Happy!
7.1
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Manga de Naoki Urasawa (1994)

Tennis, ton univers impitoyable

Oubliez Le Petit Chef, Prince of Tennis ou toute autre série où des trucs chiants à mourir sont présentés comme super-méga primordialement importants à coup d'hyperboles, de réactions démentes ou de comparaisons poussées à l'extrême. Voici la bible absolue des histoires de ce genre. Et ceci sans le moindre kamehameha figuratif ou effet spéciaux. Juste par le talent pur d'Urasawa pour dessiner des visages qui font peur et pour ciseler des situations burlesques traitées avec un sérieux papal.


Avant de parler du manga, je dois préciser que je n'y connais rien au tennis, et que ça tombe bien, puisque je m'en fous un peu. J'en suis resté à peu près à mon estimation de quand j'avais 8 ans : le tennis est un sport qui, par je ne sais quel pouvoir satanique, hypnotise chaque année des milliers d'adultes, les forçant à regarder des gens en short ou en jupe (innocemment volatile, la jupe) taper dans une balle en hurlant comme les damnés du dernier cercle du Tartare. Après quelque paniers au but, le vainqueur gagne une coupe et le droit de se faire appeler Rafael Nadal.
Donc, ma conception de ce sport est quelque peu limitée, mais hélas, mes quelques connaissances vont directement à l'encontre de ce qu'on voit dans le manga. D'après ce que je sais, le tennis :
-Requiert un arbitre
-Ne permet pas au commentateur de prendre parti ou de dire que le match en court n'a aucune importance
-Ne donne pas de pouvoirs de télépathie
-Tout le monde s'en tape.
Mais heureusement, Urasawa lui même semble se désintéresser un peu de toutes ces questions techniques pour se concentrer sur d'autres aspects plus importants. Pas de descriptions interminables de règles, de stratégies ou d'anecdotes. A la place, on aura... Tout ce que l'auteur se sent de mettre dans sa série B bien-aimée.


Dont, bien sûr, un scénario au petits oignons : Une jeune fille adorable et très, très, très (!!!) naïve est menacée par un yakuza. En effet, elle doit à son organisation 200 000 000 de yens (en Europe, ça fait beaucoup de sucettes) parce que son frère a été mangé par un poisson fugu, ou quelque chose du genre. Le yakuza, qui est un personnage sympathique, lui propose de devenir une prostituée pour payer sa dette. Sympathique, donc. Plutôt que bosser dans un love-hotel qui sera censuré en France, Umino, car c'est son nom, préfère jouer au tennis et devenir Amélie Mauresmo (pas physiquement) en l'espace de deux ans. Pour se faire, elle devra affronter le monde froid et sans joie du tennis professionnel. Elle y croisera une magnat du tennis (?) qui la hait, mais va la financer quand même, sauf une fois tous les trois tomes. Elle sera courtisée par un fils à maman mi-beau gosse mi-méduse, et par une joueuse lesbienne qui est le seul personnage un peu raisonnable du manga. Elle sera entraînée par un coach pervers qui hante toujours ma rétine à l'heure actuelle. Elle devra échapper à un mafieux yandere, combattre l'inénarrable Choko, sa rivale (top 10 anime betrayal) et vaincre toutes sortes de joueuses mystérieusement pas sympas. Tout ça pour nourrir des gamins intolérables. Et puis il y a John Travolta qui mord des gens. Me demandez pas.


Vous l'avez vu, ce manga m'a un peu secoué. Mais comprenez moi, on y découvre le côté sombre d'Urasawa ! Étrangement, c'est en s'éloignant des histoires de serial killers et de robots tueurs qu'il laisse s'exprimer toute sa cruauté et sa haine de l'humanité. Les personnages douillent comme des lépreux qui devraient enfiler un préservatif, et personne plus qu'Umino, dont l'innocence lumineuse sert de défouloir au scabreux mangaka. Rien de bien ne peux lui arriver. Elle a un lot de consolation pour avoir perdu un match ? Paf, le lot lui explose à la gueule dans la page suivante et sert de pièce à conviction quand elle est accusée de meurtre dans le chapitre d'après. Tu crois qu'elle a gagné ? Oh non, il faut donner le prix pour faire sortir de taule son petit frère exhibitionniste ! Tout le monde la hait, ses love interest sont des demeurés, et tous les fans du tennis du monde (tous les six) la conspue dès qu'elle apparaît sur le terrain. C'est au point que j'ai envie de demander une mesure d'éloignement pour ce personnage fictionnel contre son créateur.
Mais quand même, il faut admirer le style. Il y a de l'art dans l'enchaînement de diabolus ex machina. Le plus bel exemple est la machiavélique Choko, vraisemblable avatar d'Urasawa, dont les rapefaces mignonnes de la mort qui tue sont tellement over the top que je m'étonne que les pages ne s'embrasent pas des flammes de l'enfer. Ajoutez ça une cruauté narrativement gratuite ( un entraineur américain ressemblant à Clinton voit sa vie littéralement partir dans les toilettes sans raisons morales apparentes) et tellement, oh tellement, de perversité. Tennis => Culottes => Japon = Vous m'avez compris. La maestria sadique d'Urasawa va jusqu'à nous présenter des suites de gros plans sur le corps féminin pour conclure sur, au lieu de l'image logique suivante, la tête suante et ricanante du coach pervers. C'est du Dark Brio.


Vous l'aurez peut être compris, on apprécie Happy un peu ironiquement. Ce n'est pas l'oeuvre la plus profonde de l'auteur, les personnages sont un peu plats, le scénario est un prétexte pour... allez savoir quoi. Mais ça a son charme. Je me suis surpris à reprendre à voix haute chaque fois qu'un personnage émettait un "ho ho ho", ce qui arrive beaucoup, et à encourager Umino dans l'espoir qu'elle évite la prochaine tuile. Il y aurait presque quelque chose de communicatif dans l'enthousiasme absurde de ces foules hétéroclites qui apparemment, sont possédées par l'esprit du tennis, applaudissent leur héroïne, huent la notre, parient des sommes folles sur le résultat des matches, et, d'une manière générale, réagissent au service le plus banal comme à une finale entre un Yannick Noah en tenue d'écolière contre un Roger Federer à tentacule.
Les cauchemars étaient gratuits.


Et puis, il y a quelque chose de relaxant dans ces enjeux désespéramment bas. Si jamais il y a un manga illustrant plus parfaitement l'idée de "First World Problem", eh bien... Ben, en fait, il y en a surement plein, mais probablement pas aussi bien dessinés. Et pas en y mettant autant de coeur.
Vas-y Umino ! Accomplis tes rêves de tennis ! Mange des nouilles ! Aie un triangle amoureux carré ! Deviens le bouc émissaire du Japon tout entier ! Reste impossiblement gentille ! On est tous avec toi ! Juste, ne m'en veux pas si j'ai l'air de ricaner un peu de temps en temps.

Kevan
6
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le 10 juil. 2018

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Kevan

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