Alors que sont sortis le même jour (en novembre dernier) l’intégrale de sa mirifique série « Long John Silver » et le deuxième tome de son nouveau western « Undertaker », le scénariste Xavier Dorison peut déjà être fier du chemin parcouru. Il est à l’origine ces quinze dernières années de séries parmi les plus ambitieuses de la bande dessinée française, et le bougre est loin de rendre son tablier. S’il ne tourne jamais en rond malgré une production effrénée, on peut distinguer des constantes dans ses œuvres : du western fantastique au récit nordique, de la guerre uchronique aux histoires bibliques et de pirates, ses scénarios représentent l’aventure dans toute sa splendeur. Des personnages forts et ambigus, une mise en scène cinématographiques écrasant souvent le lecteur sous d’impressionnants décors… Ses récits ont pour seule limite d’être sous influence, d’appliquer un cahier des charges certes maîtrisé et tenant souvent du tour de force, mais s’éloignant assez peu des sentiers battus par le scénariste lui-même et par ses aînés. On pourrait reprocher la même chose à un cinéaste comme Tarantino. Qu’à cela ne tienne, quand le plaisir est intact, inutile de le bouder.


Scénario : Ce deuxième tome conclut un premier diptyque sur les aventures du fossoyeur misanthrope à la grosse artillerie, repartant tambour battant dans une course-poursuite de 50 pages évoquant la narration d’un certain « Mad Max : Fury Road ». Les motivations des personnages sont exposées au fur et à mesure de leur périple, et Dorison prend un malin plaisir à emmener le lecteur vers des pistes scénaristiques (la romance, la repentance) qui sont renversés en cours d’album. Il sait aussi se garder des cartouches pour la suite, notamment sur le passé de Jonas, tout en concluant le tout de manière à ne pas tomber dans le poncif du cow-boy solitaire comme Lucky Luke ou… Mad Max justement.


Dessin : Ralph Meyer a beau soigner ses décors de western avec un soin du détail et du grandiose, c’est dans l’expression de ses personnages que son art trouve une véritable maturité. Visages figés de stupeur, de haine, de cynisme ou de détresse, ils sont tous frappant d’authenticité et d’humanité. Un paradoxe pour le moins passionnant, puisque le récit insiste sur la progressive perte d’humanité de ses protagonistes, qui reste néanmoins décelable même dans cette crapule nihiliste de croque-mort.


Pour : Dorison se garde de tout manichéisme de la lutte des classes, opposant les pauvres mineurs opprimés par un patron cruel et assoiffé de profit. Les deux camps sont ici montrés dans tous leurs travers, et l’ambivalence est conservée même dans certains personnages plus secondaires. Un anti-héros pragmatique et une héroïne fragile mais de plus en plus affirmée, poursuivis par des pères de famille souffrant de leur misère, ce qui les réunit finalement tous est le désespoir. Entre Cimino et Leone, le drame et la relative légèreté, Dorison ne tranche pas et exploite une certaine variété de registres.


Contre : L’architecture narrative de ce deuxième tome est tout de même moins touffue que la première, et inévitablement plus prévisible. Quelques pirouettes scénaristiques presque alambiquées venant s’ajouter à cela, et il devient évident que Dorison n’est pas parfaitement à l’aise avec la forme du diptyque pour « Undertaker ». C’est pourquoi, les personnages et enjeux étant bien installés, il compte composer les prochains albums en histoires complètes.


Pour conclure : Alors que des westerns comme « Les Tuniques Bleues » ou « Lucky Luke » vivent aujourd’hui dans un coma artificiel plutôt navrant, la relève est assurée avec des séries comme « Undertaker ». Aussi, s’il vient l’envie à Dargaud de déterrer « Blueberry » pour de nouvelles aventures, qu’il n’oublie pas que celles du fameux fossoyeur en est une suite spirituelle parfaitement honorable et suffisante…


Ma critique du tome 1 : http://www.senscritique.com/bd/Le_Mangeur_d_or_Undertaker_tome_1/critique/47225207


Ma critique du diptyque "Asgard" :
http://www.senscritique.com/bd/Le_Serpent_Monde_Asgard_tome_2/critique/73180900

Marius_Jouanny
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le 20 janv. 2016

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Marius Jouanny

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