mes histoires en y ajoutant mes idées et ma sensibilité. La seule chose qui est horrible et triste, c’est de perpétuer ces conflits à notre échelle, par des regards condescendants, ou pire, envers les cultures qui nous sont étrangères.



Cependant, entre ces petites aventures quasi-burlesques de nos héros et la trame principale mature et violente, des changements de tons inattendus peuvent survenir d’un chapitre à un autre. On peut avoir un chapitre à l’ambiance très détendue où Ed et Al arrivent dans un endroit, on leur présente un problème, il le résolve de façon burlesque et ils repartent tout contents, adulés par tout le monde, en ayant humilié les méchants sans avoir été très violents… et puis sur le chapitre d’après ça va feindre de suivre le même schéma avant que d’un coup un élément n’arrive, provoque des morts très soudaines de personnages attachants et un combat sans merci est mené tambour battant.


Le premier tournant a lieu avec les révélations sur la pierre philosophale via les notes de Marcoh, à partir de là on comprend d’emblée que le récit ne laissera pas le choix à nos héros, s’ils veulent accomplir leur quête, il leur sera impossible d’ignorer le danger, la mort et les larmes. Si le ton burlesque et chaleureux reviendra de temps en temps pour offrir un moment d’accalmie, l’intrigue principale est plus sérieuse maintenant qu’elle est pleinement lancée, je n’en dévoilerais que peu dans cette critique pour éviter les spoils inutiles mais il faut bien comprendre que s’accompagnera de la violence sous-entendue plus tôt.


Le premier passage choc du récit est l’un de mes moments préférés de tout le manga :


La mort tragique de Hugues, personnage un peu agaçant certes mais au final assez attachant, fut un vrai choc pour moi. C’est le premier personnage dont je n’attendais vraiment pas la mort tant il semblait développé et important dans le récit. Le passage de l’enterrement avec la détresse de sa petite fille qui ne comprend pas ce qui se passe et la mère qui ne sait comment réagir est assez bouleversant et ça marche d’autant mieux que les moments d’insouciance plus tôt dans le récit m’avaient fait baissé ma garde.


Le retour de Winry dans l’intrigue et le voyage vers le sud ramènent une certaine légèreté et bonne ambiance avec un rythme plus lent et un retour sur le passé de nos deux alchimistes par le biais de leur maître. Ça permet de relâcher la pression après les derniers événements et si tout ça est un petit peu trop gentil et lent pour moi, je comprend assez bien l’intérêt d’une telle parenthèse avant de rependre sur des événements beaucoup plus dynamiques et violents. C’est le retour des homonculus dans l’intrigue avec la bande à Greed qui en reprendra la direction.


Celui-ci s’accompagnera de beaucoup de combats assez violents dont les différents styles amenés par l’alchimie commencent à se diversifier et comprenant son lot de morts brutales, pour des personnages pourtant très secondaires ça ne manque pas d’intensité dramatique et ça confirme la nouvelle orientation du récit. Ça en dévoile un peu plus sur les différentes factions les séparant et leur supposé leader dans l’ombre. Si on avance dans les tomes et qu’on arrive au premier tiers du manga, le mystère reste de mise avec au final des révélations qui restent très sporadiques pour une intrigue qui va s’étirer en longueur, ce qui sera tout un enjeu d’adaptation en animé mais on y reviendra dans les critiques dédiées.


L’arrivée de Xing dans l’intrigue permet d’ouvrir la carte pour que l’on se rende compte que ce grand pays dans lequel l’intrigue évolue avec ses différentes régions ayant chacune leur propre histoire, en particulier Ishbal, n’est en réalité qu’un tout petit pays frontalier avec 4 autres avec une sorte de Chine fictive à l’Est après un grand désert. Les différences culturelles entre les civilisations, les situations géopolitiques tendues… sont ainsi abordés pour développer un univers beaucoup plus riche que ce qu’il semblait à l’origine et on ressent la volonté d’établir tout un univers par-delà ce qui sera vu dans l’intrigue de ce manga.


Et encore, une fois, après cette petite interlude paisible aux combats amicaux, on retrouve de l’action frénétique et violente avec l’équipe de Roy qui se rapproche des homonculus. On sent d’ailleurs que l’évolution du récit de plus en plus dur est appuyée par cette violence en crescendo. On y retrouve la mécanique simple mais efficace de monter les enjeux en faisant une mise en danger plus que convaincante et une intensité dramatique réelle de personnages présentés comme insouciants et invincibles jusque-là, et comme la mort de certains personnages du récit nous a prouvé que tout pouvait arrivé, ça fonctionne très bien.


Le gore et l’horreur atteignent des sommets par la suite, mention spéciale au volume 13, avec un décor digne de la dark fantasy avec un monstre gigantesque et hideux, véritable amas de corps humains fusionnés et en lamentation dans une mer de sang, j’ai été très surpris par un changement de direction artistique aussi radical. De plus, le premier twist sur le père des homonculus amène beaucoup de questions captivantes même si finalement peu en est fait dans un premier temps. La série de flashbacks sur Ishbal permet de reprendre cette violence avec de forts échos à certains événements historiques des plus brutaux, mais je ne sais pas si tout un volume dédié à cela était nécessaire en terme de rythme de narration.


L’extension de l’univers au nord est malheureusement pour moi le début des réserves personnelles que j’aurais sur l’ensemble du manga. L’univers va arrêter de s’étendre à partir de là et me laisser un peu sur ma faim quant au teasing qu’il pouvait en faire. Il commence à y avoir des petites facilités scénaristiques pour que tous les protagonistes voulus se retrouvent en même temps au même endroit pour les besoins du scénario, alors qu’ils ont des motivations toutes différentes et indépendantes les unes des autres à l’origine.


