Chaque année, les éditeurs BD misent beaucoup sur les séries vieilles de plus de vingt ans, et on ne compte plus les Blake et Mortimer, Boule et Bill et autres Spirou et Fantasio sorties depuis la mort de leurs géniteurs. Ce n’est d’ailleurs pas un mal, puisque ces histoires sont pour la plupart de qualité et se vendent très bien. Même si l’on déplore la médiocrité du dernier Lucky Luke, on attend avec impatience le grand retour de Corto Maltese pour l’année prochaine. Mais cela nous amène à un constat : si les éditeurs s’efforcent de nous offrir une nouveauté de leur étalon chaque année, et si ce n’est pas le cas ils prévoient toujours quelque chose à mettre sous la dent des fans, comme le dernier Astérix en film d’animation sorti cette semaine, ils sont de plus en plus frileux à publier de nouvelles séries au long cours, comme au « bon vieux temps ». En fait, connaître le nombre d’album qu’une série publiera dès la sortie du premier épisode est devenu une norme, rien que ça. Aussi il est toujours plaisant de suivre les quelques séries des années 2000 pas encore achevées, comme Lincoln, dont le huitième tome est sortie en août 2013.


Scénario : Si vous ne connaissez pas le bonhomme, Lincoln est un vagabond, une sorte de cow-boy déchu au début du XXème siècle. Sa particularité, c’est d’être immortel. Et pour cause, il s’est lié avec Dieu et Satan, l’un tentant de le remettre sur le droit chemin, l’autre l’incitant à faire des conneries. Après moult péripéties, il se retrouve en 1917 sur le front français, côté américain. Mais connaissant ses penchants anarchistes, le lecteur se doute bien qu’il profitera de la première occasion pour déserter. Si seulement c’était si facile… les frères et sœur Jouvray continue les aventures de Lincoln avec la maîtrise et l’humour habituel. Et si certains leur reprochaient la constante mauvaise humeur du héros et sa misanthropie excessive pour les premiers albums, force est de constater que Lincoln a bien changé depuis. Sans modifier le fond de sa personnalité, les auteurs ont fini par le rendre terriblement attachant, tout comme Dieu et Satan, dont la relation père-fils en fait rire plus d’un.


Dessin : De ce côté-là, on peut toujours faire confiance au dessinateur Jérôme Jouvray pour suivre les scénarios de son frère Olivier avec des personnages toujours aussi expressifs et burlesques, et des décors dépouillés mais terriblement efficace, dans la veine d’Emile Bravo. Le tout est d’ailleurs mis en valeur grâce à la coloriste Anne-Claire Jouvray qui s’est surpassée pour cet album. Alors que les précédents épisodes étaient probablement colorisés à l’informatique, on peut la féliciter d’avoir changé son fusil d’épaule pour « Le Démon des tranchées », avec une mise en couleur directe bien plus agréable à l’œil. Les arrière-plans en sont plus étoffés, les personnages plus vivants, cette amélioration est remarquable et permet du coup au style graphique de mieux se démarquer de l’auteur cité plus haut.


Pour : Changeant de cadre et de personnages secondaires à chaque album ou presque, les auteurs arrivent à renouveler radicalement la série à chaque album, ce qui est le meilleur ingrédient pour faire continuer une série au long cours. Presque, puisque Lincoln est resté deux albums avec sa belle mexicaine, qu’on imaginait déjà la compagne du héros, le suivant dans toutes ses histoires. Prenant ses lecteurs à contrepied, les frères Jouvray ont envoyés leur héros cuver son chagrin dans une région bien plus froide que le Mexique, laissant le lecteur dans une frustration totale. Si un retour prochain de la belle Mexicaine n’est pas à exclure, Lincoln s’en est encore plus éloigné avec ce dernier album. C’est aussi ça la force de cette série : proposer des personnages secondaires qui font évoluer le personnage principal et marquent le lecteur durablement.


Contre : On quittait Lincoln à la fin du septième tome, engagé de force dans l’armée après avoir profité de la prohibition pour faire du trafic d’alcool. On le retrouve dans le huitième épisode toujours dans l’armée, partant en France pour massacrer du fritz en 1917, comme c’est indiqué en première page. Seulement, la prohibition américaine a commencée en… 1919, soit après la guerre. Comptant sur l’inattention du lecteur, ou sur sa clémence, la famille Jouvray joue avec les incohérences historiques d’une bien drôle de manière. Mais comment leur en vouloir ?


Pour conclure : Constatant que la recette marche toujours aussi bien, il ne nous reste plus qu’à souhaiter longue vie à « Lincoln », qui pourrait après tout continuer ses aventures au pays des mangeurs de grenouilles, qui sait ?

Marius_Jouanny
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le 29 nov. 2014

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Marius Jouanny

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