La révélation sur Pride arrive en parallèle de façon un peu facile, comme s’il y avait besoin de rusher un peu l’intrigue et de créer un ennemi de plus, c’est en tout cas l’impression que ça m’a donné sur le coup même si ça s’est vite accompagné de passages très efficaces avec lui, notamment dans le registre anxiogène. **Les intrigues de l’ensemble du manga commencent à se recouper pour aboutir à une alliance des protagonistes dans une quête du bien contre le mal, avec pas mal de bons sentiments au passage, **qui s’étend un peu longueur avant d’arriver à leur point culminant dans le dernier arc du manga.


Ce dernier arc sera un peu trop rempli de ces bons sentiments à mon goût :


Les héros me semblaient invincibles, les adversaires souvent bien faibles, un ton léger se faisait sentir à des moments où j’aurais largement préféré plus d’épique et de tension. Heureusement, il y en a aussi, c’est juste pas autant que je le voudrais idéalement, et les enjeux dramatiques de la fin n’ont pas été si intenses pour moi qu’à d’autres moments du récit tant je sentais la mise en danger assez superficielle et la direction prise pour un happy end plutôt évidente, ce qui est bien le cas, à part peut-être pour Greed et encore...


Quant à la forme du manga plutôt qu’à son fond, quelques effets dans la mise en page sont un peu recherchées, comme lorsqu’une moitié du visage est normale sur le bord d’une vignette pour que l’autre moitié soit déformée sur l’autre bord, conformément au sens de lecture, pour illustrer le fait que le personnage vient d’avoir une idée machiavélique. Mais dans l’ensemble, c’est très classique avec **un recours assez fréquent à des jeux de perspective et des traits de dessin très classiques pour marquer l’aspect comique d’une situation, ce avec quoi je peux avoir un peu de mal bien qu’ici ça va encore. **


Il y a des effets un peu plus élaborés également, le gris foncé en fond permettant de bien identifier les vignettes flashbacks, la prédominance du noir avec du blanc crayonné conférant des allures incroyables à certaines scènes d’introspection où le personnage se trouve en conflit intérieur… mais en dehors de ces petites fulgurances graphiques, rien de sensationnel là-dedans, ce qui je pense s’explique aussi par la carrière de l’auteure bien moins riche que celle des autres mangakas à succès à la même époque.


Et sinon, j’ai bien aimé l’humour qui brise la quatrième mur dans les bonus en fin de tome : un personnage très présent dans les tomes précédents et là plutôt absent se met en colère contre la mangaka, on voit une reproduction humoristique du premier contact de la mangaka avec le studio lui proposant l’adaptation en animé, il y a pas mal de choix de direction artistique un peu curieux qui vont être moqués sous forme d’auto-dérision… Même si ça peut un peu désamorcer la fin du tome qui peut être plutôt sombre, comme c’est hors récit ça s’excuse tout de même.


Il y a donc beaucoup de choses qui m’ont plu dans Fullmetal Alchemist : la manière de présenter cet univers singulier et de le développer progressivement, les thématiques religieuses et politiques abordées assez intelligemment, la maturité dont le récit peut faire preuve et les moments dramatiques les plus intenses dont il peut être à l’origine… mais je n’adhère pas à tous les choix faits, surtout vers la fin du récit, où les bons sentiments sont maîtres. Entre ça et le dessin sympathique mais pas exceptionnel, je trouve que c’est un manga très appréciable, je comprends pleinement son succès, mais je n’en suis pas non plus un grand fan, préférant même sa première adaptation en animé.

damon8671
7
Écrit par

Créée

le 2 mai 2020

Critique lue 152 fois

damon8671

Écrit par

Critique lue 152 fois

D'autres avis sur Fullmetal Alchemist

Fullmetal Alchemist
Eterney
8

Un manga à part.

Je n'attendais pas grand chose de ce manga en en achetant les six premiers tomes pour un prix modique, dans une brocante paumée en bretagne, principalement dans le but d'avoir un peu de distraction...

le 21 déc. 2010

31 j'aime

2

Fullmetal Alchemist
Poulpie
9

Chef d'oeuvre.

Ce manga est génial. Ni trop long, ni trop court, il nous entraine dans une histoire maitrisée de bout en bout, mettant en scène des personnages très profonds dans un contexte crédible, extremement...

le 30 oct. 2012

15 j'aime

Fullmetal Alchemist
Josselin-B
6

Ça a failli ne pas être manichéen.

Très gros potentiel relativement bien exploité, mais pas au maximum de ses capacités ; c'est le ressenti que m'a laissé Fullmetal Alchemist suite à la fermeture du dernier volume. Nous n'étions alors...

le 12 nov. 2019

13 j'aime

7

Du même critique

Mass Effect
damon8671
8

Un début certes imparfait mais à l'univers incroyablement prometteur

Après le formidable succès de KOTOR dont il fut game-director, Casey Hudson veut repartir dans l’espace et répéter les grandes qualités des meilleures productions Bioware déjà existantes mais en...

le 24 août 2013

35 j'aime

11

The Thing
damon8671
9

Matters of trust

Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des...

le 28 oct. 2023

25 j'aime

3

Super Mario Sunshine
damon8671
8

Ambiance prononcée, gameplay riche et original & réalisation bien vieillissante

J'ai joué à tous les Mario 3D (parce que je les distingue véritablement des Mario 2D) et Super Mario Sunshine est mon préféré parmi ceux-ci, ce qui n'est quand même pas rien vu l'excellence de la...

le 22 oct. 2013

23 j'aime

7